La Chronique Syrienne d’Interstices-Fajawat, 21 février 2025

CHRONIQUE ECRITE EN COLLABORATION AVEC LE COLLECTIF/MEDIA “CONTRE ATTAQUE

Une transition à durée indéterminée

Le gouvernement de transition a formé un comité préparatoire pour organiser la Conférence Nationale du Dialogue, constitué de 7 personnes, dont 2 femmes. On ne connaît toujours pas la date de cette conférence que tout le monde attend et appelle de ses vœux. Chacun espère y voir une parfaite représentation de la société syrienne, alors qu’aucune information sur sa composition n’a été évoquée, si ce n’est que l’Administration Autonome du Nord-Est Syrien n’y sera pas conviée.

Une première réunion du comité préparatoire s’est tenue à Homs et à réunit 400 participants autour de six axes majeurs : la justice transitionnelle, la rédaction de la nouvelle constitution, les réformes institutionnelles, les libertés publiques et politiques, le rôle de la société civile et l’organisation économique. Notons que le pouvoir de ce comité est purement consultatif et se contentera de transmettre ses recommandations au gouvernement.

Une justice transitionnelle aux contours flous

Au cours de ce mois de février, le massacre commis à Tadamon en avril 2013 a refait surface. Tadamon est un quartier de Damas où près de 500 civils, dont un certain nombre de Palestiniens, avaient été froidement poussés les yeux bandés dans une fosse avant d’être exécutés par balle, le tout filmé par les auteurs du crime. Le 8 février une visite controversée sur les lieux du crime de trois commanditaires du massacre – amnistiés en échange de leur collaboration – en compagnie de deux responsables de la Sécurité Générale, a provoqué une manifestation de plusieurs centaines de résidents du quartier révoltés par la présence de leurs bourreaux. Puis, 10 jours plus tard trois exécutants ont été arrêtés. Le sort du principal auteur des exécutions, qui avait reconnu les faits à une journaliste, reste inconnu.

Par ailleurs l’ambassade de Palestine à Damas, qui a longtemps été critiquée pour sa complicité avec le régime d’Assad, vient de rendre publique une liste de 1794 noms de Palestiniens de Syrie, de Gaza, de Jordanie et du Liban qui ont disparus sous la dictature. Le but de cette publication serait d’aider les nouvelles autorités à recueillir des informations sur leur sort, sans qu’on sache comment l’ambassade a obtenu ces noms.

La question des prisonniers et combattants étrangers, révélatrice des enjeux de la guerre de proxy

L’Algérie est entrée dans la danse des négociations diplomatiques avec Al Sharaa, après avoir été réticente à féliciter le nouvel homme fort de Damas pour sa nomination. Longtemps soutien du régime d’Assad, elle vient demander aujourd’hui la libération de 500 miliciens du Front Polisario capturés à Alep lors de la libération de la Syrie début décembre. Le Front Polisario est la faction armée soutenue par l’Algérie dans le cadre de son conflit avec le Maroc au Sahara Occidental. La présence de ses combattants en Syrie s’explique par le fait qu’ils y étaient entraînés par les forces iraniennes…

Du côté du Liban ce sont plusieurs centaines de prisonniers Syriens qui font l’objet de tractations entre les deux pays. Plus de 2000 Syriens sont emprisonnés au Liban, dont une majorité arrêtés dans le cadre de la « loi antiterroriste » en raison de leur affiliation réelle ou supposée avec l’Armée Syrienne Libre. Une centaine d’entre eux s’est mise en grève de la fin pour exiger son extradition vers la Syrie.

Enfin, et c’est là un enjeu majeur pour la situation sécuritaire de la Syrie et de son voisin Iraqien, des milliers de combattants de l’Etat islamique et leurs familles détenus dans les camps de Al-Hol et Al-Roj, sont en train d’être rapatriés au compte-goutte vers l’Iraq, dont ils sont originaires. Ils s’ajoutent aux milliers de combattants chiites Afghans et Pakistanais des milices pro-iraniennes Fatemiyoun et Zaynabiyoun qui, libres, se sont réfugiés en Iraq depuis la chute du régime, et dont la présence sur place pourrait devenir la justification de nouvelles violences ou frappes aériennes étrangères sur le territoire iraqien.

Les Kurdes sous pression de toutes parts

Alors que le contrôle et la résorption des camps de prisonniers dans l’Est Syrien reste à la charge unique des milices kurdes, cette question est au cœur d’intenses négociations avec le nouveau régime de Damas depuis deux mois. Le risque de déflagration sous la forme de révoltes ou d’évasions massives des prisonniers de l’Etat Islamique est imminent, notamment après que Trump ait stupidement suspendu toute l’aide humanitaire américaine (460 millions de dollars en 2024).

Cette semaine les deux parties se sont rapprochées d’un accord pour l’intégration à la Nouvelle armée Syrienne des combattants des Forces Démocratiques Syriennes (SDF) et des Unités de Protection du Peuple (YPG), ainsi que pour la sortie du territoire de leurs combattants étrangers. Rien n’est clair par ailleurs concernant le sort des Unités de Protection des Femmes (YPJ), ainsi que du projet démocratique et féministe du Rojava à l’issue de ces accords, qui semblent induire un renoncement contraint au fédéralisme, à l’autonomie et à l’auto-défense populaire face à l’impérialisme turc, au nationalisme et à l’islamisme conservateur.

Le leader des Kurdes iraqiens Barzani, ainsi que la France et l’Allemagne, ont plaidé auprès de al-Sharaa en faveur de la protection des populations Kurdes, mais on sait combien les compromis diplomatiques et économiques leur importent davantage que le projet d’émancipation populaire porté par la gauche kurde. Beaucoup parmi ces derniers attendent les conseils et directives du leader kurde Öcalan, qui semble être désormais autorisé à transmettre des messages à ses partisans et fidèles depuis sa prison d’Imrali.

Et la colonie sioniste qui ne cesse de se répandre…

Chaque semaine Israël avance en territoire Syrien, cherchant visiblement à s’emparer de toutes les ressources en eau de la région (Mont Hermon, Bassin de Yarmouk, Réservoir de Al-Mantara). Sept nouveaux villages ont été occupés et l’armée d’occupation a installé six postes militaires supplémentaires. En parallèle l’aviation a bombardé l’aéroport militaire Syrien de Khalkhala et un dépôt de munitions au Sud de Damas, prétendument utilisé par le Hamas. Cette allégation grotesque fait abstraction totale de la situation syrienne et des relations complexes entre le Hamas et les nouvelles autorités Syriennes : plus c’est gros, mieux ça passe, d’autant plus face à une communauté internationale désormais habituée à laisser les pyromanes Netanyahu et Trump faire ce qu’ils veulent.

C’est d’ailleurs dans la perspective d’une stratégie conjointe des Pays Arabes face à l’expansionnisme et au nettoyage ethnique mis en place par les Etats-Unis et Israël que doit se tenir une rencontre de la Ligue Arabe au Caire le 27 février prochain…

La Chronique Syrienne d’Interstices-Fajawat, 7 février 2025

CHRONIQUE ECRITE EN COLLABORATION AVEC LE COLLECTIF/MEDIA “CONTRE ATTAQUE

Depuis notre dernière chronique beaucoup de choses ont évolué et il n’est pas évident de sélectionner ce qui est le plus pertinent et le plus utile à la compréhension du contexte général de la Syrie post-Assad à deux mois de sa chute.

Prise de fonction officielle et promesses de Al-Sharaa

Ahmed al-Sharaa a été officiellement confirmé dans son rôle de président par intérim le 29 janvier à l’issue de la première visite d’un chef d’Etat étranger dans la nouvelle Syrie, en la personne de l’Emir du Qatar Sheikh Tamim bin Hamad Al-Thani. Cette nomination sans consultation extérieure a été décidée à l’occasion d’une conférence composée de dizaines de militaires et lui octroie le pouvoir de constituer un conseil législatif « temporaire » dans la durée de la transition. A cette occasion il a livré son premier discours à la nation. La prise de parole a duré cinq minutes, mais a été salué pour sa simplicité et également pour son choix de rendre hommage aux luttes des Syriens et Syriennes, qu’il a pris soin de nommer en usant d’un vocabulaire inclusif.

Deux jours après que Sharaa ait rendu hommage au martyr Hamza al-Khatib, l’enfant de Deraa dont l’enlèvement, la torture et l’assassinat par les sbires du régime d’Assad avait été l’une des étincelles de la révolte de 2011, son tortionnaire Atef Najib, cousin de Bachar al-Assad, a été arrêté à Latakia. Quatre jours plus tard c’est l’ancien ministre de l’intérieur de Assad entre 2011 et 2018, Mohammad al-Shaar, qui s’est rendu aux nouvelles autorités.

Le 5 février, Al-Sharaa et son premier ministre ont enfin pris le temps de rencontrer les associations de familles de disparus, avant de réaffirmer leur volonté de créer un département spécifique pour enquêter sur ces disparitions, de protéger les lieux et preuves des crimes et de poursuivre tous les criminels de l’ancien régime dans une perspective de justice transitionnelle.

L’une des actualités hautement symboliques de ce début février est le coming-out de « CESAR », l’ancien agent de la police militaire d’Assad qui avait fait sortir au péril de sa vie près de 55 000 clichés photographiques de Syrie, apportant la preuve des tortures et exécutions de masse perpétrées par le régime. Ses révélations avaient donné lieu à la mise en place d’une « loi César » en 2020. Dans une première interview à visage découvert donnée hier à Al-Jazeera, Farid Al-Madhan demande la levée des sanctions contre la Syrie qui portent son nom de code.

Traque des sbires d’Assad et meurtres quotidiens

L’armée du gouvernement de transition continue de mener des opérations militaires pour traquer les anciens sbires du régime d’Assad, et notamment dans la région de Homs où au cours des semaines passées des groupes armés aux affiliations incertaines ont procédé à de nombreuses exécutions sommaires. Sept nouvelles « campagnes de sécurisation » ont ainsi été lancées par les forces armées gouvernementales dans différentes régions, tandis que de nombreux meurtres et règlements de compte continuent d’être recensés quotidiennement et sur tout le territoire par les organisations de défense des Droits Humains. Un groupe non identifié a notamment assassiné une quinzaine de civils dans un village à majorité Alaouite au Nord de Hama le 31 janvier, tandis que les forces gouvernementales et le Hezbollah s’affrontent depuis deux jours près de la frontière libanaise à l’Est de Qusayr, qui a été longtemps le principal point de passage logistique et humain des milices pro-Iraniennes.

A l’Est de l’Euphrate, les forces de la coalition et les Forces Démocratiques Syriennes ont mené elles aussi cinq campagnes de sécurisation pour procéder à l’arrestation de plusieurs dizaines de membres de l’ancien régime et combattants de l’Etat islamique.

Premières visites officielles de Al-Sharaa et tractations diplomatiques

Al-Sharaa a fait ses premières visites à l’étranger, à commencer par l’Arabie Saoudite où il s’est rendu à la Mecque pour le pèlerinage de l’Umrah en compagnie de son épouse, Latifa al-Daroubi, dont le monde découvre pour la première fois l’identité. Il s’est rendu ensuite en Turquie et pourrait visiter la France la semaine prochaine, dans le cadre de la conférence internationale pour la Syrie qui doit s’y tenir le 13 février. Les principaux sujets de discussions sont la levée des sanctions, le combat contre l’Etat Islamique ainsi que le sort du Nord-Est Syrien et l’intégration des Forces Démocratiques Syriennes dans l’Armée Nationale.

De leur côté les chefs d’Etat Egyptien et Tunisien, Sisi et Saied, font partie des plus fébriles à soutenir ou féliciter le nouveau gouvernement. L’un comme l’autre semble craindre que la chute d’Assad suscite de nouveaux élans révolutionnaires dans leur pays respectifs, qui ont fourni par ailleurs les plus gros contingents de combattants islamistes étrangers à la Syrie au cours de la dernière décennie – 6000 pour la Tunisie, 3000 pour l’Egypte. L’un des ex-membres égyptiens de HTS a d’ailleurs été arrêté en Syrie le 15 janvier après avoir appelé sur les réseaux sociaux les Egyptiens à renverser Sisi.

Du côté des impérialismes occidentaux…

Les négociations avec la Russie continuent sans relâche et sans qu’on sache ce que la Syrie exige de la Russie, ni ce que cette dernière propose de son côté pour pouvoir maintenir sur le territoire Syrien sa base aérienne de Hmeimim (Latakia) et sa base navale de Tartus. Pour la première fois, il a été question de livrer Assad à la Syrie, mais également de compensations financières pour la reconstruction du pays, dont la ruine est largement imputable à l’intervention russe depuis 2015. A ce jour, les pourparlers semblent au point mort.

Pas de grande nouvelle du côté des Etats-Unis. Donald Trump, occupé à donner des coups de tronçonneuse tout autour de lui, semble relativement désintéressé par la question syrienne. D’une semaine à l’autre, ses déclarations sur le retrait potentiel des 2000 militaires américains de Syrie changent du tout au tout. On ne peut qu’attendre de savoir ce que sera la prochaine lubie de Trump…

Enfin, alors que la Turquie fait tout pour sauver sa guerre contre les Kurdes au Nord du pays, Israël poursuit irrémédiablement son expansion au Sud, affirmant vouloir se maintenir de façon indéterminée ou illimitée selon les traductions des déclarations du ministère israélien de la Défense. Déjà, les résidents témoignent de l’impact considérable que l’occupation militaire a sur l’agriculture et l’écosystème de la région, incluant les principales réserves d’eau du Sud de la Syrie, des milliers d’hectares de champs, potagers et cultures de fruits, sans compter plus de 10 000 ruches d’apiculteurs déjà menacées par le changement climatique… Israël est une calamité à tous points de vue.

Mais désormais, des manifestations s’organisent à Damas et dans la province envahie de Quneitra. Le 1er février, pour la première fois un groupe armé se faisant appeler « Résistance Populaire Syrienne » a tiré sur l’armée israélienne dans le village de Turnejeh.

La Chronique Syrienne d’Interstices-Fajawat, 24 janvier 2025

CHRONIQUE ECRITE EN COLLABORATION AVEC LE COLLECTIF/MEDIA “CONTRE ATTAQUE

Situation sécuritaire sous l’Administration des Opérations Militaires (HTS)

 L’Observatoire Syrien des Droits Humains recense 147 meurtres depuis le début de l’année, ainsi que plusieurs enlèvements, dont l’écrivaine et opposante Rasha Nasser al-Ali.

L’Administration des Opérations Militaires de HTS poursuit ses campagnes de sécurisation dans les régions centrales et côtières de Syrie, et notamment à Homs où ses interventions se sont soldées par des exécutions sommaires, ainsi que des violences à l’encontre des résidents et des dizaines d’arrestations.

Des manifestations se sont tenues dans plusieurs villes pour exiger la libération d’une partie des 9000 personnes arrêtées par HTS depuis le 8 décembre, dénonçant l’absence de preuves justifiant leur maintien en détention et le fait certains d’entre eux soient détenus alors qu’ils avaient passé des accords de « réconciliation ».

De nombreuses démarches volontaires de réconciliation sont refusées par HTS sous prétexte que les candidats se présentent sans remettre d’arme. L’amende de 100 dollars imposée à ceux qui se présentent sans leur arme incite des candidats à acheter des armes pour pouvoir être admis aux centres de réconciliation.

Relations internationales et relance économique

Les principales actions du gouvernement transitoire portent sur les relations diplomatiques et le développement de l’économie, sa grande priorité étant l’obtention de la levée des sanctions qui continuent d’accabler le pays en échange d’une libéralisation à marche forcée de l’économie syrienne.

Le ministre de l’économie continue de rencontrer des hommes d’affaires Syriens qui se sont enrichis sous le régime d’Assad, affirmant que la « propriété privée étant sacrée » leur argent ne serait pas confisqué. En parallèle le ministre des affaires étrangères Al-Shaibani s’est rendu au Forum Economique Mondial de Davos pour plaider la conversion de la Syrie à l’économie de marché, affirmer les 5 axes majeurs de réforme (l’énergie, les télécoms, les transport, l’éducation et la santé) et annoncer la privatisation de la production de pétrole, de coton et de meubles.

Tandis que l’Allemagne appelle la Russie à se retirer de Syrie, le contrat de 49 ans signé en 2019 entre la Syrie et l’entreprise russe Stroytransgaz pour la gestion du port de Tartous a été rompu, permettant de réduire de 60% la plupart des taxes sur les marchandises entrantes. Dans le même temps les compagnies aériennes Syrienne, Turque, Qatari et Jordanienne organisent la reprise des vols entre Damas, la Turquie, la péninsule arabique et l’Europe. Cette dernière annonce l’envoi de 235 millions d’euros d’aide humanitaire.

Alors que 195 200 réfugiés sont déjà rentrés en Syrie, la pression sur l’économie augmente. Si globalement les prix alimentaires sont en légère baisse, celui du paquet de pain est passé de 400 à 4000 livres syriennes, le besoin en boulangeries supplémentaires pour le pays étant estimé à 160 en plus des 250 existantes. Ce sont actuellement 5000 tonnes de pain qui sont produites par jour.

Transition politique et sociale, Enquête sur les crimes d’Assad

Alors que Al-Sharaa a rencontré le procureur de la Cour Internationale de Justice Karim Khan et la famille du journaliste Américain Austin Tice, disparu depuis 2012, les familles des 130 000 autres disparus du régime d’Assad continuent d’être ignorées par le gouvernement transitoire. La Commission Internationale pour les Personnes Disparues basée à La Haye a recensé 66 fosses communes à travers le pays, dont la principale à Al-Qutayfah (ancienne base militaire russe) contiendrait près de 100 000 corps appartenant aux détenus exécutés dans la prison de Saydnaya.

Concernant ses efforts pour exposer les crimes d’Assad, HTS a préféré communiquer largement sur la découverte et la destruction de 100 millions de pilules de captagon et de 15 tonnes de hashish saisis sur plusieurs sites précédemment sous contrôle de la 4ème Division du frère de Bachar al-Assad, Maher.

Bachar al-Assad a par ailleurs été visé par un second mandat d’arrêt international de la Justice française pour le bombardement de Deraa en 2017, après celui délivré en 2023 pour les attaques chimiques de Adra, Douma et de la Ghouta orientale en 2013. La France va-t-elle demander à la Russie de lui livrer Bachar ?

Le conflit avec l’Administration Autonome du Nord-Est

La tension entre HTS et l’Administration Autonome du Nord-Est (AANES) est montée d’un cran malgré les pourparlers en cours. Après avoir rejeté la demande du commandant des SDF Mazloum Abdi de pouvoir constituer un « bloc » à part entière au sein de la nouvelle armée syrienne et de rendre l’accès à une partie des ressources pétrolières de la région, le ministre de la défense Abu Qasra a déclaré « on ne veut pas le pétrole, on veut [le contrôle sur] les institutions et les frontières » avant de se dire « prêt à utiliser la force ». HTS a d’ailleurs commencé à envoyer des troupes à Deir Ezzor, Raqqa et près du barrage de Tishrin où les combats entre les SDF et les milices pro-Turques se poursuivent. On dénombre 474 morts dans cette confrontation depuis le 12 décembre, dont 51 civils, 348 miliciens pro-Turcs et 75 membres des SDF et groupes affiliés.

Dans les discussions en cours, les principaux défis et points de litige concernent le maintien de la lutte contre les poches de l’Etat Islamique, qui a repris de la force, mais aussi la gestion et l’évacuation des camps de Al-Hol et Al-Roj où sont détenus encore 35 000 membres et familles de l’Etat islamique, dont près de 15 000 combattants. A l’issue de négociations avec le commandement US, la France et le gouvernement iraqien, l’AANES a libéré 150 familles de l’Etat Islamique détenues à Al-Hol et annonce le retour volontaire de 66 autres familles chez elles en Syrie, sans qu’on sache si HTS est partie prenante de cet accord. L’Iraq prévoit le rapatriement de 10 000 de ses citoyens dans le cadre de ces mêmes accords.

La colonisation Israélienne dans le Sud-Ouest

Au Sud du pays enfin, Israël continue d’avancer sur le territoire Syrien sans que rien ni personne ne l’en empêche, volant ainsi à la Syrie une zone s’étendant sur 235 kilomètres carrés. Après être entrée dans deux nouvelles localités, l’armée israélienne a établi 7 nouveaux checkpoints et baraquements militaires, persistant ainsi à accomplir son projet de « zone tampon » lui permettant d’exercer un contrôle militaire sur 15 à 60 kilomètres en aval de sa frontière antérieure.

La chronique Syrienne d’Interstices-Fajawat, 17 janvier 2025

CHRONIQUE REDIGEE EN COLLABORATION AVEC LE COLLECTIF/MEDIA « CONTRE ATTAQUE« 

On ne peut parler de la Syrie sans parler de la Palestine. A l’heure où Israël accepte à reculons un cessez-le-feu à Gaza, après avoir violé à de nombreuses reprises celui en vigueur au Liban, il semble que ses ambitions coloniales ont juste déplacé la ligne de front vers Jenine en Cisjordanie et Quneitra en Syrie.

On évoquait dans nos dernières chroniques le silence complice du président intérimaire Syrien al-Sharaa, mais plutôt que de complicité, il semblerait plus juste de parler de « position non-hostile » : le gouvernement de transition et la société syrienne ne peuvent tout simplement pas assumer une nouvelle guerre avec Israël et ses alliés. Notamment après qu’Israël aie détruit 80% du matériel militaire syrien dans sa campagne de bombardement massif (plus de 600 roquettes) de sites militaires du pays dans les heures qui ont suivi la chute de Bachar al-Assad.

Mais Israël ne semble pas vouloir s’arrêter là. Depuis la semaine dernière les tanks israéliens ont envahi sept nouveaux villages Syriens et, après s’être vanté de voler du matériel militaire en Syrie, Israël a bombardé pour la première fois un convoi des nouvelles autorités Syriennes, tuant deux personnels de sécurité de HTS et le mukhtar (maire) du village de Deir al-Bustan où ceux-ci étaient venus collecter les armes en circulation dans le cadre des opérations de démilitarisation du pays. Pour la première fois, le ministre des affaires étrangères d’HTS a condamné les agressions israéliennes et appelé la communauté internationale à mettre un terme aux violations commises par Israël. Mais qui peut et qui va stopper Israël ?

Pendant ce temps, HTS a réuni les factions palestiniennes de Syrie (FPLP-CG, Fatah-Intifada, Al-Sa’iqa, Jerusalem Brigade, Free Palestine Movement et Palestine Democratic Movement), en présence du Hamas, pour négocier les conditions de leur reddition. HTS a procédé à l’arrestation de plusieurs de leurs membres accusés d’avoir commis des crimes aux côtés du régime d’Assad, tandis que leurs principaux leaders se sont enfuis au Liban. En parallèle, l’ambassade de Palestine à Damas, ainsi que la plupart des organisations civiles et caritatives palestiniennes en Syrie ont pu continuer ou reprendre leurs activités. A l’instant même où cette chronique est finalisée une grande manifestation populaire et spontanée contre l’invasion israélienne et en solidarité avec Gaza est en cours à Damas, ce qui n’a jamais eu lieu en cinquante ans sous le régime d’Assad. Pour suivre l’actualité des Palestiniens de Syrie, consulter le site https://www.actionpal.org.uk/

Concernant la situation sécuritaire de la Syrie sous contrôle de HTS, force est de constater que de nombreux crimes contre des civils sont commis, rendant impossible de faire la distinction entre les actes de vengeance individuels, l’épuration des anciens éléments du régime d’Assad et la criminalité ordinaire, qui continue de se développer sur fond de crise économique sévère. On a notamment vu reprendre le trafic de drogues vers la Jordanie, qui a bombardé plusieurs maisons au sud de Suwayda le 15 janvier sous prétexte de cibler des trafiquants.

Le Commandement militaire du gouvernement de transition a lancé une nouvelle campagne d’arrestations dans la région de Homs, où par ailleurs six civils alaouites ont été exécutés et leurs maisons incendiées le 14 janvier par des individus non identifiés. Les violences et manifestations se poursuivent également dans la région côtière de Latakia, où la population accuse HTS de commettre des crimes contre des civils et demande l’expulsion des combattants étrangers, notamment ceux du Parti Islamique du Turkistan. A Jableh le 14 janvier, un groupe armé pro-Assad a kidnappé sept membres de HTS et publié une vidéo menaçant de les exécuter, avant d’être intercepté et leurs otages libérés. HTS a également arrêté une figure locale, générant de nouvelles manifestations à Jableh ce vendredi. Enfin, HTS est accusé d’avoir perquisitionné avec violence les locaux de la « Maison du peuple » kurde de Zour Ava à Damas, mais sans qu’aucune arrestation ne soit déplorée.

Tandis que le conflit entre les forces pro-Turques de la SNA et l’alliance kurdo-arabe des SDF-YPG se poursuit sans évolution notable au niveau du barrage de Tishrin entre Manbij et Kobane, des nouvelles horrifiantes de crimes commis par les milices affiliées à la SNA, et notamment les groupes Suleiman Shah (« Al-Amshat ») et Hamza Division (« Al-Hamza »), continuent d’être transmises quotidiennement à l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme (SOHR). Entre autres crimes et larcins, ces groupes sont accusés de vols et pillages, ainsi que de kidnappings avec demande de rançon dans les régions d’Afrin, Alep et Manbij, pour des sommes allant de 850 à 2000$ par otage. Le groupe Suleiman Shah est également responsable du recrutement de centaines de combattants envoyés au Niger, en Lybie et au Haut-Karabakh pour défendre les intérêts de la Turquie en échange d’une paie mensuelle misérable de 1500 livres turques.

Sur le plan politique le processus de transition se poursuit lentement, avec des signes toujours aussi contradictoires. Si la liberté d’expression et de réunion est bien réelle, de nombreuses manifestations publiques pouvant se faire sans entraves, tous les sens des Syriens restent en alerte. Des affiches prônant la ségrégation Hommes/Femmes et condamnant le blasphème ont par exemple été vues collées dans les transports à Homs et Damas tandis qu’un acteur célèbre, Abdel Men’am Amayri, a été accusé de blasphème et violemment frappé dans la rue par des hommes de HTS. Si ces éléments ne suffisent pas pour tirer des conclusions hâtives sur l’évolution à venir de la société syrienne, ce sont cependant des signaux que l’ensemble des Syriens devraient juger assez sérieux pour garder Al-Sharaa et HTS bien à l’œil au cours de la période cruciale de trois mois qui s’ouvre avant l’ouverture de la conférence nationale pour la transition.

Dans une interview, al-Sharaa a notamment prononcé des mots qui ne sont pas du meilleur augure, affirmant que pour HTS la révolution était accomplie et que « un état d’esprit révolutionnaire peut renverser un régime mais ne peut pas construire un État », trahissant sa volonté de garder la pleine maîtrise de la transformation politique du pays, sans forcément laisser le pluralisme gêner ses ambitions. La révolution syrienne de 2011 semble faire partie pour lui d’un passé frivole qu’il s’agit maintenant de laisser derrière soi, lui qui n’a jamais participé aux manifestations syriennes de l’époque, trop occupé à combattre pour l’Etat islamique en Iraq…

La chronique Syrienne d’Interstices-Fajawat, 10 janvier 2025

CHRONIQUE REDIGEE EN COLLABORATION AVEC LE COLLECTIF/MEDIA « CONTRE ATTAQUE« 

Pour le premier jour de l’année 2025, le gouvernement de transition Syrien a effectué sa première sortie diplomatique à l’étranger pour rendre visite au gouvernement Saoudien, puis à ses voisins Qataris et Emiratis. HTS a ainsi envoyé un message clair et fort au monde entier, faisant de l’Arabie Saoudite et du Qatar, en plus de la Turquie, ses partenaires prioritaires dans la reconstruction du pays. Les moyens nécessaires au relèvement de la Syrie sont en effet estimés à près de 400 milliards de dollars. Dès les jours suivants, l’Arabie Saoudite a envoyé plusieurs cargaisons d’aide humanitaire par avion à Damas, puis un convoi de 60 camions d’aide est entré par la frontière Jordanienne le 5 janvier, tandis que le Qatar et la Turquie ont envoyé deux « powerships » vers la côte Syrienne (centrales électriques flottantes) pour fournir 800 MW d’électricité à la Syrie (+50%). La Jordanie se dite prête à fournir elle-aussi de l’énergie à son voisin. Le manque d’électricité et son rationnement par le régime d’Assad était en effet l’un des problèmes majeurs de la société Syrienne.

Après avoir annoncé la reconnexion de la Syrie à l’économie de marché, il faut s’attendre à ce que le gouvernement de transition applique des mesures ultra-libérales visant à réduire au maximum les dépenses du nouvel Etat et favoriser l’investissement privé. C’est ce qui explique peut-être le licenciement sans préavis de centaines d’employés du secteur public hospitalier à Tartous et Alep, ainsi que d’une fabrique nationalisée de chaussures à Suwayda ces derniers jours, entraînant des manifestations de colère spontanées dans les trois provinces.

Autant dire que la période qui s’ouvre s’annonce tendue, surtout que les opérations de sécurisation lancées à Tartous, Homs et à Damas au cours de la semaine passée n’ont pas été aussi consensuelles et tranquilles qu’on a pu le penser. L’observatoire Syrien des Droits Humains (SOHR) a recueilli les nombreuses preuves et témoignages de violences commises par les forces de HTS lors de leurs opérations coups de filet pour arrêter les officiers et agents du régime déchu : perquisitions agressives, brimades et violences physiques à l’encontre de centaines de résidents, ainsi que des personnes arrêtées. Pour l’opération à Homs qui a duré cinq jours, HTS a arrêté 1450 personnes, sans qu’on connaisse la réalité des charges portées contre elles. Surtout, ces opérations ont donné carte blanche à des groupes autoproclamés rebelles ou affiliés à HTS, pour persécuter et assassiner des civils. SOHR comptabilise ainsi 214 meurtres depuis le 8 décembre, comme celui de trois paysans à Jableh (Latakia) qui a entraîné une manifestation de plusieurs milliers de personnes demandant l’expulsion des combattants étrangers (ici des Tchétchènes et Pakistanais).

La société Syrienne a cruellement besoin de la mise en œuvre d’une justice transitionnelle, accompagnée de solides processus de réconciliation. Alors que quatorze fosses communes ont été découvertes, comptabilisant à ce jour 1582 corps identifiés, des mesures ont enfin été prises pour gardienner les prisons d’Assad et préserver leurs archives, suite à la demande insistante des familles de disparus. Mais désormais à ces familles s’ajoutent également des centaines d’autres, qui ont manifesté en nombre à Damas le 6 janvier pour exiger de connaître le sort de près de 9000 soldats de l’anciens régime arrêtés depuis sa chute, dont 2000 renvoyés en Syrie par les autorités iraqiennes après leur fuite. Si en effet plusieurs milliers de soldats d’Assad sont passés au cours des trois dernières semaines par les « Centres de réconciliation » pour rendre leurs armes, être répertoriés dans le cadre d’éventuelles poursuites judiciaires, avant d’être réincorporés dans la société civile (sous Assad, les soldats se voyaient confisquer leur carte d’identité civile, remplacée par une carte d’identité militaire), nombreux sont ceux qui restent détenus sans que le gouvernement de transition ne veuille donner leurs noms et lieux de détention. Enfin, et c’est sans doute la plus grande ironie de l’histoire, des familles de la région d’Idleb manifestent elles aussi pour demander la libération de leurs proches, emprisonnés par HTS avant la chute du régime pour leur appartenance à Hizb ut-Tahrir, un groupe salafiste reprochant à Joulani d’abandonner le projet de califat islamique (sic).

D’autres événements agitent la nouvelle vie politique Syrienne, notamment dans les deux régions du Sud de la Syrie. A Deraa le leader de la 8eme Brigade, créée par la Russie à partir des groupes rebelles de la région dans le cadre d’accords de reddition signés en 2018, refuse de désarmer ses hommes et d’intégrer la nouvelle armée syrienne. A Suwayda deux des principales factions locales se sont alliées et ont également refusé, par la voie du sheikh spirituel de la province, de céder leurs armes et de rejoindre la nouvelle armée syrienne sans garanties d’une transition démocratique et laïque réelle à la fin de la période de transition. Si cette décision semble surprenante concernant les factions de Deraa, qui sont issues de la majorité sunnite, elle l’est beaucoup moins de la part de la minorité Druze de Suwayda, dont la survie a toujours dépendu de ses moyens d’autodéfense et de ses liens de solidarité avec les Druzes du Mont Hermon (occupé par Israel depuis le 8 décembre) et du Mont Liban (les libanais sont interdits d’entrée en Syrie depuis le 3 janvier). Les Druzes ne peuvent pas mettre en péril leur sécurité face à un appareil militaire entièrement entre les mains d’anciens (pas si anciens) jihadistes[1]. Leur défiance est donc totalement légitime.

Toujours dans le Sud du pays, Israel a saisi de nouveaux villages, ainsi que l’important barrage de Mantara dans la province de Quneitra, n’hésitant pas à détruire des maisons et infrastructures, tout en exerçant des violences contre les résidents. Un journaliste français, Sylvain Mercadier, et son fixeur Syrien ont été arrêtés le 8 janvier et violentés lors de leur détention, avant d’être libérés. Israel affirme vouloir se maintenir jusqu’à la fin de l’année 2025, mais tout indique que son intention est d’occuper durablement le territoire et de mener également une « guerre de l’eau » contre les Syriens. A l’heure où on rédige cette chronique, on apprend également la détention de cinq réfugiés Palestiniens par la branche syrienne du Fatah à Damas alors qu’ils prenaient part à une manifestation devant l’ambassade de Palestine pour protester contre le siège en cours à Jenine. Non contentes d’avoir collaboré avec le régime d’Assad, les factions politiques Palestiniennes semblent jouir d’une impunité favorisée par les silences de HTS concernant Israel.

Un autre obstacle à la volonté hégémonique de HTS est incarné par les Forces Démocratiques Syriennes et leurs alliées Kurdes autonomistes du Rojava. Depuis fin décembre, la ligne de front entre elles et les mercenaires jihadistes pro-Turquie de la SNA appuyés par l’aviation, l’artillerie et les drones Turcs, s’est cristallisée autour du barrage de Tishrin sur l’Euphrate et les combats ont causé la mort de 56 combattants des SDF et 199 de la SNA. Sans compter les nombreuses victimes civiles, dans les zones contrôlées par les jihadistes où les persécutions et exécutions arbitraires sont monnaie courante, mais aussi de l’autre côté de l’Euphrate du fait des bombardements quotidiens. Au-delà de la résistance acharnée des SDF, le facteur véritablement déterminant est et restera la position des Etats-Unis dans le conflit. Le 3 janvier, l’armée étasunienne a renforcé son contingent à Kobane et il est question d’une démilitarisation de la zone dans le cadre d’accords avec la France, impliquant la sécurisation de la frontière Turque par une force franco-américaine. Mais il est évident que cela ne suffira pas à mettre un terme au conflit tant que les régions au Nord d’Alep restent sous la coupe des fanatiques de la SNA. Du côté de HTS, les négociations sont toujours en cours pour une éventuelle conciliation, l’administration autonome du Nord-Est Syrien ayant réaffirmé sa volonté d’intégration au sein d’un Etat national unifié.

Au regard de ces rapports de forces, mais aussi de la diversité et des spécificités régionales qui caractérisent la société syrienne, seul un modèle de gouvernance décentralisée permettant une plus grande participation locale dans la prise de décision peut garantir la paix sociale. Faudrait-il encore que les sponsors étrangers de HTS l’acceptent…

[1] Rappelons que les jihadistes d’Al-Nosra avaient combattu le bataillon druse de l’armée syrienne libre en 2014, tandis que ceux de DAESH avaient massacré 258 résidents de Suwayda en 2018.

La chronique Syrienne d’Interstices-Fajawat, 2 janvier 2025

CHRONIQUE REDIGEE EN COLLABORATION AVEC LE COLLECTIF/MEDIA « CONTRE ATTAQUE« 

Notre chronique précédente était publiée alors même qu’une opération militaire d’envergure était lancée par HTS dans les régions de Homs et Tartus pour arrêter un certain nombre d’anciens officiers et hommes de main loyaux envers le régime déchu d’Assad. Ces miliciens réfugiés dans les régions côtières à majorité Alaouites (la minorité religieuse dont est issue le clan Assad) avaient en effet commencé à propager des menaces et à agiter la population sur fond de fake news, accusant HTS d’avoir délibérément incendié un lieu sacré pour les Alaouites à Alep. Si le lieu saint a en effet été attaqué le 5 décembre lors de l’offensive contre le régime, HTS avait immédiatement condamné l’action et promis de punir les responsables, ce qui est sensiblement différent de ce qu’affirment les nostalgiques d’Assad prétendant que HTS organisait l’épuration ethnique des Alaouites. Dans les faits, les images de violences qui ont circulé montraient des miliciens du régime déchu se faire maltraiter lors de leur arrestation, tandis que des responsables religieux et civils Alaouites ont rencontré les responsables de HTS et publié des communiqués pour invalider les rumeurs de persécutions.

Ces tensions sur fond de sectarisme nous font oublier que la majorité de la population Alaouite de Syrie souffrait elle aussi de la dictature d’Assad et qu’une tentative d’insurrection était même partie de la communauté Alaouite en août 2023 (Mouvement du 10 août*), aussitôt réprimée par le régime, avant de trouver un écho dans la région de Suwayda. Depuis deux semaines, des comptes occidentaux et/ou pro-Assad propagent également de la désinformation et des rumeurs concernant la persécution et le massacre des Chrétiens de Syrie, ce qui est tout simplement faux. Il semble qu’une partie du monde ne veut pas laisser les Syriens en paix et trouve un intérêt ou du plaisir à faire circuler des images d’atrocités, qui nient notre besoin de guérir de décennies de traumatismes. Nos cauchemars font leurs fantasmes. Cela ne nie pas le fait qu’il y ait des actes de vengeance et de violences isolés, ce qui n’est pas surprenant au sortir d’une dictature sanglante d’une demi-siècle. Pour démêler le vrai du faux et pour faire face aux rumeurs, nous invitons quiconque à suivre le compte @VeSyria / https://verify-sy.com/en

Sur le plan sécuritaire toujours, Al-Shara’a (aka Al-Joulani) a continué de récompenser ses lieutenants en leur confiant des responsabilités au sein du nouvel appareil militaire. Le Ministre de la Défense, ainsi que le Chef du renseignement ont été nommés, suivis d’une liste d’une cinquantaine de nominations au sein du nouveau Ministère de la Défense, tous d’anciens compagnons de route de HTS et d’Al-Qaeda avant lui, incluant au moins sept combattants étrangers, dont trois Ouïghours, un Turc, un Jordanien, un Egyptien et un Albanais.

Sur le plan politique, l’autorité de transition a nommé une première femme au gouvernement, Aisha Aldebs, en tant que chargée de la condition des Femmes. Ce qui apparaissait comme un signe encourageant a immédiatement été terni par ses premières déclarations, extrêmement conservatrices, qui suscitent depuis une semaine de fortes polémiques dans la société Syrienne, ainsi que des réactions virulentes dans les médias. Dans la foulée, Al-Shara’a semble avoir voulu ajuster le tir en nommant d’autres Femmes à des postes de responsabilité : Maysaa Sabrine, comme gouverneure de la Banque Centrale Syrienne, Diana Elias Al-Asmar (Chrétienne) comme Directrice de l’Hôpital Universitaire pour Enfants de Damas, et enfin Mohsena Al-Maithawi (Druze), comme gouverneure de la région de Suwayda, ce qui était une demande de la communauté Druze. En parallèle, le journaliste et compagnon de route de HTS Mohammed Al-Faisal a été nommé porte-parole du gouvernement de transition.

Al-Shara’a a également annoncé des délais pour la rédaction d’une nouvelle constitution et la tenue d’élections, déclarant qu’il faudrait entre 3 et 4 ans pour garantir l’application de la résolution 2254 de l’ONU pour une transition démocratique en Syrie. Au regard de l’état catastrophique de la société et des institutions syriennes, ces délais semblent réalistes, bien que l’inquiétude reste grande par rapport à la gestion des affaires publiques par le gouvernement transitoire sur cette longue période. Si d’un côté Shara’a a rejeté l’option fédéraliste et justifié son choix de ne nommer que des responsables proches de HTS, il rassure néanmoins ses interlocuteurs et détracteurs en promettant la dissolution à venir de HTS dans le cadre de la Conférence Nationale pour le Dialogue qui débutera le 5 janvier prochain. Une réunion préliminaire de la conférence s’est tenue le 28 décembre, mais elle a été vertement critiquée pour le faible nombre de Femmes (3 sur plus de 100 personnes) et de Jeunes parmi les participants, mais aussi pour la superficialité des échanges qui y ont eu lieu. La manière dont les participants sont choisis et invités reste vague. Le réseau Madaniyya, constitué de plus de 150 organisations de la société civile Syrienne attachées aux principes de la révolution de 2011 et qui a rencontré déjà nombre de délégations étrangères, attend par exemple d’être prise en considération par le gouvernement transitoire et la conférence nationale pour le dialogue.

Parmi les angles morts de cette transition se trouve donc toujours la condition des Femmes, ainsi que celle des milliers de disparus et de leur proches dans l’attente, qui ne se sont vus proposer aucun soutien concret ni aucune perspective de justice ou de réparation. Nombre d’associations et de groupes de défense des droits humains ont commencé à dénoncer le fait que les prisons et leurs archives n’ont pas été mises sous protection au cours des deux semaines passées, faisant l’objet de destructions et de vols. Cette négligence évidente interroge sur la réelle volonté du nouveau pouvoir de creuser en profondeur dans les secrets du régime déchu. Silence aussi sur le sort des communes Syriennes occupées par Israël et la Turquie, ainsi que sur celui de la communauté Druze de Suwayda qui bénéficie d’une autonomie de fait depuis quelques années. Silence encore sur les bases militaires russes, dont le retrait total n’est pas évoqué, alors que la Russie a passé les dix dernières années à participer au massacre des communautés Syriennes. Al-Shara’a a au contraire déclaré vouloir respecter les intérêts stratégiques russes dans la région, a priori au même titre que ceux de la Turquie, d’Israël et des Etats-Unis.

Pour conclure, l’un des principaux « nœuds Gordiens » de la Syrie post-Assad reste lié au sort des populations Kurdes, et plus particulièrement celui du projet autonomiste du Rojava. Les Forces Démocratiques Syriennes réussissent péniblement à contenir les assauts des milices pro-Turques sur les rives de l’Euphrate et les ont fait reculer vers la périphérie de Manbij, tandis que l’administration autonome du Nord-Est Syrien a entamé des négociations avec HTS, le président turc Erdogan permettant même à une délégation du parti turc pro-Kurde, le DEM, de rencontrer le leader kurde du PKK Adbullah Öcalan dans la prison d’Imrali où il est à l’isolement depuis 1999. Au cœur de la négociation se trouve l’éventuelle démilitarisation des forces kurdes, voire leur fusion avec la nouvelle armée nationale syrienne. Non pas sans garanties sérieuses de la part du nouveau pouvoir à Damas…

 

* https://en.majalla.com/node/297431/politics/alawite-protest-movement-emerging-syrias-coastal-areas ; https://syriadirect.org/where-does-latakia-stand-on-suwaydas-movement/