Nous le savions, la question syrienne était le meilleur test.
Mais déjà sur les questions palestiniennes et ukrainiennes, nous avions eu l’occasion de déceler l’orientalisme qui imprègnent les sphères de gauche occidentales.
Le génocide de nos frères et sœurs Palestinien-nes nous avait donné une illusion d’unité, et nous avait laissé croire un instant que l’Occident de gauche avait enfin cerné les enjeux de la question coloniale. Excepté pour la gauche radicale allemande, engluée dans sa culpabilité chrétienne et incapable de concevoir la présence juive ashkénaze en Palestine comme l’incarnation du projet colonial et suprémaciste blanc. Oui, camarades gauchistes Allemands, le sionisme s’est inspiré dès ses premières heures des théories suprémacistes allemandes, et notamment de la théorie du Lebensraum. Herzl disait dans ses mémoires vouloir civiliser les Juifs orientaux, qu’il voyait comme des Arabes. Et les kibboutzim n’échappent pas à cet héritage, se croient-ils « socialistes ».
Mais passons. Nous pensions être unis, mais déjà les discussions à bâtons rompus sur la « résistance palestinienne » qu’incarnait le Hamas nous ramenaient à celles sur la « résistance libanaise » qu’incarnait le Hezbollah. Les forces progressistes devaient accepter de voir des forces autoritaires et ultra-conservatrices transformées en alliées, parce que le colon l’imposait à l’aide d’un apartheid, assorti d’un génocide. Comme toujours, comme en Ukraine, la guerre impérialiste nous forçait à faire des compromis insupportables avec des forces obscurantistes et corrompues qui n’attendent que d’être au pouvoir pour transformer nos sociétés déjà colonisées en cauchemar fondamentaliste. Nos oppresseurs devenaient, comme à chaque fois, l’axe de résistance au démon capitaliste américain. Grâce à l’aide américaine, grâce à son impérialisme et à ses guerres, nous devions renoncer à lutter pour notre émancipation : focus total sur la guerre. Et la guerre n’est jamais de gauche.
Aparté : rappelons-nous les écrits visionnaires de Franz Fanon.
Mais le Hamas n’est pas le Hezbollah. Le Hamas, que nous ne soutenons pas dans son exercice du pouvoir, mais dont nous avons à certains égard soutenu la lutte armée contre le colon, incarne une lutte de libération nationale portée par des Palestiniens, pour des Palestiniens, contre l’ennemi des Palestiniens. Le Hezbollah est le produit d’une guerre civile et interreligieuse (1976-1990), assortie d’une double invasion étrangère israélienne et syrienne et d’une intervention étrangère iranienne, qui voyait dans le Liban, et notamment dans sa communauté chi’ite, un enjeu stratégique de premier plan. Le Hezbollah a été conçu comme le mercenaire de l’Iran et de la Syrie, qui a commencé par éliminer les résistances de gauche progressistes et laïques palestiniennes au Liban, ainsi que leurs alliés libanais :
Souvenez-vous du massacre des réfugiés palestiniens de Tal al-Zaatar, avec la complicité de l’armée syrienne.
Souvenez-vous de la colère de Yasser Arafat contre Hafez al-Assad et des ruptures d’alliances entre l’OLP et la Syrie.
Souvenez-vous de l’assassinat du leader druze Kamal Djumblatt, ami et allié de Yasser Arafat, par les sbires du parti social-nationaliste syrien en 1976.
Souvenez-vous de la privation des libertés politiques des Palestiniens du Liban et de Syrie à partir de 1980 et jusqu’à nos jours, imposées par le Hezbollah et le régime de Assad.
Et si vous ne vous souvenez pas, par pitié, éduquez-vous !
Nous ne pouvons pas lister ici les mille trahisons envers la cause Palestinienne et crimes commis à l’encontre des Palestiniens et des Syriens par le Hezbollah, ainsi que leurs compromissions avec le capitalisme occidental, mais nous pouvons vous inviter à lire le livre édifiant de Joseph Daher, « Hezbollah, le fondamentalisme religieux à l’épreuve du libéralisme. »
Joseph Daher est un camarade de gauche Arabe.
Souvenez-vous enfin de l’enlèvement et de l’assassinat de Michel Seurat dès 1985 par le Jihad islamique, affilié au Hezbollah, sur commande de Hafez al-Assad.
Michel Seurat a écrit un livre de référence sur la dictature syrienne intitulé « L’Etat de Barbarie ».
Michel Seurat était un homme de gauche, mariée à une écrivaine Syrienne, Marie Seurat. Leur fille Leila est aujourd’hui experte de la question Palestinienne et a écrit « Le Hamas et le Monde », que vous devriez lire.
Mais revenons en arrière. Le sort des Syriens et des Palestiniens, qui sont peuples frères, a été scellé par les interventions iraniennes et syriennes au Liban. Au lieu de « scellé », nous devrions dire « séparé ».
Hafez al-Assad a emprisonné des militants progressistes de gauche pendant des années, suivi dans cette œuvre contre-révolutionnaire par son fils Bachar.
Quand des milliers de Syriens, parmi lesquels des milliers de progressistes de gauche, se sont soulevés contre le fascisme des Assad, l’Iran, le Hezbollah, puis la Russie, ont activement participé à la contre-révolution, en massacrant le peuple Syrien et en faisant disparaître des milliers de Syriens dans l’enfer concentrationnaire du régime, avant de faire proliférer des gangs affiliés au Hezbollah et au Parti Social-Nationaliste Syrien, de transformer la Syrie en usine de captagon et le régime en narco-Etat.
Quand Assad a libéré des milliers d’islamistes pour détruire la révolution populaire, puis les a manipulé à son aise pour déstabiliser les résistances locales à droite à gauche, vous n’avez rien vu.
Quand Assad, puis l’Occident et la Russie se sont entendus pour focaliser sur le danger islamiste, vous êtes tous tombés dans le piège de la rhétorique antiterroriste. Ne saviez-vous pas que la lutte contre le terrorisme est partout et tout le temps l’argument pour détruire les révolutions ? N’avez-vous pas vu que les milliers de recrues d’Al-Qaeda et de l’Etat islamique ont été avant tout des non-Syriens, dont beaucoup venaient d’occident ?
L’Etat islamique a organisé des tueries dans Paris, puis coupé des têtes devant les caméras depuis le désert Syrien, et vous avez détourné le regard des exactions autrement plus massives des chabiha et de l’armée de Bachar.
On dit : « Quand on montre la Lune, l’idiot regarde le doigt ». C’est ce que l’Occident a fait, et c’est ce que la gauche à fait, condamnant à mort la révolution Syrienne, condamnant à mort des centaines de milliers de Syriens.
Vous auriez soutenu notre révolution, l’Etat islamique serait mort dans l’œuf, et le génocide des Kurdes et Yézides n’aurait pas eu lieu.
VOUS avez tué la révolution Syrienne, par votre complicité dans le crime.
Avez-vous lu les écrits de Yassin al-Haj Saleh ?
Avez-vous lu ceux de sa compagne Samira Khalil ?
Saviez-vous qu’ils avaient été emprisonnés tous deux pour leur opposition au régime et leur appartenance au parti communiste syrien ?
Avez-vous entendu parler de l’anarchiste Syrien Omar Aziz, dont le modèle des comités locaux de coordination a influencé la révolution syrienne, jusqu’à ce qu’il soit arrêté et torturé à mort par les agents du régime ?
Avez-vous entendu parler de Raed Fares et de ses activités pacifistes à l’initiative des manifestations des citoyens libres de Kafranbel ?
Non, camarades gauchistes, vous n’avez pas entendu parler de nous. Vous n’avez pas voulu voir, aveuglés par votre campisme et votre ignorance des spécificités politiques du Levant. En bons occidentaux, vous avez appliqué vos filtres et vos cadres idéologiques sur nos réalités, mais aussi et surtout votre binarité d’analyse : « tous les ennemis de mes ennemis sont mes amis ».
Félicitations, gauchistes occidentaux, vous vous êtes fait les meilleurs soutiens du fascisme oriental et de ses impérialismes.
Et nous en venons à l’épilogue, par un bref crochet par la question palestinienne.
Avez-vous entendu parler du camp de Yarmouk ? Saviez-vous que les milices palestiniennes dissidentes des partis incarnant traditionnellement la résistance palestinienne de gauche (OLP) ont soutenu Assad dans la répression des élans révolutionnaires anti-Assad des Palestiniens de Yarmouk ? Saviez-vous qu’elles avaient été complices du bombardement du plus grand camps de réfugiés Palestiniens au monde (160 000 résidents) à partir de 2012, puis de son siège à partir de 2013 ?
Lisez aussi ce qu’ont proposé Assad et la Russie aux islamistes de Yarmouk (Damas) et du bassin de Yarmouk (Deraa) en mai et novembre 2018 ? Et regardez bien quelles en ont été les conséquences pour les communautés Druzes de Suwayda.
Eduquez-vous camarades gauchistes.
En lisant, en enlevant vos ornières, vous découvrirez que le régime Syrien est l’un des seuls au monde qui a toujours interdit toute manifestation en faveur de la Palestine. Même durant le génocide, Assad n’a même pas tenté d’organiser une fausse manifestation pour appuyer sa propagande pro-Palestinienne. Rien.
Rien, sauf à Idleb et Suwayda, les deux seules régions qui n’étaient pas sous contrôle militaire du régime. Dans les deux villes, les Syriens ont soutenu leurs frères et sœurs de Palestine.
Mais vous n’avez pas vu. Vous avez préféré croire que l’Iran et le Hezbollah étaient le seul espoir des Palestiniens, alors que même pas 1% de leurs roquettes n’est parvenu à ébranler la sécurité du régime sioniste. Du vent.
Les Syriens n’ont jamais été dupes des discours ampoulés de Nasrallah et Khomeini, de leurs menaces grotesques et de leurs feux d’artifices pitoyables.
Mais vous, la gauche occidentale, vous pensiez qu’ils étaient l’axe de la résistance, la pointe des luttes anti-coloniales.
Et maintenant que les Syriens se sont libérés par eux-mêmes (et on s’en fout bien que la Turquie ai poussé par derrière, puisqu’elle ne contrôle pas les millions de Syriens ainsi libérés d’Assad), vous vous êtes mis à l’unisson avec les réactionnaires de tous bords, et notamment occidentaux, pour nous faire des leçons d’antiterrorisme.
« Attention, vous les Arabes, vos rebelles sont des jihadistes qui ne s’assument pas. Ils vont vous trahir et vous manger tout cru »
Merci, les Suprémaciste Blancs, pour votre sollicitude. Mais sur la question syrienne, vous n’êtes pas mieux que les anti-Deutsch allemands sur la question Palestinienne.
Nous connaissons mieux que quiconque au monde ce que représente le danger islamiste. Vous, vous l’avez découvert au World Trade Center et au Bataclan, et soudainement le monde entier devait pleurer de chaudes larmes pour vous. Mais saviez-vous que plus de 80% des victimes des islamistes depuis les années 1980 étaient des musulmans et des Arabes ? Saviez-vous également que ce sont les Syriens seuls qui ont affronté sur terre les fanatiques religieux de DAESH ?
Où étiez-vous pour nous protéger, vous qui vous montrez aujourd’hui si paternalistes envers nous, alors que Hayat Tahrir al-Sham réalise en une semaine ce à quoi nous avions tout simplement cesser de rêver depuis une décennie ?
Avez-vous lu les messages remplis de solidarité et d’affection pour ses frères et sœurs Syriens de Wael al-Dahdouh, le journaliste Palestinien dont toute la famille a été décimée par Israel ?
Non, encore une fois, vous n’avez rien vu. Vous n’avez vu en nous que notre potentiel islamiste. Nous les Arabes, sommes trop arriérés pour comprendre comment marche la démocratie, le socialisme, la laïcité…
Alors qu’Israel a attendu que son cher associé Bachar tombe pour attaquer les Syriens à Quneitra (à l’instant où nous écrivons ces lignes), votre campisme est affiché au grand jour, et avec lui votre complicité avec toutes les puissances étrangères qui utilisent nos terres comme un terrain de jeu.
Assad est tombé, une nouvelle ère commence pour les Syriens. Des milliers de prisonniers, dont certains étaient enfermés depuis 40 ans, sont sortis ces derniers jours des pires prisons du monde.
Laissez-nous enfin pleurer et exploser de joie, laissez-nous enfin respirer.
Et occupez-vous plutôt de vos propres fascistes, qui gangrènent vos confortables démocraties.
Nous, on va s’occuper des nôtres. Ne nous libérez pas, on s’en charge !
Les sentiments des Syriens sont très partagés et chacun s’inquiète de la suite des événements.
L’Armée nationale syrienne (SNA) soutenue par la Turquie organise le nettoyage ethnique du nord de la Syrie, dans le but de réaliser les plans d’Erdogan, mais il semble qu’Erdogan ne se soucie pas tellement de ce que Hayat Tahrir al-Sham (HTS) et les autres groupes rebelles syriens feront plus au sud à l’intérieur de la Syrie. Il avait juste besoin qu’ils lancent cette offensive pour pouvoir tranquillement chasser les Forces démocratiques syriennes (FDS) et les Unités de défense du peuple (YPG) de toutes les zones situées au nord de la route M4, une revendication qui était au cœur des négociations avec le régime Assad en vue de sa normalisation.
Cependant, ce qui se passe au sud de cette zone n’est pas clair. Les HTS ont clairement entamé des négociations avec les FDS à la périphérie d’Alep. De plus, leur volonté de protéger les minorités religieuses n’est pas une simple déclaration : aucun rapport ne fait état de persécutions de civils par HTS à Alep, et les communautés syriennes accueillent favorablement l’offensive, même si elles s’inquiètent aussi pour les semaines à venir. HTS a immédiatement ouvert les prisons et rétabli les services d’eau et d’électricité qui avaient été coupés et rationnés pendant des années par le régime. Par ailleurs, le chef de HTS, Al Joulani, qui a rompu ses liens avec Al-Qaïda et qui est en conflit avec le SNA depuis plusieurs années, a déclaré hier vouloir dissoudre HTS et laisser la gouvernance d’Alep à une autorité de transition composée d’une coalition de groupes représentant la diversité de la société syrienne. Cette information n’étant disponible que sur syria.tv, espérons que des compromis seront possibles et que le régime tombera enfin, et avec lui DAESH qui n’est que sa création.
Par ailleurs, la Russie, Israël et les États-Unis ont un intérêt commun à voir le Hezbollah et les Iraniens se retirer de la Syrie, même si Israël à également un intérêt à ce que le régime de Assad se maintienne en place, parce que ce statu quo garantit la protection de sa frontière Nord, avec l’entremise des russes : Il y a plusieurs années déjà (en 2018), la Russie et Israël ont en effet négocié pour éloigner le Hezbollah et les milices iraniennes du Golan. Et même pour Assad, le Hezbollah est devenu un fardeau depuis qu’Israël a détruit ses capacités et cible régulièrement le territoire syrien pour anéantir les dirigeants et les infrastructures du Hezbollah. Récemment, Assad s’est davantage tourné vers la Russie et en faveur d’accords de normalisation avec ses voisins directs et la Ligue arabe, plutôt que de soutenir l’Iran dans ses menaces contre Israël et les Etats-Unis. Tout dépend maintenant de la réaction de la Russie. Mais il semble que la Russie n’envisage pas de riposte à grande échelle et qu’elle a même retiré sa flotte du port de Tartous le 3 décembre.
En ce qui concerne les FDS, nous pensons que leurs compromis avec les États-Unis d’une part et avec le régime d’Assad d’autre part, mais aussi leur manque de respect pour les Arabes à bien des égards (à Manbij, à Deir ez-Zor et dans d’autres parties de la région de Jazira/Rojava) les ont rendues trop impopulaires pour gagner la sympathie des Syriens. Mais les Syriens n’aiment pas non plus la Turquie d’Erdogan, les réfugiés syriens ayant été soumis au rejet et au racisme pendant des années, et ils sont donc loin de soutenir le nettoyage ethnique mis en œuvre par la SNA.
Dans les faits, beaucoup de Syriens sont enthousiastes et se sentent libérés, car il n’y avait rien de pire que le régime d’Assad, malgré l’analyse occidentale qui se concentre uniquement sur les islamistes. Ainsi, il serait bon pour une fois de ne pas utiliser les termes « islamiste » et « djihadiste » à la légère lorsqu’on parle de ce qui se passe en Syrie, et lorsqu’on parle des mouvements arabes et musulmans en général. Notre esprit critique ne doit pas accepter les raccourcis et les essentialisations, surtout de la part de ceux qui ne sont pas de la région.
Il faut attendre avant de crier au loup, et on ne peut pas une fois de plus mépriser les espoirs des Syriens et mépriser la capacité des populations arabes à organiser la démocratie. Si les Druzes soutiennent l’offensive, ce n’est pas par naïveté, car ils sont parmi les plus prudents face aux islamistes, ayant eux aussi subi meurtres et massacres de la part d’Al-Qaïda et d’ISIS. Et ce que les Syriens endurent sous le régime d’Assad est bien pire que ce qui pourrait leur arriver demain avec une coalition de groupes rebelles syriens. L’idée que des milliers de personnes puissent sortir de la prison d’Assad est plus forte que toute autre considération géopolitique.
On peut se focaliser sur le sort des Kurdes et les crimes du SNA, mais évitons les raccourcis sur ce qui se passe au sud du M4 ! Laissons parler les Syriens et écoutons-les.
L’opération militaire répondant à l’attaque sanglante de la résistance palestinien‧ne sur les colonies israéliennes jouxtant le ghetto de Gaza le 7 octobre 2023 a très vite été le théâtre de crimes de guerre contre les populations civiles palestinien‧nes. Rappelons d’abord le véritable bilan de l’attaque menée le 7 octobre 2023 par le Hamas contre plusieurs bases militaires et colonies du Sud d’Israël[1], ainsi que d’un festival de musique : au cours de l’action armée, 1139 personnes ont été tuées, dont 695 civils (parmi lesquels 71 étranger‧es et 36 enfants) et 373 membres des forces de sécurité (305 militaires, 58 policiers et 10 membres des services de renseignement du Shin Bet)[2]. Le Hamas a également pris 251 personnes en otages (dont de nombreux militaires) dans le but de faire pression sur l’Etat d’Israël, notamment afin d’obtenir la libération de centaines de prisonniers palestinien‧nes, dont plus de 1300 étaient détenus sans charges ni procès avant le 7 octobre 2023[3]. En riposte, l’armée israélienne dit avoir tué plus d’un millier de combattants du Hamas ayant pris part à l’attaque, tandis que des enquêtes indépendantes, ainsi que les témoignages d’un certain nombre de civils israéliens survivants, lui attribuent également un grand nombre de morts civils israéliens parmi ceux officiellement attribuées au Hamas. Les experts invoquent à ce propos l’application du « protocole Hannibal », une directive israélienne de 1986 qui préconise d’éviter au maximum d’avoir à négocier la libération d’otages, quitte à tuer ses propres ressortissants pris en otages lors de l’assaut prévu pour les libérer. Une chose est certaine, c’est que cette aventure sanglante du Hamas a légitimé un déferlement de violence sans précédent de la part d’Israël, qui a été condamné par la Cour Internationale de Justice pour des faits de génocide à l’encontre des Palestinien‧nes de Gaza.
Les règles de la guerre conventionnelle ont en effet été largement enfreintes, d’abord par la pratique proscrite du siège, bloquant l’approvisionnement en eau, électricité et nourriture des populations, puis par l’utilisation combinée d’armes interdites par les conventions internationales (armes chimiques telles que le phosphore blanc), de snipers et de drones tueurs ciblant des civils non-armés, ainsi que le bombardement massif de zones résidentielles, de camps de réfugiés, de véhicules et de locaux d’ONG humanitaires, de lieux de culte, d’écoles et d’hôpitaux. Dès les premières semaines de l’opération, des dizaines de travailleurs humanitaires, de médecins en activité et de journalistes ont été tués ou arrêtés et transférés dans des centres de détention sans procès préalable. Les images des services de communication du régime et de l’armée israéliennes n’ont pas cherché à dissimuler le recours à des traitement inhumains et dégradant à l’égard des prisonniers, qui ne bénéficient pas du statut de prisonniers de guerre, ni d’otages, l’un ou l’autre statut impliquant l’adoption de procédures et négociations spécifiques pour leur maintien en détention ou leur libération dans le cadre de négociations entre les parties au conflit. Les soldats de l’IDF eux-mêmes n’ont cessé de communiquer dès le premier jour de l’opération sur les réseaux sociaux, et notamment sur Tiktok et Telegram, se targuant quasi quotidiennement de commettre des crimes et diffusant des vidéos accablantes témoignant de leur déshumanisation des Palestinien‧nes. On reparlera de cet aspect plus loin.
Montage de vidéo issues des réseaux sociaux, pour montrer une petite partie de ce que les forces de défense israéliennes ont commis et continuent de commettre à Gaza depuis octobre 2023. Trigger warning : certaines images sont difficiles à regarder.
Les réseaux sociaux relatent la vérité
Les crimes de guerre sont par conséquent entièrement avérés et documentés, aussi bien par la communauté internationale que les ONG et les médias, y compris israéliens. Au-delà des institutions et structures conventionnelles, les réseaux sociaux se sont également largement fait l’écho de ces crimes et doivent être considérés comme des sources d’information légitimes à partir du moment où elles transmettent des témoignages bruts depuis une zone directement impactée. A ce titre ces ressources ont autant de valeur probante que les témoignages de victimes et parties civiles, ainsi que les aveux des auteurs lors d’un procès pénal, et ceci quel que soit l’usage postérieur qui est fait des images ainsi rendues publiques. Par ailleurs, les comptes utilisateurs, ainsi que les lieux et datations des captations vidéo peuvent aisément faire l’objet de vérifications et fact-checkings par des experts et enquêteurs, interdisant de les considérer décemment comme fabriquées ou manipulées : la grande majorité des milliers de mégaoctets de données provenant de Gaza NE PEUVENT PAS être le résultat de fake news et d’images de synthèse comme d’aucuns le prétendent. Les sociétés ont évolué, et la prise en compte de la modernité implique de reconnaître les nouvelles modalités d’information et de communication comme légitimes, notamment parce qu’elles garantissent une plus grande diversité de sources que les médias mainstream et nationaux. On sait cependant combien les Etats sont embarrassés par les media qui échappent à leur contrôle, d’où leurs efforts constants pour obtenir la censure totale des contenus critiques partagés sur les réseaux sociaux.
Légitime défense ou représailles ?
Une fois qu’on a écarté l’hypothèse négationniste ou révisionniste, qui implique le déni par rapport à la réalité des crimes commis par l’armée israélienne contre les Palestinien‧nes, il reste à se pencher sur les motivations de ces crimes et sur leur caractère intentionnel. La notion d’intentionnalité est cruciale pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’elle permet de distinguer la légitime défense de la vengeance ou des représailles, ensuite parce qu’elle permet d’identifier la finalité réelle de l’acte de violence ou du crime. La légitime défense, qui est une règle élémentaire au croisement du droit naturel et du droit positif, définit la circonstance dans laquelle on peut tuer une personne ou porter atteinte à son intégrité sans craindre d’être puni. Pour définir précisément les circonstances dans lesquelles elle peut être mobilisée, le droit a identifié plusieurs critères qui doivent se cumuler pour qu’on puisse estimer qu’il y a légitime défense : la menace doit être réelle (non imaginée ou supposée) et imminente (non antérieure au moment de la riposte), la riposte doit être immédiate (cantonnée à la seule source de la menace et sans délai, sinon il s’agit de représailles), nécessaire (on ne doit pas pouvoir écarter autrement la menace) et proportionnée à la menace (juste ce qu’il faut pour neutraliser la menace). A ses origines, cette règle a été pensée pour permettre à l’individu dépourvu d’autorité légale de se protéger en cas d’agression, mais aussi d’être protégé de toutes sanctions ou poursuites judiciaires s’il a fait usage de violence pour se défendre d’une autre violence. Mais depuis une décennie les autorités légales (qu’on voudrait croire légitimes), donc l’Etat et ses représentant‧es, ont progressivement fait évoluer le discours et les lois pour s’approprier des règles de droit réservées aux seuls justiciables.
Si l’on prend davantage de hauteur et qu’on se réfère au contexte théorique global dans lequel ces évolutions ont pris place, on ne peut que faire le parallèle avec l’argumentaire mobilisé par l’Etat d’Israël et ses alliés pour légitimer le massacre implacable des Arabes de Gaza, exclusivement basé sur son « droit à se défendre » suite à l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023. Les questions très pragmatiques que le monde entier aurait dû se poser sont les suivantes : la menace représentée par la population de Gaza à l’encontre de la société israélienne était-elle réelle ? La riposte, à savoir l’anéantissement total d’une enclave habitée par plus de deux millions de personnes, était-elle nécessaire et proportionnée ? Si les critères d’imminence et d’immédiateté sont bien respectés en apparence, il aurait été nécessaire de se poser une ultime question pour finir d’invalider l’argument d’Israël selon lequel sa riposte était légitime : l’attaque du Hamas s’inscrivait-elle dans un contexte actuel et permanent d’oppression et de violences coloniales de la part d’Israël, ou était-elle un acte d’agression gratuite ne répondant à aucune menace à l’encontre des populations de Palestine ? Et avant que l’on s’apprête à répondre à cette question, il est absolument nécessaire de se remémorer les événements historiques tels que le soulèvement du ghetto de Varsovie en 1943 ou les émeutes du township de Soweto en 1976, et de tirer les parallèles qui s’imposent : l’Etat d’Israël n’est pas colonisé ni oppressé, il est le colonisateur et l’oppresseur. A ce titre, il ne peut en aucun cas se prévaloir de la légitime défense, car si l’on suit cette logique, la France aurait été légitime à rayer de la carte l’intégralité de l’Iraq et de la Syrie suite aux attaques de l’Etat Islamique sur Paris en 2015. Et en réponse n’importe quel pays Arabe serait légitime à bombarder les villes occidentales à chaque fois que les armées de l’OTAN s’immiscent avec force dans ses affaires nationales. On voit bien que la logique légitimant l’arabicide de masse ne tient pas. Pour autant, c’est exactement celle-là qui a amené les Etats-Unis à détruire durablement l’Iraq entre 2003 et 2011, prétextant une menace nucléaire que les meilleurs analystes savaient être totalement irréelle. L’Occident a toujours une raison fallacieuse sous le coude pour détruire les sociétés arabes.
Au-delà de la violence et de l’horreur de l’attaque du Hamas, personne ne peut nier décemment l’absence d’impérieuse nécessité justifiant l’anéantissement de la bande de Gaza à partir du 8 octobre, ni la disproportion totale des moyens employés pour cela, alors que les assaillants du 7 octobre ont été en grande partie décimés ou faits prisonniers lors de leur attaque (1809 combattants selon Israël) et que les 5000 roquettes tirées par le Hamas ont été largement interceptées, n’ayant pas tué plus de cinq personnes au total : la menace principale et imminente était donc neutralisée au soir du 7 octobre, la légitime défense stricto sensu ne valant que pour la riposte engagée par les israéliens le jour-même. La vengeance quant à elle se caractérise par la préméditation et/ou par un infléchissement moral, donc par l’anticipation ou la préparation (y compris mentale) du crime avec la volonté de ne pas agir de façon éthique. Enfin, si la motivation ou la finalité réelle de l’action armée est souvent officieuse, voire secrète, et par conséquent peut faire l’objet d’interprétation, il existe en droit ce qu’on appelle des « faisceaux de présomption », qui permettent d’établir s’il y a des motivations criminelles, racistes notamment. Dans le contexte de la Palestine, ces faisceaux de présomption peuvent notamment consister dans des actes et déclarations publiques témoignant d’une volonté d’essentialiser l’ensemble de la population de Gaza et de l’assimiler dans sa globalité à un groupe spécifique, ici le Hamas. Cette essentialisation passe par l’utilisation d’une terminologie réductrice et simplificatrice gommant la complexité et la diversité qui caractérise toute population civile, notamment si elle regroupe plusieurs milliers de personnes. Dans le cas de Gaza, on parle de 2,23 millions d’habitants, incluant une multitude de minorités ethniques, religieuses et politiques, ainsi que des milliers de binationaux et 1,046 millions d’enfants de moins de 18 ans (48%).
Le Hamas est au pouvoir à Gaza, mais les Gazaouis ne sont pas le Hamas
Si l’on remonte aux origines du mouvement Hamas, on note qu’il est né tardivement en 1987, soit près de 40 ans après la création d’Israël. Avant lui, la résistance palestinien‧ne a été incarnée par des mouvements politiques nationalistes, socialistes et laïcs, dont le Fatah, fondé en 1959. Ces mouvements ont renoncé globalement à la lutte armée à l’issue de la première intifada (1987-1993) pour s’investir dans les négociations de paix, tout en restant solidaire de la résistance populaire au régime d’apartheid israélien. La perpétuation de l’oppression violente des Palestinien‧nes malgré les pourparlers de paix a été la raison première de l’émergence des forces islamistes en Palestine, qui coïncide avec la confessionnalisation des conflits territoriaux dans la région lors de la guerre civile au Liban (1975-1990). Israël a participé alors activement à cette confessionnalisation, notamment en soutenant les milices chrétiennes libanaises, tout en favorisant l’émergence du Hamas pour affaiblir les organisations palestinien‧nes socialistes et non-confessionnelles (OLP : Fatah, PFLP, DFLP, PPP, PLF…). L’emprisonnement et la mort des leaders politiques impliqués dans la négociations des accords de paix, puis la seconde intifada (2000-2004) et la guerre du Liban en 2006 ont ensuite accéléré la montée en puissance du Hamas en Palestine, ainsi que du Hezbollah au Liban. Enfin, en 2006 le Hamas a remporté les élections à Gaza avec 44,45% des voix exprimées, les forces politiques nationalistes et socialistes laïques restant majoritaires mais divisées (Fatah + PFLP + The Alternative + Independant Palestine = 51,32% des voix). Si l’on revient en détail sur ces élections et qu’on prend en compte le taux d’abstention de 22,82%, ce ne sont que 32,61% des électeurs inscrits qui ont choisi le Hamas. Si l’on considère que 34,17% de la population palestinien‧ne n’était pas inscrite sur les listes électorales ou pas en âge de voter, ce ne sont finalement que 11,14% de l’ensemble des 3,95 millions de Palestinien‧nes de l’époque qui ont choisi le Hamas.
Au cours de la décennie suivante, le Hamas s’est imposé comme une force conservatrice ne tolérant aucune critique et réprimant toute opposition, ce qui le rend relativement impopulaire, comme en témoigne un sondage effectué en juin 2023 par le Palestinian Center for Policy and Survey Research : 73% des Gazaouis considèrent qu’il y a de la corruption au sein du Hamas, 59% estiment qu’on ne peut critiquer le Hamas sans craintes, 57% voteraient pour Marwan Barghouti (Fatah) s’il était libre plutôt que pour le candidat du Hamas, tandis que 43% estiment que ni le Hamas, ni le Fatah ne méritent de représenter les Palestinien‧nes. Par ailleurs, 47% des Gazaouis privilégient la résistance pacifique par rapport à la lutte armée [https://pcpsr.org/en/node/944]. Enfin, les dernières élections ayant eu lieu il y a 18 ans, près de 78% de la population actuelle n’était pas née (48%) ou n’était pas en âge de voter en 2006 (30%), sans compter qu’une partie de la population, et donc des électeurs du Hamas, est décédée au cours des 18 dernières années. Par conséquent, on peut dire que la population Gazaouie en 2023 n’a peu ou rien à voir avec l’élection du Hamas en 2006, ni beaucoup plus avec son maintien au pouvoir par la contrainte depuis.
Le Hamas : un mouvement de réaction
Au-delà, et c’est souvent occulté lorsqu’on parle de la résistance palestinien‧ne, le processus d’essentialisation affecte également les militants du Hamas eux-mêmes. Notamment, l’affiliation historique du Hamas aux frères musulmans (donc à l’islam politique) est niée et celui-ci est comparé aux courants djihadistes, voire régulièrement assimilé à Al Qaeda ou l’Etat islamique. De nombreux intellectuels et spécialistes, qu’on ne peut accuser d’être sympathisants des islamistes pour la plupart d’entre eux, ont écrit une multitudes de thèses universitaires et de livres sur l’histoire de l’islam, ainsi que sur les courants religieux et politiques au sein de l’islam. Toutes ces études permettent de comprendre pourquoi les Frères musulmans ne sont pas djihadistes, et pourquoi l’institutionnalisation de l’islam politique conduit quasi systématiquement ces courants à se modérer dans l’exercice du pouvoir. L’orientalisme qui caractérise l’analyse des courants musulmans et islamistes aujourd’hui se heurte par ailleurs à la réalité vécue par les populations arabes et musulmanes confrontées à ces mouvements. Ce que dit cette réalité, c’est que les Frères Musulmans constituent une menace modérée, pour la population sous son contrôle comme pour ses voisins, ou en tout cas toute aussi prégnante que n’importe quel parti ou mouvement politique autoritaire au pouvoir. En effet, le despotisme du Hamas contre la population civile ne découle pas spécifiquement de sa radicalité religieuse, mais plus de sa volonté de maintenir une emprise hégémonique sur les populations palestinien‧nes. Au même titre que n’importe quel courant d’extrême-droite dans le monde, le Hamas est un parti autoritaire portant des valeurs conservatrices et rétrogrades sur de nombreux aspects, mais ce n’est pas un mouvement salafiste ou djihadiste : le Hamas, aussi violent soit-il, ne décapite ni ne brûle personne vivant. Enfin, les motivations de l’engagement des combattants du Hamas sont aussi à évaluer au regard de la situation d’étranglement et d’oppression continuelle des populations palestinien‧nes depuis 75 ans, ainsi que du blocus imposé à Gaza par Israël depuis 16 ans, impliquant un taux de chômage supérieur à 45% et l’absence globale de perspectives pour les jeunes. Les militants du Hamas ne font pas le jihad, ils rejoignent le seul mouvement armé décolonial qui prétend s’opposer à la normalisation et constituer un rapport de force au régime d’apartheid israélien. Le nombre de combattants affiliés au Hamas n’est d’ailleurs pas connu, le seul chiffre de 30 000 étant donné par Israël. Au regard de la réalité régionale, et notamment des effectifs des autres milices islamistes recensées (notamment le Hezbollah), il est improbable que le nombre réel de combattants du Hamas dépasse les 20 000 hommes, ce qui ne témoigne pas d’une adhésion massive des Gazaouis au mouvement.
Le paravent antiterroriste
On comprend alors qu’Israël dans ses efforts pour déshumaniser les Palestinien‧nes et décrédibiliser la résistance palestinienne trouve confortable d’utiliser la rhétorique antiterroriste : comme tous les régimes autoritaires et coloniaux, Israël désigne ainsi les résistants à son oppression comme des terroristes. Cette sémantique désormais acceptée universellement trahit non seulement l’ignorance et l’étroitesse d’esprit de ceux qui l’emploient, mais également leur intention de réduire toute résistance armée ou toute opposition radicale ou révolutionnaire à une menace. Sous couvert de protéger la population civile d’une menace contre leur sécurité, ce qui n’est pas sa motivation réelle, l’anti-terrorisme est avant tout un outil de la contre-insurrection pour protéger la sûreté et les intérêts de l’Etat. Désormais, il suffit de désigner un groupe comme terroriste pour priver instantanément ses membres de tous les droits et protections normalement garanties par les lois de la guerre, les lois humanitaires et les conventions internationales pour le respect des droits et de la dignité humaine. Le qualificatif de terroriste ne bénéficie par ailleurs d’aucune définition juridique précise, ce qui rend la notion floue et entièrement sujette à interprétation. Le terme est ainsi venu s’ajouter au terme « barbare » pour destituer tout individu de sa qualité d’être humain, rendant licites et acceptables à son encontre humiliations publiques, exécutions sommaires, torture, mutilations et sévices corporels. La France en Algérie, les USA au Vietnam, en Afghanistan et en Iraq, la Russie en Tchétchénie ou même la Chine au Xinjiang ont largement contribué à la normalisation de pratiques cruelles et illégitimes au regard des conventions des Nations-Unies. Là où Israël franchit encore davantage la ligne rouge, c’est lorsqu’il assimile dans sa globalité la population civile gazaouie au terrorisme, en arguant de sa complicité avec le Hamas, ceci incluant les enfants mineurs qui, on l’a dit, constituent presque la moitié de la population de Gaza. En favorisant la diffusion de mensonges éhontés sur la commission par le Hamas d’actes de cruauté à l’occasion de l’attaque sanglante du 7 octobre 2023, et notamment les prétendus décapitations d’une quarantaine d’enfants et viols en série[4], Israël savait pertinemment que la barbarie et le terrorisme seraient le registre lexical approprié pour légitimer a priori tous les crimes de guerre qui allaient être commis en représailles à l’égard des Gazaouis. Cela fait partie des stratégies de propagande de l’Etat d’Israël, la Hasbara, qui participent du lobbying sioniste visant à contrer les discours négatifs délégitimant Israël. La diabolisation des Palestinien‧nes pour convaincre tout-un-chacun du bien-fondé de leur anéantissement s’ajoute ainsi au révisionnisme historique quant à la manière dont s’est construit et imposé par la violence l’Etat d’Israël et au négationnisme quant à la perpétration de crimes par les milices sionistes avant 1948 et par l’armée israélienne depuis. On est censé ainsi oublier que la milice sioniste Irgun commettait des attentats à la bombes contre les civils et l’armée britannique durant les années précédant la création d’Israël, avant que son chef Menahem Begin devienne premier ministre puis ministre de la défense d’Israël trente ans plus tard, opportunément blanchi de ses crimes. L’Etat d’Israël est par conséquent le meilleur exemple de terrorisme victorieux et impuni. La question qui se pose est donc : qui décide qui est terroriste et pendant combien de temps ?
Quoi qu’il en soit, le concept de terrorisme constitue un outil extrêmement pratique pour désigner les résistances populaires, et cela quels que soient leurs fondements idéologiques. Au-delà, ce sont les communautés arabes dans leur globalité qui sont visées. L’Arabe est devenu l’ennemi pratique numéro un, le bouc-émissaire qui peut porter la responsabilité de toutes les résistances populaires à la volonté hégémonique et civilisatrice de l’Occident. Il suffit désormais d’une seule attaque à main armée lancée par un individu ou un groupe marginal issu des communautés arabo-musulmanes pour légitimer l’élimination de dizaines de milliers de vies arabes. La punition collective s’en trouve ainsi normalisée. Et on peut parler de la mise à mort lente des Arabes de Palestine parce que c’est d’actualité, mais il ne faut pas oublier que les interventions occidentales en Orient depuis le Moyen-âge tardif sont toutes guidées par la même volonté messianique de récupérer la « Terre sainte » aux barbares hérétiques ou impies qui l’habitent, en l’occurrence les Arabes[5]. Ce qui a évolué au cours de la seconde moitié du 20ème siècle, c’est la rhétorique, mais pas les motivations. Depuis que les Nations occidentales se sont érigées en avant-garde éclairée et qu’elles ont promulgué leurs lois de la guerre et toutes sortes de conventions humanitaires, avant d’accorder leur indépendance à nombre de pays après des décennies de suprémacisme racial, de pillages coloniaux et d’esclavage, elles ont en effet été contraintes de renouveler leurs discours pour pouvoir continuer à justifier les guerres impérialistes menées au nom de la Bourse et du Marché, notamment là où gisent le pétrole et le gaz. Et quel meilleur thème que celui, si familier, du barbare venu d’Orient ? Mais pas juste un barbare ordinaire, qui mènerait une bataille respectant les lois de la guerre, et dont une partie du peuple et de la gauche occidentale pourrait trouver la cause légitime. Non, plutôt le paroxysme du barbare, monstrueux et cruel, qui terrifie quiconque se prend à l’imaginer près de soi. Ce barbare-là, l’Occident le qualifiera de « terroriste » pour simplifier. Et s’il n’existe pas, il faudra aider à le créer ou à ce qu’il se crée par lui-même, l’important étant qu’il épouvante suffisamment n’importe quel quidam pour que ce dernier accepte sa mise à mort sans autre forme de procès. Ce monstre-là, c’est le terroriste musulman, qui dans l’imaginaire occidental ressemble à l’Arabe à la fois vil et brutal incarné par Mohammed Hassan aka Frank Lackteen dans les films américains des années 1930-40, mais aussi à 78% des personnages originaires du Proche et Moyen Orient apparaissant dans les séries télévisées étasuniennes[6].
Dès lors, dès qu’un Arabe ou un musulman lancera une attaque surprise ou fera sauter une bombe ici ou là, il faudra bien comprendre qu’il s’agit d’un acte spécifiquement odieux, qui n’a rien à voir avec les attaques à la bombe des résistant‧es de la seconde guerre mondiale, l’anéantissement de Nagasaki et Hiroshima en 1945, les actions de contre-insurrection appliquées par l’armée et la police françaises contre les populations civiles algériennes entre 1945 et 1962, le bombardement du groupe noir américain Move en pleine ville par la police de Philadelphie en 1985 ou encore les assassinats ciblés régulièrement effectués à l’aide de drones ou de missiles téléguidées par les armées des grandes démocraties[7]. Ce qui les distingue alors, c’est très précisément le prisme raciste par lequel on désigne les auteurs de ces violences. Les uns, qu’on pourra qualifier de méchants, sont par nature les agresseurs, tandis que les autres, évidemment gentils, agissent nécessairement en légitime défense. Les premiers tuent aveuglement pour terroriser et générer le chaos, tandis que les seconds « neutralisent des cibles » pour ramener la paix et la sécurité. Au-delà du caractère ironique de ces dernières phrases, il faut se rendre compte à quel point ces caricatures sont hélas proches des discours servis communément par les élites politiques et médiatiques du monde entier, et repris par le plus grand nombre sans réel soupçon critique. Il n’y a pas de bons terroristes, il n’y a que de mauvais Arabes et de mauvais Musulmans. Mais quand un Blanc massacre des dizaines d’enfants dans une école américaine ou poignarde des Arabes dans une ville de France[8], personne n’emploie le terme terroriste. C’est donc bien une appellation d’origine contrôlée.
Israël, incarnation du suprémacisme blanc et du racisme anti arabe
A Gaza, Israël commet des crimes, c’est établi. La seule chose qui ne fait pas consensus, c’est leur justification/légitimation. On doit donc s’intéresser ici à ce qu’on appelle en droit le « mobile du crime », ce qui nous ramène aux « faisceaux de présomption » évoqués plus haut. Cela nécessite d’analyser la relation organique entre Israël, l’Europe et l’Amérique du Nord. On ne tournera pas autour du pot : nous voulons aborder ici la proximité idéologique du sionisme et du nationalisme allemand, qui combinent tous deux projet colonial et suprémacisme racial/national. En plus de considérer la race ou la nation défendue comme supérieure ou choisie par la volonté divine (messianisme/millénarisme), les deux nationalismes s’accordent sur l’assujettissement ou l’anéantissement possible – et donc acceptable d’un point de vue moral – d’autres nations ou races jugées arriérées ou inférieures. Les versions les plus modérées de ces nationalismes[9] se contentent d’évoquer la nécessité d’apporter le progrès et le développement à des populations figées dans le passé, sous couvert de modernisme le plus souvent. C’est le cas du sionisme. Ce mouvement idéologique a été initié par le journaliste et écrivain austro-hongrois et ashkénaze Theodor Herzl (1860-1904) en 1897. A partir de là se sont tenus de nombreux congrès sionistes internationaux, qui ont mis en place des structures incitant la diaspora à accomplir son « aliyah » (l’ascension), à savoir son installation en Palestine, qui est alors sous domination ottomane (turque seldjoukide) depuis 1517, puis passe sous occupation britannique à partir de 1920. L’opinion personnelle de Herzl était profondément influencée par les théories suprémacistes allemandes et il voyait dans l’installation en Palestine un projet hygiéniste visant la civilisation des peuples orientaux, y compris les Juif‧ves autochtones. Ses détracteurs antisionistes, tels que Abraham Shalom Yehuda (1877-1951), Juif de Palestine, et Reuven Snir (né en 1953), Juif d’Irak, ont mentionné certains passages éloquents dans les mémoires de Herzl, publiées en 1960 : « C’est la volonté de Dieu que nous revenions sur la terre de nos pères, nous devrons ce faisant représenter la civilisation occidentale, et apporter l’hygiène, l’ordre et les coutumes pures de l’Occident dans ce bout d’Orient pestiféré et corrompu […] C’est avec les Juif‧ves, un élément de la culture allemande qui va aborder les rivages orientaux de la Méditerranée […]. Le retour des Juif‧ves semi-asiatiques sous la domination de personnes authentiquement modernes doit sans aucun doute signifier la restauration de la santé dans ce bout d’Orient négligé ». A ce titre, on peut tirer un parallèle très clair avec les pensées et écrits du géographe Friedrich Ratzel (1844-1904) et du philosophe Karl Haushofer (1869-1946), contemporains de Herzl, et notamment avec leur théorie du « Lebensraum » (espace vital) qui inspirera largement les théories suprémacistes développées par Hitler dans Mein Kampf, quand bien-même Ratzel imaginait plutôt une installation coloniale du peuple Allemand au cœur de l’Afrique (Mittelafrika), plutôt qu’en Europe Orientale comme le préconisaient les idéologues du nazisme. Quoi qu’il en soit, Ratzel comme Herzl plaçaient tous deux leurs ambitions coloniales et civilisatrices au-delà de la Méditerranée, ce qui les fait ressembler à beaucoup d’impérialistes occidentaux des 19ème et 20ème siècle.
Ce que la fin du vingtième siècle a apporté de nouveau, c’est un renoncement à l’approche ouvertement racialiste de l’impérialisme occidental, et avec celui-ci, une certaine moralisation (toute relative) ou pondération des discours essentialistes relatifs aux populations du Sud à partir de la fin des années 1970. Pour autant, le tournant des années 1990 et l’émergence depuis deux décennies du terrorisme arabe[10] et islamiste ont renouvelé les discours suprémacistes occidentaux, qui à défaut d’afficher ouvertement leurs biais racistes, ont imposé l’idée que la défense de la démocratie occidentale ne pouvait passer que par la mise-au-pas des nationalismes arabes, toujours commodément assimilés aux fondamentalismes islamistes, quand bien même les deux le plus souvent s’opposent. L’idée de la citadelle assiégée et du rempart contre la barbarie venue d’Orient, qui trouve son origine dans la période prémédiévale, a trouvé un nouveau souffle : ce n’est plus l’Empire romain qui est en danger, mais la Démocratie occidentale dans son acception la plus large, ce qui implique que l’enjeu dépasse la seule sauvegarde des sociétés européennes et nord-américaines pour devenir la préservation de l’entièreté du « monde civilisé », dont les confins restent pourtant très flous.
Le Bien contre le Mal, ou la civilisation face au désert
Hannah Arendt (1906-1975), philosophe, politologue et journaliste allemande de renon, a analysé en profondeur les ressorts de la modernité et du totalitarisme, notamment à partir de l’expérience de l’horreur nazie. Là où beaucoup connaissent ou prétendent connaître ses travaux sur la banalité du mal, à savoir que les pires atrocités sont souvent permises ou commises par des gens ordinaires, voire insignifiants, peu en réalité accordent l’importance qu’il se doit à son analyse sur la complicité des victimes dans leur propre persécution, par lâcheté, naïveté ou attentisme. Arendt avait notamment révélé l’implication des Conseils Juifs (Judensräte en allemand) dans la déportation de Juif‧ves vers Auschwitz, provoquant une vive polémique qui lui a coûté certaines de ses amitiés[11]. Sans entrer dans le détail de la controverse, qui témoigne de l’incapacité du plus grand nombre à faire abstraction de son propre égo et à survivre à sa flétrissure[12] face à la révélation d’une vérité pénible à entendre ou de faits difficiles à admettre, ses écrits racontent l’impossibilité pour les sociétés occidentales de concevoir et d’accepter l’idée que la barbarie trouve en grande partie sa source au sein d’elles-mêmes. Il est intéressant de constater que l’avancée du désert[13] dont parlait également Hannah Arendt, et qui décrivait la montée des totalitarismes depuis l’intérieur des sociétés occidentales, puisse être le fait d’une population elle-même victime de ces totalitarismes. C’est à ce propos extrêmement révélateur qu’après avoir été persécutée pendant des millénaires en Occident, une part considérable de la communauté juive se soit persuadée qu’en s’installant au-delà des frontières de celui-ci, elle pourrait non seulement y trouver la paix et la sécurité, mais qu’en plus elle constituerait sur place un avant-poste de la démocratie face à la barbarie, aux limites mêmes entre la civilisation et le désert. Il s’agirait ni plus ni moins de civiliser l’Orient tout en recivilisant l’Occident. C’est en tout cas ainsi que le sionisme perçoit sa présence en Palestine et que les Etats-Unis justifient leur soutien inconditionnel à la colonisation israélienne : Israël serait le rempart de l’Occident moralisé (mais pourtant invivable pour les Juif‧ves) face à la violence débridée du Mordor[14] arabe (qui n’a pourtant pas participé à la Shoah). Il est confortable d’imaginer un ennemi extérieur dont on puisse se séparer à l’aide d’un simple mur, quand la réalité et l’expérience historique démontrent que le plus souvent l’ennemi est en nous ou parmi nous. Dans cette inversion de paradigme que constitue la colonisation de la Palestine par les sionistes, le désert dont parlait Arendt se retrouve incarné par ces colons venus d’Occident, tandis que le « désert » se situant face à eux est placé en position de subir son totalitarisme. Le paradoxe est tel que les sionistes, venus chercher herbe plus verte ailleurs, se retrouvent à brûler des oliviers centenaires pour planter partout des conifères[15] contribuant à l’appauvrissement de tout un écosystème auquel il‧elles sont totalement étranger‧es…
Les colons fanatiques qui étendent leur présence au cœur de la Cisjordanie sous autorité palestinien‧ne ne se cachent pas d’y installer toujours plus d’avant-postes – illégaux – dans le but de répondre à un impératif suprémaciste percevant les Arabes comme une population à expulser ou à éliminer au nom d’un combat métaphysique du Bien contre le Mal. L’expression de cette dualité prend alors la forme de discours violemment racistes qui n’ont rien à envier à ceux des théoriciens du nazisme envers les Juif‧ves. En 2009, Yitzhak Shapira et Yosef Elitzur, rabbins de la colonie de Yitzhar, située à cinq kilomètres au Sud de Naplouse, publiaient un livre intitulé « Torat HaMelech » dans lequel ils défendaient l’idée selon laquelle les Juif‧ves étaient autorisés par les édits religieux à tuer des non-Juif‧ves, y compris des enfants, dans certaines circonstances. Ces écrits aux relents génocidaires ont été soutenus par Dov Lior, rabbin d’Hébron et de Kiryat Arba, mais également leader charismatique de l’extrême-droite sioniste israélienne, qui a lui aussi justifié le meurtre de non-Juif‧ves à plusieurs reprises, inspirant par ses discours transpirant la haine toute une frange de la droite israélienne. Dans le même esprit, en 2012 le rabbin Eyal Karim, actuellement rabbin des forces armées israéliennes, avait justifié l’usage du viol par les soldats en temps de guerre, considérant la chose en ces termes : « Puisque notre priorité est le succès de la communauté dans la guerre, la Torah a permis [aux soldats] de satisfaire leurs mauvaises pulsions dans les conditions qu’elle a stipulées au nom du succès de la collectivité ». Les prêches « anti-goyim » et anti arabes de ces rabbins alimentent le racisme qui justifie la commission de crimes au nom de la survie du peuple Juif, et qui ont une immense influence sur des centaines de milliers d’israéliens. Depuis, les fondamentalistes religieux qui ont fait de la colonisation de la Palestine un enjeu messianique ont progressivement insufflé leurs idées suprémacistes et fascistes jusque dans les plus hautes instances de l’Etat israélien. Leur vision raciste et millénariste est parfaitement illustrée par le discours du premier ministre israélien Benyamin Netanhayu, prononcé le 26 octobre 2023 pour justifier sa dernière offensive militaire contre les Palestinien‧nes de Gaza : « Nous sommes les fils de la lumière, ils sont les fils des ténèbres, et la lumière va prévaloir sur les ténèbres […] Rappelez-vous ce qu’Amalek[16] vous a fait ». Lorsqu’il invoque l’extermination des « graines de Amalek », la référence n’est pas religieuse mais ethnique, dans la mesure où l’islam est postérieur à la période concernée par l’utilisation de cette notion pour désigner un peuple du Sinaï en conflit avec les Judéens, les Edomites (8 à 5ème siècle av. J.C.). Au-delà, il s’agit bel et bien d’une promesse de vengeance qui trouve son origine dans la mythologie nationale. Dans le même temps, nombre d’autres représentant‧es du gouvernement et du parlement israéliens ont enchaîné les déclarations racistes faisant l’apologie du meurtre de masse à l’encontre des Arabes palestinien‧nes, alors que l’armée israélienne a engagé l’opération militaire la plus meurtrière de l’histoire d’Israël, procédant à l’épuration ethnique des Palestinien‧nes de Gaza sans qu’aucune instance internationale ni aucun Etat ne se donne les moyens d’arrêter le massacre[17]. Mais ce n’est pas nouveau : depuis de nombreuses années, le courant sioniste révisionniste dont la plupart des membres du gouvernement Netanyahu se réclament, lui y compris, multiplie les déclarations publiques ciblant les Arabes. Bien avant le 7 octobre, la droite israélienne défilait dans les rues avec le slogan « mort aux Arabes », qui est apparu plus d’une fois au cours de la dernière décennie sur de larges banderoles portées par les manifestants. Par ailleurs, la pratique du « price tag attack » initiée depuis 2008 par les colons extrémistes proches de l’actuel ministre Itamar Ben Gvir inclue l’apposition de graffitis et la commission d’actes de vandalisme violemment anti Arabes. Ben Gvir, ainsi que Bezamel Smotrich et d’autres représentants du gouvernement israélien n’ont cessé d’appeler à la destruction des communautés arabes, employant une rhétorique ouvertement raciste qui n’a plus rien à voir avec la lutte contre l’islam radical ou le terrorisme[18]. Ce n’est pas l’islam qui est visé par leurs discours incendiaires, mais très clairement l’ethnicité arabe. La boîte de Pandore ouverte par les éminences religieuses et par les représentants politiques israéliens dont ils sont proches a légitimé le débridement de la parole publique en Israël, amenant un certain nombre de personnalités à exprimer des propos indubitablement racistes et suprémacistes sans subir aucun revers de baton. L’un des exemples les plus éloquents est la déclaration de la présentatrice TV Tzofit Grant à propos des Palestinien‧nes de Gaza lors d’un show télévisé en décembre 2023 : elle les a qualifié de « loosers dégoûtants et puants, qui marchent en claquette. Un peuple repoussant. » Tout est dit. Enfin, lorsque Yoav Gallant qualifie les Gazaouis d’ « animaux humains », le choix du lexique employé est là aussi socio-ethnique plus que religieux. Il n’est pas nécessaire de citer ici toutes les déclarations racistes émises publiquement par des personnalités d’influence israéliennes pour comprendre que le racisme anti Arabe est la motivation première des politiques israéliennes.
La situation en Palestine incarne parfaitement tous les paradoxes des sociétés du Nord (occidentales) dans leur relation aux sociétés arabes en particulier et des sociétés anciennement colonisées en général, parce que les Israéliens sont majoritairement issus de ces sociétés impérialistes du Nord. A ce titre, Ils sont allochtones et importent au Proche-Orient une manière de penser ultra-individualiste, ethnocentrique et néolibérale propre aux sociétés du Nord. Se considérant à la pointe de la civilisation et de la démocratie, la très grande majorité des Israéliens (les sionistes) ne conçoivent jamais le monde arabe comme leur égal, et nient la réalité même des cultures et du progressisme arabe : pour elles‧eux, les Arabes ne peuvent être ni modernes ni démocrates. Les Arabes ne sont qu’un obstacle à la modernité capitaliste, et à ce titre leur éradication seule devient la garantie de l’ordre social et de la paix. Avec le génocide en cours à Gaza depuis le 8 octobre 2023, l’extrême-droite européenne s’est massivement solidarisée avec l’Etat d’Israël, tant sa manière de procéder à l’égard des Arabes constitue un modèle en matière d’arabicide efficace. La haine des Arabes et des Musulmans a pris le pas sur leur antisémitisme historique et il‧elles semblent avoir subitement renoué avec la part juive de leur identité judéo-chrétienne, tout en niant la part sémite de l’identité arabe.
Depuis le 11 septembre 2001 et le lancement de la guerre contre le terrorisme (War on Terror) initiée par les Etats-Unis, la communauté internationale constituée des Etats les plus influents (ONU, OTAN, G7, G20) et de leurs Etats-clients, se sont rangés derrière les néo-conservateurs américains et leur croisade idéologique et militaire contre le monde musulman. Précisons que les Arabes ne sont pas majoritaires dans le monde musulman, plus de 60% des musulmans étant asiatiques (Indonésie, Inde, Pakistan, Bangladesh) et 15% subsahariens (Afrique). La croisade occidentale contre le « terrorisme » se concentre pourtant essentiellement sur le monde arabe et l’ancienne perse (Afghanistan, Pakistan, Iran). Quoi qu’il en soit, l’accusation de terrorisme suffit à elle-même pour légitimer toutes les formes de violences à l’encontre des personnes ou groupes visés : détentions administratives sans charges, assassinats extra-judiciaires, torture, sièges et coupure des vivres et ressources, expulsions et déportations, mais aussi « bombardements de saturation » (carpet bombings) de zones résidentielles accusées d’abriter ou de soutenir des groupes terroristes[19]. Les lois de la guerre ont été soumises à tant de dérogations qu’elles sont devenues caduques. Les crimes de guerre sont même légitimés par des doctrines militaires telles que la doctrine Dahiya esquissée par le chef d’état-major israélien Gadi Eizenkot en 2010 après avoir été appliquée par l’armée coloniale israélienne au Liban en 2006. Celle-ci autorise l’emploi asymétrique et disproportionnée de la force pour faire pression sur des régimes hostiles, notamment en détruisant de façon systématique les infrastructures civiles liées à l’ennemi, et y compris si ces bombardements impliquent le massacre de centaines de civils. Il ne fait aucun doute que la stratégie employée à Gaza depuis le 8 octobre 2023 est l’application stricte de cette doctrine, les villes de Gaza, Jabalia, Deir-el-Balah, Khan Younis, Rafah, ainsi que leurs périphéries (2,14 millions d’habitants sur 365 km², soit 5967 habitants/km²) ayant été bombardées intensivement, induisant le massacre assumé de 40 000 à 200 000 civils Palestinien‧nes n’ayant évidemment aucune responsabilité dans l’attaque du 7 octobre. La notion-même de « victime collatérale » qui était déjà assez insupportable n’est plus mise en avant, le gouvernement génocidaire israélien affirmant sans trembler que tous les habitant‧es de Gaza sont liés au Hamas et qu’il‧elles sont des « animaux »[20]. Il s’agit donc, au sens hébraïque du terme, d’un holocauste[21], et donc d’un génocide.
Cette rhétorique raciste et génocidaire, implicitement approuvée par l’ensemble des alliés d’Israël, en tête desquels se trouvent toutes les anciennes puissances coloniales, fait écho aux discours racistes et islamophobes qu’on voit banalisées par l’ensemble de la classe politique européenne, de l’extrême-droite au centre-gauche, et désormais aussi par les sociaux-démocrates et libéraux qui se font encore appeler socialistes dans plusieurs pays. Au-delà, même la gauche radicale a depuis longtemps repris à son compte les poncifs contre le terrorisme, bien incapable d’apporter une critique sérieuse et intelligente de la notion, de l’emploi qui en est fait, mais aussi et surtout du glissement sécuritaire et fasciste que l’utilisation galvaudée de cette notion entraîne. L’ethnocentrisme des Blancs (appelons un chat un chat) implique qu’à chaque attaque armée contre les leurs, contre leurs intérêts ou sur leur territoire, une union sacrée déclare la patrie ou la démocratie menacée, quand bien-même depuis les années 1970 les principales victimes du terrorisme sont les Musulmans. Les pays les plus meurtris au cours des quinze dernières années sont en effet l’Afghanistan, l’Iraq, la Somalie, le Nigeria, le Burkina Faso, le Pakistan, la Syrie et le Yemen. En Iraq et en Syrie, les groupes islamistes liés à Al Qaeda et l’Etat islamique ont majoritairement tué des Musulmans[22]. Et lorsque la communauté internationale intervient militairement pour riposter au terrorisme, elle anéantit les sociétés civiles déjà prises pour cibles par les groupes armés et entretient par là le terreau désastreux sur lequel se développent la haine et le fondamentalisme. L’ironie de l’histoire, et c’est ce que les sociétés du Nord refusent de comprendre (ou nient consciemment), c’est que le « terrorisme » est en réalité un réflexe d’auto-défense de société ou d’individus écrasés par le capitalisme et l’impérialisme qui en découle.
Ce que cette réalité continue d’occulter avec succès, c’est que la motivation et l’objectif des guerres impérialistes ne sont jamais l’instauration de la paix et de la démocratie, mais plutôt le maintien d’un statu quo chaotique tout à fait compatible avec la prédation capitaliste et le pillage des ressources qu’elle implique. Aucun des pays où les Etats-Unis et ses alliés sont intervenus depuis les années 1960 n’a vu l’installation d’un régime démocratique durable, bien au contraire. Toute démocratie arabe, au contraire, menacerait l’économie occidentale parce qu’elle s’accompagnerait de l’auto-gestion de ses ressources et d’une remise en question probable de l’hégémonie économique des pays du Nord, tout en permettant à ses ressortissant‧es de revenir au pays et de voyager librement, sans continuer de constituer une main-d’œuvre exploitée exclusivement par les anciennes puissances coloniales. A contrario, plusieurs pays du Nord, mais aussi les pétromonarchies de la péninsule arabique, ont activement soutenu des groupes armés islamistes dans le centre et le Nord de la Syrie, dans l’espoir de déstabiliser le régime d’Assad et ses alliés russo-iraniens, tout en appuyant militairement les Kurdes afin de garder à l’abri les ressources en pétrole du Nord-Est de la Syrie, qui constituent 70% des ressources totales du pays. En 2019, le président des Etats-Unis Donald Trump déclarait ainsi : « Nous gardons le pétrole, ne l’oubliez pas. Nous voulons garder le pétrole. Quarante-cinq millions de dollars par mois. »
Les interventions occidentales s’inscrivent dans un continuum colonial dont les enjeux et objectifs n’ont jamais changé depuis le 19ème siècle. L’une des démonstrations éloquentes de cette affirmation est le désintérêt total de la communauté internationale pour la révolte démocratique et non-confessionnelle de la population du gouvernorat de Suwayda en Syrie, qui a débuté en août 2023 et se poursuit toujours plus d’un an plus tard. Le fait que la région soit à majorité Druze, une minorité qu’il est impossible d’associer à l’islamisme, et qu’elle n’ait sur son territoire aucune ressource d’importance, en fait un enjeu négligeable pour des régimes capitalistes habitués à mettre dos-à-dos les communautés ethniques et religieuses dans le but de tirer un profit économique du désordre engendré. Il ne peut y avoir de mouvement démocratique arabe qui suscite l’intérêt des démocraties occidentales. Pour elles, « Démocratie » et « Arabe » forment un oxymore. Israël, qui se présente en démocratie et qui occupe les villages Druzes du Golan depuis 1967, ne semble pas non plus intéressé à encourager l’émergence d’un mouvement démocratique et non-confessionnel parmi les Arabes druzes vivant à proximité. On peut légitimement penser que l’existence d’Israël est moins menacée par les attaques armées du Hamas et du Hezbollah que par l’instauration de régimes arabes véritablement démocratiques à ses frontières. En effet, une démocratie arabe véritable ne saurait souffrir de la présence de l’entité coloniale et n’aurait cesse de remettre en question son existence, a minima par solidarité avec les Palestinien‧nes soumis‧es à son régime violent d’apartheid. Celles‧ceux qui croient qu’Israël promeut la paix et la démocratie au Proche-Orient se fourvoient : la guerre lui est autrement plus bénéfique, et c’est la raison pour laquelle Israël a consciencieusement saboté les accords de paix engagés avec l’Organisation pour la Libération de la Palestine (OLP), facilitant l’assassinat de ses artisans Yitzhak Rabin (en 1995) et Yasser Arafat (en 2004), avant de favoriser l’émergence du Hamas dans le but avéré de faire échec à ses opposants modérés et non confessionnels du Fatah, notamment du très populaire Marwan Barghouti, emprisonné depuis 2002 suite à deux tentatives d’assassinat échouées. Jusqu’à ce jour, Israël n’a jamais protégé la démocratie, mais au contraire promu le fascisme pour maintenir son existence illégitime, encouragée par ses parrains étasunien et britannique pour lesquels Israël constitue le meilleur avant-poste ou cheval de Troie au Proche-Orient qui puisse exister.
Les guerres incessantes au Proche-Orient, mais également les politiques mises en place en Europe et aux Etats-Unis, s’accompagnent ainsi d’un arabicide physique et culturel permanent sous prétexte de combattre le terrorisme, de protéger la démocratie et de défendre les « valeurs occidentales ». Israël se place dans le continuum logique de cette approche suprémaciste/impérialiste.
NOTES :
[1] Nombre de ces colonies sont des kibboutz, ce qui ne leur enlève pas leur statut de colonie.
[2] Voir la carte établie par « October 7th Geo-visualization Project » : https://oct7map.com/
[3] Au 3 septembre 2024, 117 otages ont été libérés, dont 100 à l’issue de négociations avec le Hamas. 97 otages sont toujours à Gaza, dont 33 sont présumés morts.
[4] Ces fake news ont été debunkée par plusieurs media, dont le media israélien Haaretz : les mensonges s’appuyaient sur les fausses déclarations de l’ONG sioniste Zaka, qui identifie des victimes du terrorisme, des accidents de la route et autres catastrophes en Israël et partout dans le monde. Il est utile de rappeler que son fondateur Yehuda Meshi-Zahav a été poursuivi pour une série de viols et violences sexuelles commis sur plusieurs années, ainsi que des détournements de fonds, avant de décéder dans le coma en 2022 suite à une tentative de suicide.
[5] La première croisade de 1095-1096 s’en prend également aux Juif‧ves.
[7] Ces exemples ont été pris de manière totalement arbitraire, mais évidemment la liste est bien plus longue.
[8] Le 1er février 2024 deux militants fascistes Lyonnais du groupe Les Remparts, Pierre-Louis Perrier et Sinisha Milinov, ont poignardé de douze coups de couteaux trois personnes arabes à la sortie d’une boîte de nuit.
[9] J’inclue le « sionisme de gauche » des kibboutzim dans la catégorie du nationalisme modéré.
[10] Le « terrorisme » au nom du nationalisme arabe a été initié dès les années 1970 par les organisations palestiniennes Septembre Noir, fondée en 1970 par des membres du Fatah, et Fatah-Conseil Révolutionnaire (Fatah-CR), fondée en 1974 par Sabri al-Banna (« Abu Nidal ») sous l’impulsion de Saddam Hussein. La première est connue pour l’assassinat du premier ministre jordanien Wasfi Tall le 28 novembre 1971 et la prise d’otage et l’exécution de 11 athlètes israéliens lors des JO de Munich les 5 et 6 septembre 1972. La seconde est tenue pour responsable d’attentats et d’assassinats ciblés ayant conduit à la mort de plus de 300 personnes entre 1972 et 1997.
[11] Voir le film « Hannah Arendt » de Margarethe von Trotta, 2012.
[12] L’une des principales critiques qui a été faite à Hannah Arendt est de ne pas « aimer les Juifs ». En hébreux, cet amour spécifique porte un nom, Ahavat Israël.
[13] Le désert est entendu ici comme le lieu où disparaît ce qui constitue « le monde », c’est-à-dire ce qui relie les humains, à savoir l’ensemble des relations sociales où naît le politique.
[14] Dans le roman fantastique de J.R.R. Tolkien Le Seigneur des Anneaux, le Mordor est une région qui se situe à l’extrême Orient de la Terre du Milieu et qui constitue le fief du Seigneur des Ténèbres et des forces du mal.
[15] Le Fond National Juif a pris en charge la plantation de 240 millions d’arbres, majoritairement des pins considérés comme invasifs par les naturalistes, qui leur reprochent d’appauvrir les sols et d’empêcher à d’autres espèces végétales de se développer, tout en constituant un facteur majeur d’incendies.
[16] Le discours de Netanyahu fait référence ici aux écrits du Deutéronome 25 :17 de l’Ancien Testament qui mentionnent l’attaque des Hébreux par les Amalécites, descendants d’Amalek, lors de leur exode depuis l’Egypte. Les Amalécites incarnent dans le judaïsme l’ennemi archétypal des Juifs‧ives, sans que leur existence en tant que groupe ethnique ou social n’aie jamais pu être établie par les historiens et archéologues. Et si tel était le cas, il est improbable que ceux-ci aient un lien quelconque ni avec les Philistins, ni avec les Arabes de Palestine.
[17] Au moment où ces lignes sont écrites, soit cent jours exactement après le déclenchement de la guerre, on décompte 40861 morts Gazaouis, dont 16164 enfants et 10399 femmes, auxquels s’ajoutent plus de 94100 blessés et 10000 disparus. 220 employés de l’ONU, 172 journalistes, 523 professionnels de santé et 76 membres de la défense civile ont été tués. Près de 2 millions de Gazaouis ont été déplacés de force et à plusieurs reprises dans la partie Sud de la bande de Gaza, sans possibilité de quitter le territoire. 516 500 habitations ont été détruites, ainsi que 439 écoles, 763 lieux de culte et 19 hôpitaux.
[18] Il est nécessaire de se rappeler que le 26 février 2023, des centaines de colons israéliens aidés par l’armée d’Israël avaient attaqué le village de Huwwara, se livrant à des incendies et violences volontaires d’une telle ampleur que la presse internationale avait qualifié l’attaque de pogrom. Le ministre des finances israélien, Bezamel Smotrich, avait alors exprimé son souhait que le village Palestinien soit « rasé ». Ce n’était alors qu’un avant-goût de la violence raciste et suprémaciste qui s’est déployée à l’occasion de l’offensive sur Gaza quelques huit mois plus tard.
[19] Les premiers exemples de « tapis de bombes » sont le bombardement de Guernica et Barcelone par les fascistes en 1937-1938 ou celui de Chongqing (Chine) par le Japon en 1938, avant que cette pratique soit banalisée autant par les Nazis (Varsovie, Rotterdam, Londres, Coventry) que par les Alliés (Hambourg, Dresden, Tokyo) durant la seconde guerre mondiale, puis par l’aviation américaine au Vietnam en 1964-1965.
[20] Propos du ministre de la Défense israélien Yoav Gallant le 9 octobre 2023 : “We are imposing a complete siege on Gaza. There will be no electricity, no food, no water, no fuel. Everything will be closed. We are fighting human animals and we act accordingly”
[21] Le dictionnaire Larousse indique en effet : « Holocauste (bas latin holocaustum, du grec holokaustos, de holos, entier, et kaustos, brûlé) : Dans l’ancien Israël, sacrifice religieux où la victime, un animal, était entièrement consumée par le feu ; la victime ainsi sacrifiée »
[22] Mon propos n’est pas ici de nier les nombreuses victimes Yézidies, Kurdes, Druzes, Chrétiennes ou appartenant à d’autres minorités prises pour cible par les islamistes, mais de confronter les chiffres totaux en termes de proportions. Les huit principaux groupes djihadistes (ISIL, Taliban, Boko Haram, Al-Shabaab, Tehrik-i-Taliban Pakistan, islamistes peuls, Al-Qaeda en Iraq et Al-Qaeda) ont fait près de 100 000 victimes depuis 2000.
Le mardi 19 décembre 2023 se tenait à Lyon le salon de l’Alyah, organisé par L’Agence Juive pour Israël [1]. Cet événement, qui se produit à l’abri des regards et sans diffuser son adresse, comme s’il avait quelque chose à se reprocher ou à craindre de la lumière, a pour objectif d’aiguiller les candidat-es à la colonisation de la Palestine dans leur démarche pour s’installer là où vivent déjà d’autres gens, dans la perspective assumée de les y remplacer. L’Alyah répond en effet à cette promesse messianique qui aurait été faite à la diaspora juive de pouvoir un jour « retourner » s’installer en Palestine sans s’y soucier de ceux qui y vivent depuis des siècles. Pour accompagner ces candidat-es à la colonisation, les Olim, le ministère Israëlien de l’Alyah fournit une quantité de cadeaux, d’avantages et d’aides financières dont les montants sont listés sur leur site internet. Le « panier d’intégration » à lui-seul représente plus de 19 000 shekels (5 000€) pour une personne seule, et jusqu’à 37 000 shekels (9000€) pour un couple [2].
L’Agence Juive pour Israël explique ainsi que « Tous les Juifs, quel que soit leur lieu de naissance, sont des citoyens israéliens de droit. » Si l’on se réfère aux statistiques, ce sont donc entre 8 et 14 millions de personnes à travers le monde qui pourraient faire valoir leur droit à occuper la Palestine en plus des 6,7 millions de citoyen-nes juif-ves déjà présent-es en Israël (sur une population totale de 9,6 millions). Sur 22 000 km², cela impliquerait que la superficie de territoire disponible par citoyen d’Israël passerait des 2,30 m² actuels à moins de 1,5 m², si l’on inclue la population totale actuelle qui n’est pas constituée que de personnes de confession ou d’origine juive. On comprend alors le besoin absolu des partisan-nes de la colonisation d’agrandir leur « Lebensraum » (espace vital) en déplaçant ou en épurant ethniquement le territoire qu’il-elles convoitent en plus de celui qu’il-elles occupent déjà. La logique génocidaire qui sous-tend ce projet apparaîtra évidente à toute personne douée de raison.
Alors que près de 20 000 Palestinien-nes, dont près d’une moitié d’enfants, sont massivement exterminé-es dans le bombardement implacable du ghetto de Gaza, la tenue d’un tel événement démontre l’insensibilité et l’immoralité sans limite de ses organisateur-ices, qui poursuivent de manière implacable leur projet de colonisation. Chaque participant-e à ce salon porte la responsabilité indéniable du crime de masse qui se perpétue entre la mer Méditerrannée et le Jourdain, confirmant combien le mal peut se cacher derrière la banalité apparente d’un simple « déménagement vers Israël ».
C’est donc légitimement qu’une poignée de personnes sensibles au sort des Palestinien-nes pris-es en otages et condamné-es à mort par l’expansionnisme sioniste ont décidé ce 19 décembre de se rendre à proximité du salon de l’Alyah pour dénoncer l’atrocité que ces transferts de population impliquent.
Le salon se tenait dans les locaux partagés par le Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (CRIF) et le Fond Social Juif Unifié (FSJU), au 68 rue Mongolfier dans le 6e arrondissement de Lyon. A proximité du bâtiment, près d’une vingtaine d’hommes habillés de noir et au visage dissimulés étaient chargés de sécuriser l’événement, sans qu’aucun signe distinctif ne puisse permettre d’identifier s’il s’agissait d’une entreprise de sécurité privée ou d’une milice ultra-nationaliste d’obédience sioniste. A l’étude des articles publiés au lendemain de l’événement, il est permis de croire qu’il s’agit du groupement d’extrême-droite sioniste Ligue de Défense Juive (LDJ) [3].
Inquiété par la présence dissuasive et virile de ces vigiles au visage dissimulé, le petit groupe d’une douzaine de sympathisant-es de la cause Palestinienne – dont au moins une personne portait le badge de l’Union Juive Française pour la Paix – a choisi de ne pas manifester avec bruit et de se contenter de tenir des pancartes et des drapeaux palestiniens sur le trottoir en face de l’événement, au niveau du parking situé place Zoé Roche. Les messages des pancartes ont été choisis pour ne pas permettre d’amalgame sur la clarté politique des motivations du piquet de protestation : « Stop au génocide », « Liberté pour la Palestine », « Stop à la colonisation », etc. Sur certains cartons étaient collés des portraits de victimes civiles du massacre à Gaza.
Alors même que le groupe essayait de se tenir sur le trottoir faisant face à l’événement, les miliciens du salon ont traversé rapidement le carrefour et ont immédiatement agressé leurs détracteurs, en arrachant leurs pancartes et leurs drapeaux et en tentant des coups de pieds et de poings dans leur direction, tout en les insultant verbalement de « fils de putes » et autres injures dépolitisées et masculinistes.
Les protestataires ont ainsi été repoussés violemment sur le trottoir de la rue Boileau jusqu’à la rue Duquesne. Leur réaction a été de ne pas entrer au contact des agresseurs et des vidéos montreraient (les agresseurs ont filmé leur propre attaque, comme le font les soldats de Tsahal pour leurs crimes commis à Gaza) qu’à plusieurs reprises il-elles ont tenté de temporiser, d’abord en questionnant le fait que la sécurité privée d’un événement traverse la chaussée pour aller intimider des protestataires non-violent-es sur le trottoir d’en face, puis en leur criant de « garder leurs distances ». Face à l’agression, des personnes du groupe pro-Palestinien ont légitimement invectivé leurs agresseurs, sans qu’aucune insulte à caractère discriminatoire n’aie été prononcée. Ce qui était dénoncé, c’était leur ultra-nationalisme et leur qualité de colons, ce que l’un des agresseurs à même admis en rigolant, trahissant le fait que « colon » ne constituait pas pour lui une injure.
Au croisement de la rue Duquesne, un membre de la milice sioniste a aspergé l’un des manifestant-es au visage, aveuglant au passage l’un des ses collègues, qui est tombé au sol dans la foulée. Le reste des manifestant-es s’est alors enfui pour se débarrasser de ses agresseurs qui semblaient déterminés à continuer de les repousser par la violence. Ayant enfin pris leurs distances, les militant-es de la cause Palestinienne ont juste eu le temps de se compter et pour certain-es de quitter les lieux, avant qu’une trentaine d’agents des forces de l’ordre (BST, CDI…) n’arrêtent six d’entre eux-elles sur le croisement de la rue Créqui, soit à trois pâtés de maison et plus de 350 mètres du salon de l’Alyah.
Lors du contrôle, une demi-douzaine de membres de la milice sioniste se sont positionnés sur le trottoir d’en face pour filmer, insulter et menacer les six personnes contrôlées, sans que les policiers ne les fasse partir, ni ne les contrôlent. Au contraire, ils recueilleront par la suite les plaintes outrageusement mensongères de deux des agresseurs, qui viendront nourrir la procédure judiciaire ouverte contre les personnes interpellées, alors même qu’aucun élément probant en la possession de ces dernières ne permettent de caractériser les faits de violences qui leur sont imputées à tort.
Précisons que le 11 décembre 2023, toujours à Lyon, une conférence pour la Palestine avait été violemment attaquée par un groupe armé d’ultra-droite à l’aide de barres de fer, de mortiers d’artifices et de bouteilles en verre, blessant sept personnes dont trois ont dû être hospitalisées, sans que la police ne soit aussi prompte à intervenir pour arrêter les agresseurs avérés. A la place, ce sont les participant-es à la conférence qui ont été injurié-es par la police et menotté-es pendant 45 minutes alors qu’ils-elles se trouvaient à l’intérieur du local associatif. Au regard de ces deux événements, mais aussi de l’interdiction de conférences organisées par les collectifs antifascistes sous prétexte de menaces de la part de l’ultra-droite, force est de constater que la préfecture, le ministère de l’intérieur et le parquet se posent systématiquement en soutien des groupes nationalistes/fascistes en investissant une étonnante énergie à persécuter les victimes plutôt que leurs agresseurs.
Et au tour de la presse, notamment le Figaro et le premier article du média local Le Progrès [4], de donner crédit aux mensonges éhontés des agresseurs, relatés par le site de la Chambre de commerce France-Israel « Israel Valley » et repris par « i24 », en parlant de « l’attaque » du salon de l’Alyah par une « cinquantaine » de membres de la « mouvance d’ultra-gauche » qui auraient tenté de « s’introduire dans le bâtiment de l’événement » avant qu’une « bagarre n’éclate avec les forces de l’ordre et les membres de la sécurité privée ». Les forces de l’ordre auraient ensuite « mis fin à cette bagarre », toujours « selon les sources » d’i24 [5]. L’enquête de police quant à elle révèle que les agresseurs auraient eu l’indécence de déposer plainte et de déclarer avoir été attaqués à l’aide de « matraques télescopiques » et de « gaz lacrymogène », tout en ayant subi les insultes « sales juifs » et « mort aux juifs ». Il est sidérant de voir comment les déclarations mensongères d’un groupe ultra-nationaliste assumé fait office de vérité juridique et médiatique, alors même que plusieurs informations sont objectivées par les faits : il n’y a pas eu plus de quinze personnes dans le groupe de protestataires, il n’y a pas eu d’attaque ou de tentative d’intrusion, il n’y a pas d’armes en possession des personnes interpellées, il n’y a pas de blessé-e, personne n’a jamais employé d’injures racistes à l’encontre des agresseurs, et la police n’était présente à aucun moment de l’altercation. Là encore, l’agresseur sioniste fonde la commission de ses crimes sur la désinformation et le mensonge, comme il le fait dans les ruines de Gaza, bien incapable de prouver la véracité et la légitimité des arguments justifiant le génocide de tout un peuple.
« Si tout le monde vous ment en permanence, la conséquence n’est pas que vous croyez les mensonges, mais plutôt que personne ne croit plus rien. En effet, les mensonges, de par leur nature même, doivent être modifiés, et un gouvernement menteur doit constamment réécrire sa propre histoire. Au bout du compte, on ne reçoit pas qu’un seul mensonge – un mensonge que l’on pourrait ressasser jusqu’à la fin de ses jours – mais un grand nombre de mensonges, selon le vent politique qui souffle. Et un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut plus prendre de décisions. Il est privé non seulement de sa capacité d’agir, mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et avec un tel peuple, on peut alors faire ce que l’on veut. » – Hannah Arendt, dans un entretien avec l’écrivain français Roger Errera (1974).
En attendant, six personnes se sont vues privées de liberté, prélever leurs empreintes digitales et génétique et saisir leurs téléphones dans le cadre d’une enquête transmise à des « services spécialisés » sans qu’aucune trace ou preuve de l’injustice qu’elles ont subie ne soient conservées en leur possession. Relâchés sans explications après 24 heures d’une garde-à-vue coupée en deux (18 heures, puis une reprise de 6 heures après une nuit d’interruption), leurs téléphones restent entre les mains d’enquêteurs non identifiés. Il leur est également signifié que la police peut à tout moment les reconvoquer pour les placer en garde-à-vue ou effectuer des actes d’investigations complémentaires (auditions, confrontations ou « tapissages », perquisitions…)
L’une des personnes interpellées est une ressortissante Syrienne, conjointe de Français, qui vit depuis le mois d’octobre avec la douleur permanente de voir son peuple (au sens large) exterminé par Israël. Au fond de son sac à dos, dans lequel se trouvaient aussi les tupperwares témoignant du fait qu’elle venait directement de son travail pour un rassemblement pacifiste qui lui tenait à coeur, et donc sans s’être préparée à une « attaque à main armée », les policiers ont trouvé un petit spray de gaz poivre (OC) de 9 cm, neuve et non utilisée, comme en portent avec elles des milliers de femmes constamment harcelées et violentées dans une société profondément sexiste et misogyne. Cet élément anodin vient de manière absurde caractériser les faits et l’objet a été saisi et placé sous scellé au même titre que son keffieh, qui au-delà de sa symbolique pro-Palestinienne, est un accessoire traditionnel des peuples arabes de tout le Proche-Orient. Notre amie, encore choquée par ces mesures prises à son encontre, demande aux communautés féministes et intersectionnelles de bien vouloir lui montrer du soutien, en affirmant haut et fort qu’un spray lacrymogène constitue un moyen minimal de se protéger en tant que femme. Contrairement à ce qu’Israël invoque pour justifier le génocide à Gaza, on parle ici bien d’un droit à se défendre…
Il faut que les poursuites contre les 6 soient abandonnées et que leurs téléphones leurs soient rendus sans tarder !
Les auteur-es de cet article portent la responsabilité exclusive de leurs parole et point de vue, qui n’implique pas l’ensemble des personnes présentes et/ou impliquées dans les faits relatés. Pour nous joindre, contacter : interstice.1@tutanota.com
Plus de dix ans après le soulèvement de 2011, la révolte a repris dans le sud de la Syrie. Comme en 2011, les grands médias n’en parlent guère, comme si les soulèvements populaires dans cette région n’avaient d’intérêt que s’ils coïncidaient avec les intérêts des États qui s’emploient à découper le Moyen-Orient depuis les accords Sykes-Picot de 1916.
Cette fois-ci, la révolte a commencé à Suwayda, le gouvernorat druze, à la mi-août et s’est étendue modestement à d’autres villes, notamment dans le gouvernorat voisin de Dera’a.
Ce texte offre une mise en contexte de la Syrie en général et de Suwayda en particulier. Il a été écrit par des personnes de la région qui sont préoccupées par la situation sur place et qui espèrent qu’une solution sera enfin trouvée pour le peuple, qui ne consiste pas simplement à choisir ses oppresseurs. Aucune puissance étrangère ne peut proposer une solution viable et satisfaisante pour les Syrien-nes, leur terre ayant servi de terrain de jeu sanglant à toutes les puissances qui se sont immiscées dans leurs affaires.
L’EXCEPTION DRUZE
Les Druzes sont une communauté religieuse attachée à une croyance hétérodoxe de l’islam chiite ismaélien, née en Egypte sous l’impulsion de l’imam Hamza ibn Ali ibn Ahmad et du vizir Nashtakin ad-Darazi au début du XIe siècle. La religion druze, comme le soufisme, a une approche philosophique et syncrétique de la foi, ne reconnaissant ni les préceptes rigoristes ni les prophètes de l’islam. A noter que les druzes préfèrent s’appeler Al-Muwahhidun (Unitariens) ou Bani Maaruf (Gens de Bien). Malgré la diffusion de cette croyance au Caire sous le califat fatimide d’Al-Hakim, vénéré par les Druzes, ces dernier-es ont été rapidement persécuté-es par le reste de la communauté musulmane après sa disparition en 1021. Il-elles se sont alors exilé-es dans le Bilad el-Cham (Syrie, Liban, Jordanie et Palestine actuels), plus précisément au Mont-Liban et au Hawran. Cependant, c’est vers le début du 19ème siècle que la communauté druze du Hawran s’est renforcée après qu’une grande partie de la communauté ait été expulsée du Mont-Liban par les autorités ottomanes. Le Hawran prit alors le nom de Jebel al-Druze.
Aujourd’hui, le gouvernorat de Suwayda abrite la majorité de la communauté druze mondiale, soit environ 700 000 personnes. Les Druzes libanais-es constituent la deuxième communauté par ordre d’importance, avec 250 000 personnes. En Syrie, plusieurs colonies druzes existent également à Jebel al-Summaq (Idlib, 25 000 personnes), Jebel al-Sheikh (Quneitra, 30 000 personnes) et Jaramana (banlieue de Damas, 50 000 personnes). Enfin, en dehors de la Syrie et du Liban, les plus grandes communautés druzes se trouvent en Palestine occupée (al-Juwlan, Galilée et Mont Karmel, 130 000 personnes), au Venezuela (100 000 personnes), en Jordanie (20 000 personnes), en Amérique du Nord (30 000 personnes), en Colombie (3 000 personnes) et en Australie (3 000 personnes).
Suite à de nombreuses révoltes contre l’Empire ottoman jusqu’en 1918, puis contre les colonisateurs français entre 1925 et 19451Le retrait des Français en 1945 est largement dû à la lutte pour l’indépendance menée depuis les années 1920 par le sultan Pacha al-Atrach, représentant d’une famille de notables druzes, dont les faits d’armes et la résistance à l’occupant sont encore célébrés par de nombreux-ses Syrien-nes., les Druzes ont une réputation d’insoumission qui les caractérise encore aujourd’hui et qui leur a permis de maintenir un rapport de force permanent avec le régime Assad, basé sur des compromis négociés entre les leaders druzes et les représentants locaux du régime2Le régime ne dispose d’aucun point de contrôle à l’intérieur du gouvernorat de Suwayda et la communauté refuse d’envoyer ses jeunes dans l’armée en dehors de la région. Néanmoins, l’administration du gouvernorat et les services de sécurité restent présents et informés de ce qui se passe dans la région.Après 2011, bien que quelques cheikhs aient exprimé leur soutien au régime3Parmi ces cheikhs, les plus connus sont le cheikh Jerbo et Nayef al-Aqil de la faction Dir’ al-Watan., de nombreux-ses Druzes ont participé aux manifestations contre Bachar al-Assad, soutenant pour la plupart la position des « Hommes pour la dignité »4https://yalibnan.com/2012/03/25/anti-regime-druze-spiritual-leader-killed-in-syria/, qui ont refusé de participer à la guerre et ont appelé la communauté à s’armer dans le seul but de se défendre. Les cheikhs ont pris les devants et l’initiative en refusant de rejoindre l’armée du régime dans le but de protéger la région et sa jeunesse, mais aussi pour éviter que la communauté ne soit compromise dans la guerre d’Assad en participant à la répression d’autres communautés ailleurs. Ce défi au régime a été incarné, entre autres, par les cheikhs druzes Ahmed Salman al-Hajari et Abu Fahd Wahid al-Bal’ous, qui ont tous deux été tués, le premier dans un « accident » de voiture en mars 20125https://www.meforum.org/5554/the-assassination-of-sheikh-abu-fahad-al-balous et le second dans un attentat à la bombe qui a tué 23 autres personnes en septembre 2015.
D’autres personnalités druzes se sont engagées dans l’opposition : Khaldoun Zeineddine, son frère Fadlallah Zeineddine et Hafez Jad Al-Kareem Faraj, tous trois officiers dans l’armée syrienne, dont ils ont fait défection pour rejoindre les rebelles. Khaldoun Zeineddine a formé le bataillon Sultan Pacha al-Atrash au sein de l’Armée syrienne libre (ASL)6https://foreignpolicy.com/2015/06/22/druze-syria-assad-israel-netanyahu/ ; https://syrianobserver.com/news/34453/sedition_between_druze_and_sunni_fighters.html. Rejoint par un certain nombre de Druzes, le bataillon est toutefois resté faible et isolé et a dû faire face à plusieurs attaques et enlèvements par les rebelles d’Al-Nusra à Dera’a7https://www.meforum.org/3463/syrian-druze-neutrality avant d’être définitivement anéantie et son commandant tué en 20138https://www.zamanalwsl.net/news/article/45392. Ses membres restants se sont réfugiés en Jordanie, d’où ils ont annoncé la cessation de leurs activités en janvier 2014, dénonçant un manque de soutien à la révolution de la part du Conseil militaire de Suwayda et de la communauté druze, ainsi que l’hostilité envers les Druzes de la part des groupes rebelles de Dera’a, qualifiés d’islamistes et accusés d’être complices du régime d’Assad9https://www.zamanalwsl.net/news/article/45392 (AR).
D’une manière générale, les Druzes ont une vision laïque de la société et leurs représentants religieux refusent de prendre en charge les affaires politiques et administratives de la communauté. Dans les conflits qui ont secoué la société druze et syrienne, les cheikhs ont à plusieurs reprises exprimé leur soutien et leur encouragement aux choix de la communauté10https://www.youtube.com/watch?v=J8HeEzKTmbc (EN). Si la communauté druze a refusé de prendre parti dans la guerre civile, elle a néanmoins toujours exprimé son rejet du régime, n’hésitant pas à affronter les forces de sécurité présentes dans le gouvernorat pour faire valoir leurs revendications ou libérer des prisonniers des mains de l’armée11https://suwayda24.com/?p=20610 (AR).
BACHAR ET SES PANTINS ISLAMISTES
Dès le début de l’insurrection et à plusieurs reprises depuis, le régime a joué la carte de la division et de la domination, exhortant les minorités religieuses chiites et ismaéliennes (auxquelles appartiennent les Druzes) à s’opposer à la FSA en raison de la « menace islamiste » que leur composante majoritaire sunnite serait censée représenter. Dans la rhétorique propagandiste du régime et de ses alliés, les rebelles de l’ASF sont constamment assimilés au Front Al-Nusra et qualifiés de salafistes ou de takfiri, tandis que les idiots utiles de l’État islamique sont utilisés de mille manières pour entraver la révolution et agir de concert avec les forces du régime pour massacrer sans discernement la population syrienne. En effet, la composante religieuse la plus radicale de l’opposition syrienne a été délibérément favorisée par le régime : entre juin et octobre 2011, trois mois après les premières manifestations anti-régime, Bachar el-Assad a libéré de prison près de 1 500 militants islamistes, dont la plupart ont ensuite rejoint des groupes djihadistes affiliés à Al-Qaïda et à DAESH. Ainsi, les principaux dirigeants des groupes Jabhat al-Nusra, Ahrar al-Sham et Jaish al-Islam, ainsi que la section de DAESH responsable de la plupart des décapitations d’étrangers, avaient été précédemment libérés de la tristement célèbre prison de Saydnaya12https://s.telegraph.co.uk/graphics/projects/isis-jihad-syria-assad-islamic/ (EN).
La stratégie de Bachar el-Assad a porté ses fruits, puisque le déferlement de violence des djihadistes de DAESH a réussi à détourner durablement le regard du reste du monde des atrocités commises par l’armée syrienne, les chabihas13https://npasyria.com/en/53834/ (EN) ; https://cija-syria-paramilitaries.org/#investigating-assads-ghosts (EN) et les milices soutenues par l’Iran14https://syriafreedomforever.wordpress.com/2017/02/26/the-rawr-report-interview-with-joseph-daher-on-hezbollah-and-the-syrian-revolution-02162017/ (EN), puis des bombardements massifs de civils dans le nord et l’est du pays par l’aviation russe à partir de septembre 201515https://www.aljazeera.com/news/2015/9/30/russia-carries-out-first-air-strikes-in-syria, cette intervention militaire étant elle-même motivée par la « lutte contre les islamistes ». De plus, elle a permis aux Unités de protection du peuple (YPG) et aux Unités de protection des femmes (YPJ) kurdes de prendre leurs distances avec la révolution syrienne et de concentrer leurs forces sur la lutte contre les islamistes, principalement avec l’aide des Etats-Unis. Enfin, en raison de la terreur instaurée par les djihadistes et par désintérêt pour le sort du peuple syrien et de sa révolution, la « communauté internationale » (UE, USA et ONU) n’a pas apporté de soutien substantiel à l’ASF, laissant le Qatar, l’Arabie saoudite et la Turquie apporter un soutien logistique et militaire aux composantes de l’ASF les plus compatibles avec leur agenda politique et leurs intérêts confessionnels, en l’occurence « les islamistes »16Les principaux sont Ahrar al-Sham (Qatar, Turquie, Arabie saoudite), le Front islamique de libération de la Syrie (Qatar, Turquie), Liwa al-Tawhid (Qatar, Turquie), Jaych al-Islam (Arabie saoudite, Qatar).. Les composantes démocratiques, laïques et socialistes du FSA, abandonnées de toutes parts et menacées de l’intérieur par les islamistes, n’ont alors eu d’autre choix que de rejoindre les groupes sectaires pour survivre et poursuivre la lutte contre le principal bourreau du peuple syrien : le régime de Bachar el-Assad17https://thisishell.com/interviews/894-leila-al-shami-robin-yassin-kassab (EN).
En mai 2018, le régime de Bachar al-Assad a conclu un accord avec DAESH pour leur reddition dans la région de Damas.18https://english.aawsat.com/home/article/1275206/isis-militants-evacuated-southern-damascus-desert (EN). Suite à cet accord, 800 de ses combattants et leurs familles (1 800 personnes) ont été évacués des quartiers de Yarmouk et Tadamon (banlieue de Damas) vers le désert près de Palmyre et vers des villages abandonnés au nord-est de Suwayda19Hameaux appelés Ashraffieh, al-Saqiya et al-Awara, à moins de 20 kilomètres de la base militaire de Khalkhalah et à moins de 10 kilomètres des premières colonies druzes aux portes du désert, al-Qasr et Barek – https://suwayda24.com/?p=2423 (AR), avec 40 camions et voitures sous haute surveillance de l’armée syrienne. Trois mois plus tard, le 25 juillet 2018, DAESH a, comme on pouvait s’y attendre, tenté d’envahir le gouvernorat de Suwayda par l’Est, guidé par des Bédouins qui avaient une discorde de longue date avec les Druzes. À l’aube, les combattants de DAESH ont ainsi commencé à massacrer la population de plusieurs villages druzes à la lisière du désert20Villages de Tema, Douma, al-Kseib, Tarba, Ghaydah Hamayel, Rami, al-Shabki, al-Sharahi, al-Matouna et al-Suwaymra – https://suwayda24.com/?p=4431 avant de prendre en otage 42 membres de la communauté (dont 16 enfants et 14 femmes21Le 31 juillet 2018, le régime négocie la libération de femmes retenues en otage par les djihadistes, en échange d’un accord sur l’évacuation de plus de 200 de leurs combattants de l’ouest de Deraa (bassin de Yarmouk) vers la région de la Badiya. Refusant l’accord, l’État islamique a exigé une rançon, avant de publier la vidéo de l’exécution d’un des otages, Muhannad Touqan Abu Ammar, un Druze de 19 ans résidant à al-Shbeki, le 2 août 2018 – https://www.youtube.com/watch?v=f_OhL8bJD2M (AR). Finalement, les otages restant-es ont été libéré-es à la suite d’accords conclus avec le régime en octobre et novembre 2018, tandis que 700 à 1 000 djihadistes ont été évacués vers la Badiya en vertu d’un nouvel accord conclu avec le régime le 17 novembre – https://suwayda24.com/?p=19606 (AR) ; https://stj-sy.org/en/946/ (EN)) et en perpétrant quatre attentats-suicides au cœur de la ville principale de Suwayda22https://www.hrw.org/news/2018/08/25/syria-isis-holding-children-hostage (EN). Des centaines de Druzes de Jabal al-Druze (région de Suwayda), rejoints par des Druzes de Jabal al-Sheikh (situé à la frontière avec le Liban), ont spontanément pris les armes et rejeté DAESH au désert, mettant un terme à sa campagne vers le Sud du pays23L’offensive de DAESH a touché 10 villages, 263 personnes ont été tuées (30 par les kamikazes de Suwayda) et 300 blessées. En représailles au massacre, le 7 août 2018, des membres locaux du Parti social nationaliste syrien (PSNS) pro-régime ont pendu un homme âgé qu’ils ont présenté comme un djihadiste à ce qu’on appelle « l’arche des pendus » (al-Mashnaqah) dans la ville de Suwayda – https://suwayda24.com/?p=4711 (AR) ; https://syria.news/179bd6d3-07081812.html (AR) ; https://orient-news.net/ar/news_show/152458 (AR), et confirmant définitivement la colère et la méfiance des druzes de Suwayda à l’égard du régime syrien, accusé d’utiliser DAESH pour les affaiblir24L’armée du régime n’est intervenue que tardivement (après l’attaque de la base militaire de Khalkhalah située au nord du gouvernorat de Suwayda) pour traquer DAESH dans le désert à côté du champ volcanique d’as-Safa, alors qu’il était déjà repoussé par la contre-attaque des Druzes..
LE RÉGIME ET LES GANGS MAIN DANS LA MAIN
Bien que la région ait échappé aux bombardements et aux opérations militaires depuis 2011, les habitant-es de Suwayda, comme tou-tes les Syrien-nes, subissent les conséquences de la guerre et des politiques meurtrières du régime : affrontements armés sporadiques avec des gangs et des milices affiliés au régime, assassinats, enlèvements, trafic de drogue, etc.25Voir « Captagon: Inside Syria’s drug trafficking empire » par BBC World Service Documentaries – https://www.youtube.com/watch?v=N4DaOxf13O0 (EN)…
Le gang Falhout avec les citoyens qu’ils ont enlevés, 2022.
Raji Falhout pose avec son gang.
Carte de Raji Falhout en tant que membre de la Division n°2017 des Services de Renseignements.
Suite à cet incident, un soulèvement a éclaté le 26 juillet dans la ville de Shahba après l’enlèvement d’un habitant, Jad al-Taweel, par le gang de Falhout28https://suwayda24.com/?p=19589 (AR) ; https://suwayda24.com/?p=19611 (AR). Les habitants menés par le mouvement des « Hommes pour la dignité » ont bloqué les routes et arrêté des agents du renseignement militaire affiliés à la pègre locale29https://www.opensanctions.org/entities/NK-Do5hgZ5JS8hTfGJbyQvr6J/ (EN) avant d’affronter le gang Falhout, faisant 24 morts du côté des habitants et 12 du côté du gang. Les quartiers généraux du gang dans les villes de Salim et Atil ont ensuite été pris d’assaut par les habitants de nombreux villages de la région, menant à la prise des lieux, la libération d’otages et la découverte d’équipements de production de captagon30https://www.facebook.com/photo/?fbid=2161930727319866&set=pb.100064794576009.-2207520000, révêlant la complicité du clan Assad avec le crime organisé, utilisant la 4e division du renseignement militaire et le Hezbollah comme intermédiaires31https://www.bbc.com/news/world-middle-east-66002450 (EN). Au cours de la dernière décennie, ces gangs affiliés au régime se sont rendus coupables de nombreux enlèvements et assassinats, faisant exploser l’insécurité et la violence dans la région.
Des habitants de Suwayda se rassemblent pour attaquer le gang de Falhout
Production de Captagon
Après l’éradication du gang Falhout et de ses affiliés, les opérations d’enlèvement et de vol de voitures dans la région de Suwayda ont considérablement diminué32https://suwayda24.com/?p=19955 (AR), et cette victoire sur le crime organisé a prouvé la capacité de la communauté druze à assurer sa propre sécurité.
CRISE ENDÉMIQUE ET GERMES DE RÉVOLTE
Au-delà des conséquences directes de la guerre civile, puis des guerres impérialistes menées en Syrie par les grandes puissances (Iran, Russie, Turquie, Israël, Etats-Unis, Qatar, Arabie Saoudite…), la Syrie connaît depuis dix ans un marasme économique sans précédent33Depuis 2011, plus de 600 000 personnes ont été tuées dans le conflit, dont plus de la moitié sont des civils. Cinq millions de Syriens ont quitté le pays, tandis que près de huit millions ont été déplacés à l’intérieur du pays. Si la Russie et la Turquie interviennent militairement sur le territoire syrien, la plupart des autres puissances interviennent par le biais de milices ou en apportant une aide financière et matérielle aux différents groupes armés actifs dans le conflit. L’Iran soutient ouvertement le régime syrien, notamment en garantissant le soutien de ses milices, dont la principale est le Hezbollah..
La population a d’abord été soumise à un rationnement des ressources et denrées de base, comme l’eau, le gaz, l’essence, le fioul, le pain, le sucre, l’huile, le riz, le thé et les oignons, obtenus à l’aide d’une carte de rationnement (carte à puce), avant d’abolir ce soutien aux produits de première nécessité, laissant la population dans l’obligation d’acheter ces denrées au prix du marché. La valeur de la livre syrienne est passée de 1 $ = 47 SYR en 2011 à 500 SYR en 2017, et a grimpé de 2 500 à 14 000 SYR d’ici l’été 2023, avec un salaire moyen supérieur de 200 000 SYR (14 $). À l’été 2023, les prix des denrées alimentaires ont atteint un niveau sans précédent : 1 litre d’huile = 30000 SYR, 1 litre de lait = 6000 SYP, 1 kg de farine = 4500 SYR, 1 kg de tomates = 4000 SYR, 1 kg de pommes de terre = 6500 SYR, 1 kg d’oignons = 3500 SYR, 1 kg de concombres = 4000 SYR, un œuf = 2000 SYP. Cela signifie que la majorité des Syriens ont dépensé la totalité de leur salaire en moins d’une semaine. Quant à l’électricité, il y a deux ans, elle était livrée dans la région de Suwayda dans le cadre d’un programme de rationnement quotidien (trois heures de courant, trois heures de coupure), avant que cette courte fenêtre ne soit réduite à une heure et demie de marche, contre six ou sept heures de repos, sans parler des nombreuses coupures de courant qui se produisent pendant ce temps, entraînant la dégradation rapide des appareils électroniques dont les prix d’achat ou de réparation sont inabordables.
Ces dernières années, la police militaire russe a régulièrement tenté de jouer le rôle de gardien de la paix pour apaiser les tensions générées par la crise économique. Sa présence a été confirmée en 2021 dans le gouvernorat de Suwayda, lorsqu’une délégation d’officiers russes s’est présentée à la population avec l’intention de recruter des supplétifs parmi la population des deux gouvernorats34https://npasyria.com/en/65789/ (EN). Le contingent russe basé à Bosra, situé entre Suwayda et Dera’a, a tenté à plusieurs reprises de distribuer de l’aide alimentaire en 2021 à Shahba et en 2022 à Dhibin, mais les habitants ont fermement rejeté leur intervention humanitaire35https://syrianobserver.com/news/75404/widely-condemned-russian-delegation-enters-town-in-suweida-under-pretext-of-aid.html (EN).
Entre 2020 et 2023, des manifestations spontanées et de courte durée ont régulièrement eu lieu à Suwayda, mais elles n’ont pas été reconduites ou ont été réprimées. En février et avril 2022, des manifestants ont bloqué les routes, pris d’assaut le bâtiment du gouvernorat et mis le feu à un véhicule militaire avant que les forces de sécurité n’ouvrent le feu sur les manifestants, faisant un mort et 18 blessés36https://suwayda24.com/?p=20325 (AR).
Néanmoins, en décembre 2022, les manifestants ont réussi à prendre d’assaut le bâtiment du gouvernorat pour la deuxième fois, tandis que leurs slogans et leurs pancartes de protestation réclamaient principalement une « vie décente », après que les allocations de gaz et d’électricité aient été réduites. Tout au long de l’hiver et du printemps 2023, les rassemblements se poursuivent sous la pression des actions des membres du parti Baas, qui tentent d’organiser des manifestations pro-régime afin d’intimider les manifestants.
Le 5 août 2023, un collectif émerge dans les gouvernorats côtiers de Lattaquié et de Tartous, lançant un ultimatum au régime pour le 10 août41https://www.newarab.com/news/who-are-syrias-new-opposition-group-10-august-movement (EN), exigeant des réformes et rendant publique une liste de revendications en application de la résolution 2254 du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptée à Genève en 2015. La particularité du mouvement est qu’il s’est développé dans des régions où la communauté alaouite, à laquelle appartient Bachar el-Assad, est forte, notamment dans les villes de Tartous, Lattaquié, Banias et Jableh, où des milliers de tracts ont été distribués42https://en.majalla.com/node/297431/politics/alawite-protest-movement-emerging-syrias-coastal-areas (EN). En réponse, Bachar el-Assad a augmenté les salaires des fonctionnaires de 100 % mais a simultanément annoncé la suppression des subsides sur l’essence et une augmentation des prix des carburants, le prix du litre d’essence passant brutalement de 3 000 à 8 000 livres syriennes, soit une augmentation de 167 %, et le prix du carburant de 700 à 2 000 livres syriennes, soit une augmentation de 186 %. Les budgets exorbitants des Syriens pour le transport rendent la vie quotidienne impossible et empêchent des milliers de Syriens de se rendre au travail. Face à l’augmentation des démissions dans le secteur public, le régime a réagi en durcissant les conditions de démission. Parallèlement, le régime a annoncé son intention de supprimer les subsides sur tous les biens de consommation d’ici 202443https://alsifr.org/syria-protests (AR).
Des manifestations de soutien ont eu lieu dans les gouvernorats d’Idlib, de Dera’a et d’Alep, ainsi qu’à Jaramana, le quartier majoritairement druze du Damas rural, reprenant les slogans de 2011 pour la chute d’Assad : « La Syrie est à nous, pas à Assad », « un, un, un, le peuple syrien est un » et « le peuple veut la chute du régime ». Les manifestants ont également exprimé leur souhait de voir la fin de la présence iranienne en Syrie.
Le 25 août, les manifestations se sont étendues à Idleb, Alep, Azaz, Afrin et Al-Bab. À plusieurs endroits, les manifestants ont brandi ensemble les drapeaux druze, kurde et de la révolution syrienne. Si les forces du régime n’ont pas réagi de manière excessive dans le gouvernorat de Suwayda, elles ont ouvert le feu à Alep et à Dera’a, tuant au moins deux personnes. Le Réseau syrien des droits de l’homme rapporte également l’arrestation de 57 personnes en lien avec les manifestations, principalement dans les gouvernorats de Lattaquié et de Tartous45https://leilashami.wordpress.com/2023/08/26/revolution-reborn/ (EN).
Des manifestants montrent des drapeaux druzes, syriaques et kurdes remplaçant les trois étoiles du drapeau de la révolution syrienne dans la ville d’Idleb.
Des manifestants montrent des drapeaux de la révolution syrienne, kurdes, chiites, druzes, sunnites, chrétiens et nationaux syriens dans la ville de Suwayda.
Depuis lors, les manifestations sur la place centrale de Suwayda, rebaptisée depuis longtemps « place de la dignité » (al-Karami) par la population, sont hebdomadaires, voire quotidiennes, et se multiplient d’un vendredi à l’autre, atteignant plusieurs milliers de personnes un mois après le début de la révolte, le 22 septembre. Les bureaux du parti Baas et un certain nombre de bureaux gouvernementaux ont été fermés par les manifestant-es au cours des manifestations, tandis que des affiches et statues de Bachar al-Assad ont été détruites et brûlées.
Des manifestants brûlent un véhicule militaire devant le bâtiment du gouvernorat.
Le bâtiment du gouvernorat avec la photo de Hafez al-Assad est en flammes.
Entre-temps, le 14 septembre, le cousin de Bashar al-Assad, Firas al-Assad46Le père de Firas, Rifaat, a commandé les forces armées responsables du massacre de Hama en 1982, avant de tenter un coup d’État contre son frère, le père de Bachar el-Assad, en 1984. Exilé en France, il est finalement rentré en Syrie en 2021 après avoir été amnistié par son neveu et reconnu coupable par la justice française de détournement et de blanchiment d’argent au profit du régime syrien. Tous ses biens ont été saisis, pour une valeur estimée à 90 millions d’euros, dont deux hôtels particuliers parisiens, un haras, 40 appartements, 7300 mètres carrés de bureaux à Lyon et un château., a publié une vidéo dans laquelle il condamne le régime et exprime son soutien aux manifestant-es47https://www.youtube.com/watch?v=GmCRl-Hkn94 (AR). Cette vidéo fait suite à celle de Majd Jadaan, la belle-sœur de Maher al-Assad48Maher est le frère de Bashar et le commandant général de la Garde républicaine et des services de renseignement militaire du régime. Il est le deuxième homme fort du régime, directement responsable de la milice des Shabihas et du trafic de captagon organisé par les services de renseignement militaire, en particulier la quatrième division blindée., dénonçant avec force les crimes du clan Assad depuis la Jordanie et saluant la révolte du peuple de Suwayda contre le régime49https://youtu.be/IobX1vxHkDY (AR). Des interviews d’acteurs de la révolte ont également été rendues publiques, comme celle du leader du mouvement des « Hommes pour la dignité » à Suwayda, le cheikh Abu Hassan Yahya Al-Hajjar50https://suwayda24.com/?p=20610 (AR), ou l’activiste et avocat Adel al-Hadi51https://hawarnews.com/en/haber/developments-in-as-suwayda-to-where-h37625.html (EN).
DANS LE CHAOS DE LA GUERRE PAR PROCURATION
Malgré douze années de révolte et de guerre civile, le régime syrien est toujours au pouvoir. S’il a résisté aux tempêtes, c’est sans doute grâce aux interventions de l’Iran, de DAESH et de la Russie qui, chacun à leur manière, ont contribué à rendre impossible la Révolution tant souhaitée par le peuple syrien. À cela s’ajoutent l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie, qui ont pour leur part réussi à créer la division au sein des forces démocratiques et laïques de l’Armée Syrienne Libre en favorisant, comme nous l’avons déjà mentionné, les forces les plus réactionnaires et les moins démocratiques de la rébellion contre le régime.
De leur côté, les Etats-Unis, responsables de la naissance et du développement d’Al-Qaïda et de l’Etat islamique, tous deux nés sur les décombres encore incandescents des sociétés afghane et irakienne, ont choisi en 2011 (année de leur retrait officiel d’Irak) de ne plus participer directement avec leurs forces armées aux conflits du Moyen-Orient. Pour autant, après avoir condamné la répression des manifestations de 2011 et imposé des sanctions au régime d’Assad, les Etats-Unis ont lancé leurs premières frappes aériennes en Syrie en septembre 201452https://obamawhitehouse.archives.gov/the-press-office/2014/09/23/statement-president-airstrikes-syria (EN) et, à partir de 2015, ont parrainé les nouvelles Forces démocratiques syriennes (FDS), composées de 25 000 combattants kurdes des YPG/YPJ et de 5 000 combattants arabes, dans le but affiché de stopper l’avancée de l’État islamique. D’abord épargné, le régime syrien a finalement subi des frappes américaines en 2017 et 2018, en représailles de l’utilisation par l’armée syrienne d’armes chimiques contre des civils à Douma (Damas) et à Khan Cheikhoun (Idlib)53https://www.armscontrol.org/factsheets/Timeline-of-Syrian-Chemical-Weapons-Activity (EN) ; https://www.opcw.org/media-centre/news/2023/01/opcw-releases-third-report-investigation-and-identification-team (EN). La même année, les deux tiers des troupes américaines déployées sur le sol syrien ont été rapatriées en accord avec la Turquie, qui a décidé alors de lancer une offensive dans la zone frontalière contrôlée par les Kurdes afin d’y établir une « zone de sécurité »54https://www.kurdistan24.net/en/news/fff9400a-a0b3-4ff4-be05-e18d00a046cf (EN). Néanmoins, les États-Unis maintiennent une forte présence en Syrie. En 2021, ils ont mené une série de frappes aériennes contre le Hezbollah et ses alliés irakiens, dont les Hachd al-Chaabi, tenus pour responsables d’attaques contre les « intérêts occidentaux » en Irak55https://www.reuters.com/world/middle-east/us-carries-out-air-strikes-against-iran-backed-militia-iraq-syria-2021-06-27/ (EN).
La Russie, qui est l’un des principaux soutiens militaires du régime syrien depuis 2015, a été distraite par son invasion de l’Ukraine, qui ne s’est pas déroulée exactement comme Poutine l’aurait souhaité. Elle a dû retirer une partie importante de son contingent du territoire syrien56By 2020, Russia had control over 75 sites in Syria, including 23 military bases, 42 points of presence and 10 observation points. While an estimated 63,000 Russian military personnel were deployed in Syria between 2015 and 2018, on the eve of the war in Ukraine this number appears to have fallen to 20,000 – https://daraj.media/108925/ (AR) ; https://www.arab-reform.net/publication/russian-forces-in-syria-and-the-building-of-a-sustainable-military-presence-i/ (EN) pour la redéployer dans l’est de l’Ukraine, tandis que les 250 à 450 mercenaires Wagner opérant notamment dans les gouvernorats syriens de Homs et de Deir ez-Zor, restés sans chef depuis la mutinerie de Prigozhine, auraient reçu l’ordre de se présenter à leur base de Hmeimim (gouvernorat de Lattaquié) et de se placer sous l’autorité du commandement militaire russe57Les principales bases militaires russes en Syrie sont situées à Tartous, à Hmeimim (Lattaquié) et, depuis 2019, à Qamishli (Al-Hasakah).. Certains de ceux qui ont refusé auraient été renvoyés en Russie ou redéployés au Mali. Suite au retrait des troupes russes, certaines bases militaires sous leur contrôle ont été transférées aux forces armées iraniennes, notamment au Corps des gardiens de la révolution islamique et au Hezbollah. Cependant, la Russie conserve ses forces militaires en Syrie et n’a pas l’intention de renoncer à sa part d’influence dans la région, notamment face à l’Iran, qui reste son principal concurrent.
L’Iran, premier soutien du régime Assad depuis le règne du père de Bachar, Hafez (1971-2000), reste l’acteur clé de la guerre en Syrie. Sans le soutien militaire des milices iraniennes, dont la principale est le Hezbollah libanais, le régime Assad n’aurait probablement pas pu résister, notamment en raison de l’implication du Hezbollah dans le trafic de Captagon, l’une des principales ressources du régime. Après avoir nié leur présence en Syrie, le régime iranien et le Hezbollah ont fini par soutenir ouvertement le régime Assad, le qualifiant à la fois de « djihad contre les extrémistes sunnites » et d' »intervention nécessaire pour protéger la Palestine et résister à Israël ». Dans la propagande de l’Iran et du Hezbollah libanais, le soutien inconditionnel à la libération du peuple palestinien est un mirage qui fonctionne bien, notamment au sein de la gauche occidentale58https://alsifr.org/syria-protests (AR). Là où l’on aurait pu s’attendre à un soutien unanime à la révolution syrienne de la part de la majorité des forces révolutionnaires de gauche, c’est un silence retentissant qui a répondu aux chants des manifestants syriens. Dans l’imaginaire naïf de la gauche, l’Iran, la Syrie et les milices du Hezbollah (et du Hamas) constituent un rempart incontestable contre l’impérialisme américain et le colonialisme israélien. En réalité, le Hezbollah se préoccupe surtout de maintenir son emprise quasi hégémonique sur la société libanaise tout en travaillant frénétiquement à maintenir la Syrie dans la zone d’influence de l’Iran, dont dépend toute sa survie. Entre 2013 et 2018, le siège par le régime Syrien59Voir le film « Little Palestine », d’Abdallah al-Khatib – https://youtu.be/GbpxMFNuYVY (AR / FR) puis l’éradication violente du plus grand camp de réfugiés palestiniens du monde, Yarmouk (banlieue de Damas)60Avant 2013, le camp de Yarmouk accueillait plus de 160 000 réfugiés palestiniens., qui peut facilement être considérée comme une opération de nettoyage ethnique menée avec la complicité du Hezbollah et de mouvements palestiniens tels que le FPLP et le Hamas61Les militants du Hamas à Yarmouk ont d’abord combattu le régime d’Assad jusqu’en 2013, lorsque le Hamas a timidement critiqué l’intervention contre le camp de Yarmouk, avant de maintenir une position de neutralité, en raison de sa dépendance financière et militaire à l’égard du Hezbollah. Le Hamas maintient également son quartier général dans le fief du Hezbollah à Dahiyeh, au Liban., suffit à disqualifier la propagande de ces derniers quant à la réalité de leur lutte pour l’émancipation du peuple palestinien.
Israël, sans intervenir militairement sur le sol syrien, n’a jamais cessé de lancer des frappes de drones sur les infrastructures iraniennes en Syrie. De fait, il ne se passe pas un mois sans que des roquettes ne touchent des bâtiments ou des cadres du Hezbollah, la milice étant la principale préoccupation du régime israélien. Pourtant, Israël n’a jamais manifesté la moindre volonté de soutenir les aspirations démocratiques du peuple syrien. Si l’on regarde la situation de manière rationnelle, on comprend qu’Israël n’a aucun intérêt à l’établissement d’une société démocratique dans un pays arabe à ses frontières, car tout progrès démocratique dans la région conduirait naturellement à une solidarité arabe avec les Palestiniens et à une menace pour le régime d’apartheid d’Israël. En effet, le régime Assad et le Hezbollah ont largement contribué à limiter l’organisation politique et la résistance des réfugiés palestiniens au Liban et en Syrie62https://alsifr.org/syria-protests (AR), ce qui n’est pas pour déplaire à Israël.
QUE POURRAIT-IL SE PASSER ENSUITE ?
Comme l’ensemble du peuple syrien en 2011, les manifestants de Suwayda peuvent difficilement gagner une révolution sans un soutien extérieur ou un soulèvement important de la population syrienne dans les principaux autres gouvernorats.
Quant à l’Armée syrienne libre, il est difficile d’espérer un soutien enthousiaste au soulèvement druze, étant donné que l’aspiration de la majorité des groupes combattants actuels reste l’établissement d’un califat islamique difficilement conciliable avec les aspirations démocratiques et laïques des manifestants de Suwayda. Néanmoins, dans tous les gouvernorats, qu’ils soient sous le contrôle du régime ou des rebelles, il existe encore des vestiges de mouvements démocratiques qui voient dans l’insurrection druze une immense source d’espoir. C’est pourquoi ceux qui croient encore en une société démocratique non confessionnelle sont spontanément descendus dans les rues de différentes villes pour exprimer leur solidarité avec Suwayda, qu’ils soient musulmans sunnites, alaouites, chrétiens, syriaques, arabes ou kurdes.
Là encore, on s’attendrait à ce que les organisations kurdes, qui ont réussi à maintenir leur statut d’autonomie dans un bon quart du pays et proclament haut et fort qu’elles sont animées par un projet révolutionnaire, universaliste et démocratique, expriment un soutien plus fort et inconditionnel à leurs frères et sœurs de Suwayda. Mais au-delà d’un communiqué des femmes du Conseil démocratique syrien appelant les femmes syriennes à prendre en main la question politique, nous n’avons pas entendu grand-chose de la part des mouvements révolutionnaires kurdes. Ce qui laisse penser que, conformément à leur autonomie bien établie, les Kurdes ne se sentent guère concernés par ce qui se passe au sud de l’Euphrate, qu’il s’agisse du sort du reste du peuple syrien ou de celui des Palestinien-nes. Il est triste de voir à quel point la solidarité avec les autres communautés en lutte n’est pas perçue comme une condition sine qua non de la survie du projet de Démocratie au Moyen-Orient. En outre, les récents événements survenus à Deir ez-Zor n’ont guère contribué à renforcer la confiance des Arabes dans les Unités de protection du peuple kurde (YPG) : entre le 27 août et le 7 septembre, les Forces démocratiques syriennes, largement dominées par les YPG, ont affronté des factions arabes locales affiliées au Conseil militaire de Deir ez-Zor à la suite de la destitution et de l’arrestation d’un commandant arabe de haut rang des FDS, Ahmed al-Khubail, également connu sous le nom de Rashid Abu Khawla. Bien que les sanctions prises à son encontre aient été justifiées par les accusations de corruption et de trafic de drogue dont il faisait l’objet, l’arrestation a attisé la colère de ses partisans, qui ont lancé un assaut contre les SDF, causant la mort de 90 personnes au cours des onze jours de combat63C’est finalement sous la pression américaine qu’un accord de retrait et de cessez-le-feu a été initié par les FDS, motivé par la crainte que des cellules d’ISIS, des forces du régime et des milices pro-iraniennes ne profitent de la situation pour regagner du terrain dans la région.. La toile de fond de ce conflit est la critique faite aux Kurdes par la population locale, leur reprochant légitimement un contrôle hégémonique de la région, considéré comme irrespectueux par rapport à la majorité arabe qui y vit64https://www.middleeasteye.net/news/syria-deir-ezzor-sdf-fights-arab-tribes-control (EN)
Chez les Druzes, la procédure à suivre fait l’objet d’un débat intense. Une certaine méfiance semble persister à l’égard de la proposition autonomiste et confédéraliste. Certains voient dans la revendication autonomiste un risque de séparation du reste des Syrien-nes, incapables de saisir la différence entre autonomie et indépendance, tandis que d’autres confondent les moyens et la fin : lorsqu’il est proposé de mettre en place des assemblées démocratiques et des comités de lutte pour organiser la révolte à moyen terme, ils croient qu’on leur parle d’un projet de société à long terme, et ont du mal à croire en la capacité du peuple à s’auto-organiser sans médiateurs et sans leaders. Ainsi, l’organisation politique dans le cadre du soulèvement populaire de la place al-Karami peine encore à prendre la forme du Tahrir égyptien de 2010 ou du Maïdan ukrainien de 2014, alors qu’il suffirait peut-être de reprendre les recettes et les expériences positives du soulèvement de 2011, et notamment celle des Comités locaux décrite par l’anarchiste syrien Omar Aziz65https://www.fifthestate.org/archive/397-winter-2017/the-legacy-of-omar-aziz/ (EN) ; https://www.syria.tv/عمر-عزيز-يدخل-غيابه-العاشرet mis en place dans de nombreuses villes à l’époque. Malheureusement, si aucune initiative d’organisation à la base n’est mise en place, nous risquons de voir les cheikhs et les chefs de clans familiaux traditionnels propulsés comme leaders, au détriment d’individus ou de collectifs moins connus, mais animés par des idéaux plus progressistes et véritablement émancipateurs.
Déjà, l’ambassadeur russe Anatoly Viktorov a rendu visite au cheikh des Druzes de Galilée (Israël) Muwafaq Tarif66https://www.aljazeera.net/politics/2023/9/21/انتفاضة-السويداء-مستمرة-اتصالات, tandis que les représentants américains French Hill, Joe Wilson et Brendan Boyle ont appelé au téléphone le cheikh de Suwayda Hikmat Al-Hijri67https://syrianobserver.com/news/85155/american-senator-reaches-out-to-sheikh-al-hijri-in-suweida.html (EN) ; https://www.thenationalnews.com/world/us-news/2023/09/21/us-politicians-speak-to-druze-leader-sheikh-al-hajari-as-anti-assad-protests-continue/ (EN), tentant d’engager des négociations avec la communauté druze pour que l’issue de la révolte soit conforme à leurs intérêts dans la région. Ne doutons pas non plus que le boucher saoudien Mohammed Ben Salman, qui mène des tractations diplomatiques tous azimuts avec l’Iran, la Chine, Israël, les États-Unis et la France, viendra lui aussi bousculer l’avenir de la région, tant son intérêt pour l’acquisition d’armement et l’enrichissement de l’uranium l’emporte sur le sort des peuples, qu’ils soient syriens ou palestiniens. Pour le tyran saoudien, peu importe évidemment que ces peuples restent en cage, pourvu qu’ils soient martyrisés en silence et ne dérangent pas les affaires courantes. Sans compter la récente visite de Bachar el-Assad à Pékin, à l’invitation du despote chinois Xi Jinping, pour sortir de son isolement et obtenir le soutien de la Chine à un accord de « reconstruction » de la Syrie. La seule présence de tous ces vautours suffit à générer suspicion et spéculation, ce qui ne peut être bénéfique au mouvement populaire en cours. Au vu du chaos que les différents Etats ont généré en Irak et en Syrie au cours des vingt dernières années, on peut légitimement affirmer que seules des solutions mises en œuvre par le peuple pour le peuple peuvent espérer déboucher sur un semblant de paix et de démocratie. Pour l’heure, les habitants de Suwayda ont catégoriquement refusé de se ranger sous une quelconque bannière ayant des intérêts politiques ou économiques en Syrie. Espérons que cela durera et réussira ainsi !
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NOTES
1
Le retrait des Français en 1945 est largement dû à la lutte pour l’indépendance menée depuis les années 1920 par le sultan Pacha al-Atrach, représentant d’une famille de notables druzes, dont les faits d’armes et la résistance à l’occupant sont encore célébrés par de nombreux-ses Syrien-nes.
2
Le régime ne dispose d’aucun point de contrôle à l’intérieur du gouvernorat de Suwayda et la communauté refuse d’envoyer ses jeunes dans l’armée en dehors de la région. Néanmoins, l’administration du gouvernorat et les services de sécurité restent présents et informés de ce qui se passe dans la région.
3
Parmi ces cheikhs, les plus connus sont le cheikh Jerbo et Nayef al-Aqil de la faction Dir’ al-Watan.
Les principaux sont Ahrar al-Sham (Qatar, Turquie, Arabie saoudite), le Front islamique de libération de la Syrie (Qatar, Turquie), Liwa al-Tawhid (Qatar, Turquie), Jaych al-Islam (Arabie saoudite, Qatar).
Hameaux appelés Ashraffieh, al-Saqiya et al-Awara, à moins de 20 kilomètres de la base militaire de Khalkhalah et à moins de 10 kilomètres des premières colonies druzes aux portes du désert, al-Qasr et Barek – https://suwayda24.com/?p=2423 (AR)
20
Villages de Tema, Douma, al-Kseib, Tarba, Ghaydah Hamayel, Rami, al-Shabki, al-Sharahi, al-Matouna et al-Suwaymra – https://suwayda24.com/?p=4431
21
Le 31 juillet 2018, le régime négocie la libération de femmes retenues en otage par les djihadistes, en échange d’un accord sur l’évacuation de plus de 200 de leurs combattants de l’ouest de Deraa (bassin de Yarmouk) vers la région de la Badiya. Refusant l’accord, l’État islamique a exigé une rançon, avant de publier la vidéo de l’exécution d’un des otages, Muhannad Touqan Abu Ammar, un Druze de 19 ans résidant à al-Shbeki, le 2 août 2018 – https://www.youtube.com/watch?v=f_OhL8bJD2M (AR). Finalement, les otages restant-es ont été libéré-es à la suite d’accords conclus avec le régime en octobre et novembre 2018, tandis que 700 à 1 000 djihadistes ont été évacués vers la Badiya en vertu d’un nouvel accord conclu avec le régime le 17 novembre – https://suwayda24.com/?p=19606 (AR) ; https://stj-sy.org/en/946/ (EN)
L’offensive de DAESH a touché 10 villages, 263 personnes ont été tuées (30 par les kamikazes de Suwayda) et 300 blessées. En représailles au massacre, le 7 août 2018, des membres locaux du Parti social nationaliste syrien (PSNS) pro-régime ont pendu un homme âgé qu’ils ont présenté comme un djihadiste à ce qu’on appelle « l’arche des pendus » (al-Mashnaqah) dans la ville de Suwayda – https://suwayda24.com/?p=4711 (AR) ; https://syria.news/179bd6d3-07081812.html (AR) ; https://orient-news.net/ar/news_show/152458 (AR)
24
L’armée du régime n’est intervenue que tardivement (après l’attaque de la base militaire de Khalkhalah située au nord du gouvernorat de Suwayda) pour traquer DAESH dans le désert à côté du champ volcanique d’as-Safa, alors qu’il était déjà repoussé par la contre-attaque des Druzes.
Depuis 2011, plus de 600 000 personnes ont été tuées dans le conflit, dont plus de la moitié sont des civils. Cinq millions de Syriens ont quitté le pays, tandis que près de huit millions ont été déplacés à l’intérieur du pays. Si la Russie et la Turquie interviennent militairement sur le territoire syrien, la plupart des autres puissances interviennent par le biais de milices ou en apportant une aide financière et matérielle aux différents groupes armés actifs dans le conflit. L’Iran soutient ouvertement le régime syrien, notamment en garantissant le soutien de ses milices, dont la principale est le Hezbollah.
Le père de Firas, Rifaat, a commandé les forces armées responsables du massacre de Hama en 1982, avant de tenter un coup d’État contre son frère, le père de Bachar el-Assad, en 1984. Exilé en France, il est finalement rentré en Syrie en 2021 après avoir été amnistié par son neveu et reconnu coupable par la justice française de détournement et de blanchiment d’argent au profit du régime syrien. Tous ses biens ont été saisis, pour une valeur estimée à 90 millions d’euros, dont deux hôtels particuliers parisiens, un haras, 40 appartements, 7300 mètres carrés de bureaux à Lyon et un château.
Maher est le frère de Bashar et le commandant général de la Garde républicaine et des services de renseignement militaire du régime. Il est le deuxième homme fort du régime, directement responsable de la milice des Shabihas et du trafic de captagon organisé par les services de renseignement militaire, en particulier la quatrième division blindée.
Avant 2013, le camp de Yarmouk accueillait plus de 160 000 réfugiés palestiniens.
61
Les militants du Hamas à Yarmouk ont d’abord combattu le régime d’Assad jusqu’en 2013, lorsque le Hamas a timidement critiqué l’intervention contre le camp de Yarmouk, avant de maintenir une position de neutralité, en raison de sa dépendance financière et militaire à l’égard du Hezbollah. Le Hamas maintient également son quartier général dans le fief du Hezbollah à Dahiyeh, au Liban.
C’est finalement sous la pression américaine qu’un accord de retrait et de cessez-le-feu a été initié par les FDS, motivé par la crainte que des cellules d’ISIS, des forces du régime et des milices pro-iraniennes ne profitent de la situation pour regagner du terrain dans la région.