La communauté Druze de Syrie a subi au cours de la semaine passée une attaque sans précédent de la part de groupes armés sectaires et islamistes, avec le soutien passif du nouveau gouvernement de Damas.

Nous sommes actuellement en Syrie, au plus près des événements. Voici notre description des faits et notre analyse.

27 AVRIL

Un faux enregistrement a circulé sur les réseaux sociaux, dans lequel on entend une voix non identifiée insulter le prophète Mahomet, provoquant des émeutes sectaires de la part des islamistes de l’université de Homs, dirigés par l’étudiant en génie pétrolier Abbas Al-Khaswani.

Cet agitateur islamiste a tenu un discours haineux visant plusieurs communautés religieuses dont les Druzes, les Alaouites et les Kurdes. À la suite de ce discours, des dizaines de personnes scandant des slogans sectaires et haineux ont manifesté dans l’enceinte de l’université et agressé des étudiants non musulmans.

Le vieux cheikh druze Marwan Kiwan, accusé d’être l’auteur de l’enregistrement, a rapidement démenti cette accusation. Il est rappelé que Mahomet n’est pas seulement un prophète pour les musulmans sunnites, mais aussi pour les Druzes.

L’autorité non élue de Damas a publié un communiqué de presse peu convaincant dans lequel elle a remercié les émeutiers pour leurs efforts en vue de défendre leur prophète, au lieu de les tenir pour responsables des troubles dangereux qu’ils ont provoqués.

Abbas Al-Khaswani n’est pas un étudiant en études islamiques et a été identifié comme l’un des auteurs armés des attaques sur la côte syrienne deux mois plus tôt. Il n’a pas été arrêté et est retourné le lendemain à l’université où lui et ses collègues ont menacé la vie d’autres étudiants.

29 AVRIL

L’authenticité de l’enregistrement qui a déclenché des émeutes racistes et sectaires deux jours plus tôt a été démentie par le ministre syrien de l’intérieur, mais la Sûreté générale n’a rien fait pour empêcher le déroulement des événements ultérieurs.

Ainsi, des groupes armés d’origine inconnue ont attaqué la ville de Jaramana, prenant pour cible ses habitants et les factions d’autodéfense locales druzes.

La Sûreté générale est intervenue et aurait été prise pour cible par les factions locales, alors que la différence entre les premiers attaquants et les membres de la Sûreté générale reste floue. Les habitants ont identifié les attaquants inconnus comme étant des factions tribales de la tribu Al-Uqaydat de Deir Ez-Zor.

17 SYRIENS ONT ÉTÉ TUÉS, la plupart parmi les assaillants. Tous ont ensuite été présentés comme des membres de la Sûreté générale et les factions locales comme responsables des affrontements.

Rappelons que Jaramana n’est pas un quartier druze mais qu’il représente la diversité du tissu social syrien, incluant des réfugiés de Palestine et d’Irak.

30 AVRIL

Suivant un scénario similaire à celui de Jaramana, des groupes armés d’islamistes de Dera’a, Deir Ez Zor et Ghouta ont attaqué les villes de Sahnaya et Ashrafiyeh, prenant pour cible leurs habitants et les factions locales d’autodéfense druzes. 

45 SYRIENS ONT ÉTÉ TUÉS, la plupart appartenant à la communauté druze, dont 10 civils exécutés sommairement. Parmi eux se trouvait le maire de la ville, Hussam Warwar, accompagné de son fils Haider. Il avait pourtant été vu en train d’accueillir les forces de la Sûreté générale quelques heures avant son assassinat.

Rappelons que Sahnaya et Ashrafiyeh NE SONT PAS uniquement des quartiers druzes.

Des factions druzes de Suwayda ont quitté le gouvernorat pour secourir leur communauté attaquée à Sahnaya-Ashrafiyeh, mais elles sont tombées dans une embuscade près de Braq, sur la route de Damas, tendue par des groupes mixtes de tribus locales, d’islamistes de Dera’a et de Deir Ez Zor, mais aussi d’éléments de la Sûreté générale. Une vidéo les montre clairement en train d’ouvrir le feu alors qu’ils se tenaient côte à côte.

42 SYRIENS ONT ÉTÉ TUÉS, la plupart appartenant aux factions druzes, la communauté de Salkhad étant particulièrement touchée, avec 11 martyrs appartenant aux factions d’autodéfense Quwaat Alya’ et Quwaat Sheikh al-Karami, y compris leur chef Amjad Baali.

1er MAI

Au cours de la nuit, des groupes armés d’origine inconnue ont attaqué les villes d’As-Soura al-Kabira, Al-Thala, Ad-Dour, ‘Ira, Kanaker et Rsas, entraînant de violents affrontements avec les factions d’autodéfense locales et le bombardement de maisons civiles.

Toutes les factions de Suwayda, composées de plus de 80 000 combattants, ont été mises en état d’alerte et se sont déployées dans tous les points stratégiques du gouvernorat.

Dans la soirée, la Sûreté générale a encerclé le gouvernorat, prétendument pour prévenir toute nouvelle attaque en provenance de Dera’a. Cependant, plusieurs groupes armés ont attaqué les villes de Labin, Harran, Ad-Dour et Jreen, où ils se sont heurtés à une forte résistance qui a entraîné la mort de la plupart des assaillants. Le nombre de victimes n’est pas connu, mais les assaillants ont été identifiés comme appartenant aux tribus locales.

L’autorité centrale de Damas a fait pression sur les dirigeants de la communauté druze pour qu’ils acceptent le désarmement des factions locales, injustement accusées d’être à l’origine des troubles. Dans la nuit, ces derniers ont publié un communiqué pour informer de l’accord conclu, mais son contenu et ses signataires sont restés incertains jusqu’au lendemain, des informations contradictoires et erronées ayant été diffusées.

Israël a profité de la situation pour menacer la Syrie et a bombardé le palais présidentiel de Damas, prétendument pour « lancer un avertissement » aux autorités syriennes en cas de menaces à l’encontre des Druzes.

2 au 4 MAI

Le 2 mai, un drone israélien survolant Suwayda a pris pour cible une ferme à Kanaker, tuant 4 de ses habitants druzes. L’un d’entre eux, Issam Azam, était connu pour soutenir activement les manifestations de la place de la Dignité contre le régime d’Assad. La nuit suivante, des avions israéliens ont lancé une série de frappes sur des sites militaires à Dera’a, Damas et Hama.

Le 3 mai, Khaldun Sayah Al-Mahithawi, un avocat druze impliqué dans la négociation de la libération d’un autre avocat kidnappé au nord de Suwayda, a été assassiné à Aqraba, près de Jaramana. Le même jour, les 11 martyrs de Salkhad ont été enterrés à l’issue d’une cérémonie rassemblant des milliers de personnes dans leur ville natale, en présence de l’émir Hassan al-Atrash et du cheikh d’Aql Hammoud al-Hennawi.

Le 4 mai, les dirigeants druzes ont publié une déclaration en cinq points prévoyant l’activation de la police et de la sécurité générale dans le gouvernorat de Suwayda, à condition que ses membres soient tous originaires de la région, ainsi que la sécurisation de la route de Damas et un cessez-le-feu dans toutes les zones touchées par les affrontements de ces derniers jours.

Laith Al-Balous, le leader de la faction « Madhafe al-Karami » activement impliqué dans la négociation de l’entrée de la Sûreté générale dans le gouvernorat de Suwayda, a été chassé de sa ville de Mazra’a par les habitants après que celui-ci ait ouvert l’accès à plusieurs véhicules de la Sûreté générale.

5 MAI

Dans la journée, des affrontements entre des tribus locales et des factions druzes étaient toujours en cours dans les environs d’al-Thala et d’Harran à Suwayda.

Après le retrait de la Sûreté générale de la ville d’As-Soura al-Kabiri, la police de Suwayda est entrée dans la ville avec le gouverneur Mustafa Bakur et a trouvé plusieurs maisons brûlées et pillées, ainsi que le sanctuaire druze.

Il est à noter que la seule ville où des maisons ont été pillées et vandalisées à Suwayda est aussi la seule où les forces de la sécurité générale ont été déployées.

Parallèlement, des rumeurs ont circulé selon lesquelles les factions druzes menaçaient les mosquées, alors qu’elles s’étaient déployées au contraire pour protéger les sites religieux musulmans. Plusieurs imams de la région et des représentants de tribus bédouines locales ont démenti ces rumeurs de menaces sectaires des Druzes envers les musulmans, réaffirmant la coexistence pacifique au sein du gouvernorat et la nécessité de lutter contre les « fake news » et l’incitation sectaire sur les réseaux sociaux.

ELEMENTS CLES

 

– L’enregistrement qui a déclenché la flambée sectaire était un faux et le responsable des émeutes racistes à l’université de Homs n’a pas été arrêté ;

– Les seuls responsables sont les groupes armés d’obédience salafiste, mais à aucun moment ils n’ont été nommés par les autorités, tandis que leurs membres tués dans les affrontements n’ont pas été officiellement identifiés comme les attaquants ;

– La situation a été soit provoquée, soit exploitée par l’autorité centrale de Damas pour faire pression sur les factions d’autodéfense de la communauté druze et justifier leur désarmement ;

– Les leaders communautaires ayant autorité sur les tribus suspectées d’être à l’origine des attaques armées ont été récompensés par des nominations aux plus hauts postes de pouvoir dans le nouvel appareil d’État ;

– Les autorités et les médias ont encouragé ou permis une vague de haine sectaire sur les réseaux sociaux, accusant à tort les victimes d’être responsables des affrontements et d’avoir attaqué les forces de la Sûreté générale ;

– Les autorités ont encerclé la région de Suwayda, générant la peur parmi ses habitants, tout en étant incapables de garantir et de rétablir la sécurité des usagers de la route 110 vers Damas ;

– La majorité de la population ainsi que les principales factions de la région de Suwayda – celles qui existaient avant la chute du régime Assad et qui étaient légitimes au sein du mouvement révolutionnaire – rejettent l’intervention d’Israël et insistent sur l’unité avec tous les autres Syriens ;

CONCLUSIONS

 

Après une semaine de violences, le gouvernement de Damas continue de nier l’existence et l’identité des groupes armés responsables des attaques contre plus de 10 villes syriennes et leurs habitants, alors que de nombreuses sources indiquent l’implication de certaines tribus bédouines, ainsi que d’un groupe appelé « Burkan al-Furat » qui se vante même de l’assaut sur son groupe Telegram.

L’un des résultats inquiétants de ces trois jours est la nomination par Al-Sharaa de trois membres de la très influente confédération Al-Uqaydat des tribus bédouines d’Al-Shuhayl (Deir Ez-Zor) à des postes de responsabilité : Hussein al-Salama à la tête des renseignements, en remplacement d’Anas Khattab, Amer Names al-‘Ali à la présidence de l’Autorité centrale de contrôle et d’inspection (lutte contre la corruption) et le cheikh Rami Shahir al-Saleh al-Dosh à la tête du Conseil suprême des tribus et des clans.

On peut légitimement se demander si l’autorité de Damas a les coudées franches ou si elle subit la pression des structures de pouvoir traditionnelles qui détruisent la vie des Syriens depuis un demi-siècle ou plus. La question clé est la suivante : à qui profite le désarmement des factions d’autodéfense de la communauté druze ?

À Jaramana, les accords prévoient le désarmement progressif des factions locales, qui ont commencé à remettre leurs armes lourdes. En revanche, les groupes armés qui les ont attaqués ne sont pas tenus de rendre leurs armes…