Suwayda 2025 : chronologie d’un massacre annoncé

Ce travail pour rétablir les faits heure par heure depuis le début de l’agression contre les communautés de Suwayda a été réalisé à partir de notre propre expérience sur place, des témoignages de nos proches et de membres de la société civile de Suwayda (que nous refusons de qualifier de « Druze » dans la mesure où la communauté inclue des Chrétiens, des Bédouins et quelques familles de confession musulmanes natives de la région et non-bédouines), ainsi que la relecture de la totalité des posts Facebook de plusieurs media locaux rapportant objectivement les faits sur la période du 12 au 22 juillet 2025 :

  • Al-Raased : ~175 publications
  • Aram News : ~180 publications
  • Suwayda24 : ~95 publications
  • Suwayda Media : ~145 publications

A ceux-ci s’ajoutent les publications des principaux acteurs du conflit entre le 12 et le 26 juillet 2025 :

  • Rassemblement des Tribus du Sud (Tajmua Asha’er al-Janub) : 332 publications
  • Légion de la Montagne de la Dignité (Liwa Jabal al-Karama – leader : Shakeeb Azzam) : 49 publications
  • Mouvement des Hommes de la Dignité (Harakat Rijal al-Karama – leader : Yahia al-Hajjar) : 30 publications
  • Sheikh Hikmat al-Hajari : 15 publications
  • Armée des Unitariens (Jaysh al-Muwahidun – leader : Oussama al-Safadi) : 9 publications
  • Forces du Sheikh de la Dignité (Quwat Sheikh al-Karama – leader : Raafat Baali) : 9 publications
  • Conseil Militaire de Suwayda (Majliss al-Askari as-Suwayda – leader : Tareq al-Shufi) : 6 publications
  • Madhafe de la Dignité (Madhafe al-Karama – leader : Layth al-Balous) : 5 publications
  • Rassemblement des Hommes Libres de la Montagne Arabe (Tajmua al-Ahrar Jabal al-Arab – leader : Suleiman Abd al-Baqi) : 1 publication

Il est indispensable de rappeler que tout a débuté le 11 juillet 2025 au soir avec l’enlèvement, le vol (véhicule, 5 tonnes de fruits et légumes, 7 millions de livres syriennes, son téléphone) et la torture de Fadlallah Naeem Dwara, un commerçant de al-Kharsa (Suwayda), à proximité du checkpoint de Braq /al-Masmiyeh.

Précisons que ce checkpoint contrôle la jonction des routes entre Damas, Suwayda et Deraa et qu’il est tenu depuis le mois de mai par des membres de la tribu Al-Naim de Mteleh ne répondant pas officiellement aux ordres du régime de Al-Sharaa. Plusieurs combattants contrôlant ce checkpoint portaient des cagoules et des insignes islamistes (shahada et étendard de l’Etat Islamique).

Fadlallah Naeem Dwara a ensuite été jeté, entravé, au bord d’une route, d’où il a pu rejoindre la route 110 et être récupéré par des usagers, qui l’ont amené à l’hôpital.

Précisons également que la région située entre Braq et Mteleh abrite des groupes criminels qui commettent des abus et crimes contre les usagers de la route 110 entre Suwayda et Damas depuis de nombreuses années, souvent en collaboration avec le régime de Bachar al-Assad. Tout indique que ces groupes, ainsi que les hommes armés non identifiés contrôlant le checkpoint de Braq/al-Masmiyeh sont impliqués dans le kidnapping de Fadlallah Naeem Dwara.

Samedi 12 Juillet 

(13 publications de presse)

15h à 22h

Les proches de Fadlallah Naeem Dwara répondent à son agression par le kidnapping de deux puis huit bédouins de Suwayda et Al-Hasakeh avec l’aide d’une faction de Ariqa (limitrophe de Al-Kharsa), exigeant en échange le retour du camion de Fadlallah Naeem Dwara.

La compagnie d’électricité de Suwayda annonce la coupure de la ligne à haute tension alimentant le gouvernorat au niveau de Al-Kaswa et Sheikh Meskin.

Des tensions et échanges de tirs ont lieu à Shahba, dans les quartiers bédouins de Shagrawiya et Mansoura, suivis de tentatives de médiation par les sheikh des différentes communautés impliquées. Un premier blessé, Rami Faysal Naeem, est reçu à l’hôpital de Suwayda après avoir reçu un tir à la tête. Le Rassemblement des Tribus du Sud annonce un retour au calme en fin de soirée.

Dimanche 13 Juillet 

(75 publications de presse)

10h à 11h

Des membres de la tribu Shanabla de Al-Maqwas (associés au sheikh et businessman syro-jordanien Rakan Al-Khudeir, leader du Rassemblement des Tribus du Sud et trafficants de drogues notoire) kidnappent à leur tour cinq résidents de Suwayda sur la route Suwayda-Damas.

11h à 12h

L’intervention de sheikhs de la communauté (notamment Youssef al-Jarbou’a) et les médiations pour mettre fin à l’escalade restent sans résultat et des affrontements armés ont débuté dans le district de Al-Maqwas, un quartier à majorité bédouine de la périphérie de la ville de Suwayda.

12h

La Sécurité Intérieure coupe la route entre Suwayda et Damas.

15h à 17h

Sept blessés sont pris en charge à l’hôpital de Suwayda en provenance de Al-Maqwas, tandis que le quartier fait est le théâtre d’affrontement à l’arme lourde (mortiers et RPG) entre les groupes armés bédouins et des factions druzes. Des affrontements ont lieu également à Al-Kharej.

Communiqué : Le sheikh Hammoud al-Hennawi diffuse un premier communiqué pour appeler à la raison et à la fin des tensions qui portent préjudice à la paix sociale.

17h à 18h

La faction d’Ariqa annonce sa décision de libérer les Bédouins pris en otage suite à la médiation des sheikhs.

Six morts sont comptabilisés à ce stade par l’hôpital, alors que les résidents de Al-Maqwas sont pris au piège entre les deux parties au conflit : les enfants Yaman Muqlad et Zyad Mazen Dalal, Nabil al-Helu, Aamer Kukash, Emad al-Atrash, Omar Munzer et Raeed al-Qantar. Plusieurs personnes âgées sont aussi soignées pour des blessures résultantes de tirs de snipers : Naifa Hussein Al-Falah, 80, Salma Belieh, Falihan, 60, Aid Ali Salihi, 82. A ceux-ci s’ajoutent 30 blessés.

Le Rassemblement des Tribus du Sud annonce la mort de deux membres du clan Al-Amar, ainsi que 7 blessés.

Les sheikhs spirituels de Suwayda appellent quant à eux le gouvernement à mettre fin aux exactions de groupes armés criminels sur la route entre Suwayda et Damas.

18h

Un septième mort est signalé à l’hôpital de Suwayda, ainsi que 32 blessés.

Des tirs de snipers sont signalés à Atil.

Le gouverneur de Suwayda, Mustafa Bakur, appelle au calme dans un communiqué, ainsi que les résidents de Al-Maqwas.

20h

Des groupes tribaux extérieurs à Suwayda lancent une attaque depuis la route Suwayda-Izraa sur les villages de At-Tira, Harran, Labin et Jreen situés à la limite Ouest du gouvernorat, tandis que les villages de Mazraa et Sami’ font l’objet de tirs de mortiers.

Une attaque est signalée également au niveau du checkpoint de la Sécurité Intérieure à El-Al-Araq, Al-Sawara al-Kbira et Hazm. Des affrontements continuent d’avoir lieu dans les quartiers Bedouins de Al-Mashourb, Al-Harubi et Mansoura.

Trois résidents des villages de Um Rwaq et Maf’aleh sont tués : Aamer Nassar Nassar, Imran Al-Aqbani et Basel Najm Ghanem.

21h à 23h

Communiqué : Le sheikh Hikmat al-Hajari publie un communiqué dans lequel il dénonce des tentatives de séditions.

Un tir de mortier atteint le domicile du leader de faction Suleiman Abd al-Baqi à Suwayda, blessant quatre de ses hommes.

Trois autres personnes meurent à l’hôpital de Suwayda : Hamoud Naseeb al-Arbid, 65, Jalal Ghassan Abu Ghazi, 21, et Walid Fouad Al-Ish’oush. Deux résidents de Al-Majdal sont aussi tués à At-Tireh : Ehsan Ahmed al-Shater et Khaldoun Salman al-Shater.

Lundi 14 Juillet

(75 publications de presse)

1h à 2h

A ce stade, le gouvernorat est entièrement placé en état de siège, tandis que le mouvement Rijal Al-Karami libère le village de At-Tireh. Le groupe publie un communiqué dénonçant la violation des accords avec le régime signés au mois de mai et contenant la promesse de sa part de rétablir la sécurité sur cette même route. Il rappelle la nécessité pour la communauté de garantir son auto-défense.

2h à 3h

Communiqué : La médiation du Sheikh Youssef Jarbou’a aboutit sur la libération des otages de Suwayda aux mains des tribus bédouines en échange de la libération des otages de celles-ci.

Les premières images montrant les exactions à At-Tireh sont diffusées.

6h à 9h

Les groupes tribaux venant de Dera’a relancent l’offensive à l’aube contre les villages de Taara, Al-Dour, Sami’ et Al-Dwira à grand renfort de tirs de mortiers lourds et de drones. Ils s’approchent également du village de Kanaker.

11h à 16h

L’aviation israélienne intervient dans le ciel de Suwayda, tandis que le Ministère de la Défense et de l’Intérieur annoncent le déploiement de troupes et d’armements lourds aux limites du gouvernorat, affirmant intervenir pour « mettre fin aux affrontements et restaurer la sécurité ». L’armée ne fait pourtant rien pour empêcher les groupes tribaux de progresser, profitant de leur soutien pour avancer le long des axes Bosra al-Harrir – Taara et Oum Walad – Kanaker.

Des affrontements violents ont lieu à Al-Mazraa, Al-Thaala et Kanaker.

Des centaines de déplacés fuient les zones de combats et des centres d’accueil sont ouverts à Salkhad et Shahba.

Des vidéos commencent à émerger sur les réseaux sociaux, publiées par les groupes tribaux. Dans ceux-ci, on découvre notamment l’implication du sheikh Maasoub al-Einin et de combattants étrangers.

Communiqué : L’Emir Hassan al-Atrash publie un communiqué dans lequel il déclare être en pourparler avec le régime ainsi que les leaders spirituels druzes pour trouver des solutions au conflit.

Communiqué : Le sheikh Hikmat al-Hajari publie également un communiqué dans lequel il refuse toute présence de l’armée du régime dans la région et appelle à une protection internationale.

De nombreux tirs de mortiers sont effectués par les groupes tribaux sur neuf villages ainsi que sur la ville de Suwayda, tandis que 200 blessés sont recensés à l’hôpital de Suwayda. Les factions druzes annoncent la mort de 22 de leurs combattants à proximité de Al-Thaala et Kanaker, le montant total des morts recensés s’élevant à 64 personnes. Parmi les combattants se trouve un compagnon d’armes du héros local de la révolution Khaldun Zein ed-Din, Baha Abdullah.

Le leadership druze, ainsi que le corps Médical de Suwayda, appellent à l’arrêt de toutes les violences.

16h à 19h

Les groupes tribaux et l’armée du régime s’emparent de Labin, Harran, Dor, Al-Mazraa et Al-Mjemer. Les villages occupés sont l’objet de destructions et pillages systématiques des habitations.

A ce stade, l’hôpital national de Suwayda comptabilise 53 morts, incluant femmes et enfants, et plus de 200 blessés. L’hôpital Al-Hakma déclare avoir réceptionné 40 blessés au total, dont l’un est mort de ses blessures : Asim al-Qontar.

L’aviation israélienne effectue une frappe dans la périphérie de Al-Mazraa.

19h à 20h

Le sheikh Hikmat al-Hajari réunit se réunit avec de nombreux sheikhs de Mayamas chez lui à Qanawat. Un drone effectue une frappe sur la ville, causant des dommages matériels légers.

Communiqué : Le leadership druze demande un cessez-le-feu et l’expulsion des groupes islamistes responsables de l’agression.

23h

Quatre missiles frappent la ville de Suwayda.

Mardi 15 Juillet

(84 publications de presse)

5h

Les attaquent reprennent au niveau du village de Kanaker.

8h à 10h 

Communiqué : Le leadership druze déclare accepter l’entrée de l’armée du régime et demande que celle-ci sécurise les institutions militaires et de défense intérieures du gouvernorat, invitant le régime au dialogue, appelant les factions d’autodéfense druze à ne plus résister, à coopérer avec l’armée et céder leurs armes. Le sheikh Hikmat al-Hajari se joint à cette déclaration, malgré son opposition au gouvernement de Al-Sharaa.

Dans la foulée, le Ministère de la Défense et de l’Intérieur annoncent leur déploiement dans le centre de Suwayda, ainsi que l’imposition d’un couvre-feu jusqu’à nouvel ordre. Ils appellent les habitants à ne pas autoriser des combattants à se servir de leurs habitations pour prendre pour cible les forces gouvernementales.

Des photographies sont publiées, montrant l’incendie volontaire de l’Eglise chrétienne de Al-Sawara Kbira par les groupes islamistes et l’armée du régime qui ont pris d’assaut le village deux jours plus tôt.

10h à 11h

Communiqué : Le sheikh Hikmat al-Hajari diffuse un nouveau communiqué, revenant sur sa déclaration antérieure qu’il dit avoir signé en raison de la pression internationale.

Le directeur de l’hôpital de Salkhad, Loui Al-Shufi, annonce que l’hôpital a atteint la limite de ses capacités avec la prise en charge de plus de 40 blessés.

11h à 12h 

Les forces armées du régime entrent dans la ville de Suwayda accompagnés de centaines de combattants islamistes, qui entreprennent la destruction et le pillage systématique des commerces et des monuments de la ville. Sous prétexte de désarmer les factions, ces groupes entrent dans les immeubles d’habitation et commencent le massacre systématique des civils qu’ils rencontrent. Des snipers s’installent dans les immeubles vides et tirent sur les civils qui tentent de se déplacer dans les rues, tandis que la ville est intensivement bombardée. Des mortiers sont tirés sur la ville d’Atil, située au Nord de Suwayda.

12h à 13h

Le ministère de la Défense déclare vouloir transmettre le contrôle de Suwayda aux forces du Ministère de l’Intérieur et annonce un cessez-le-feu dans la foulée, promettant de poursuivre les auteurs de crimes et infractions. Des images sont diffusées, montrant un convoi militaire incluant des armements lourds se diriger vers la sortie de Suwayda, tandis qu’un convoi de la Police Militaire se déploie à Suwayda.

13h à 15h

Le commandant des forces de sécurité intérieure pour Suwayda, colonel Ahmed Dalati, et le commandant des forces de sécurité intérieure pour Deraa, colonel Shahir Imran, se réunissent avec des leaders communautaires de Suwayda pour discuter du déploiement des forces de sécurité intérieure.

Les groupes tribaux poursuivent néanmoins leurs crimes de guerre et actes de génocide. Le chaos s’empare de la ville et des forces en présence, les réseaux sociaux diffusant des messages contradictoires. Les civils font l’objet d’humiliations, de sévices et d’exécutions sommaires, tandis que les shabiha du nouveau régime Jamil Al-Hassan et Qutayba Yassin, qui se font passer pour des journalistes, diffusent des fausses informations mêlées à des appels à la haine sectaire.

Les premières images d’exécutions sommaires de civils sont diffusées, et notamment celles des 13 membres de la famille Al-Radwan, tués à bout portant dans le salon (madhafeh) de leur maison où ils se croyaient hors de danger : Wassam Fahad Rizwan, Ashraf Fahad Rizvan, Nasreen Rizwan, Omar Muafagh Rizwan, Imran Muafagh Rizvan, Samer Moazi Rizwan, Satea Reza Rizwan, Rabee Rizwan, Khaldoon Rizwan, Khalid Rizwan, Essam Rizwan, Mamun Sabir Rizwan, Majdi Mamun Rizwan.

Des masses de civils tentent de s’enfuir de Suwayda par le Sud.

16h à 17h 

Une frappe israélienne cible un véhicule léger de l’armée du régime à proximité du bâtiment de la police criminelle, alors que les islamistes ont pris le siège du gouvernorat et s’avancent sur l’axe Nord-Est vers le rond-point Khaldun Zein ed-Din et la route de Qanawat. Simultanément, ils progressent sur l’axe Sud-Est vers l’hôpital national, où sont rassemblées des dizaines de blessés, tandis que la riposte des factions d’autodéfense druzes se renforce sur les axes Nord-Ouest vers Walgha et Sud-Ouest vers Kanaker. A l’extérieur de la ville, des affrontements violents se poursuivent autour de ‘Ira et Al-Mjemer.

Les sources médicales de Suwayda annoncent l’exécution par un sniper de la doctoresse Faten Hilal alors qu’elle se rendait à l’hôpital National pour venir en aide au personnel surchargé, ainsi que de six membres de la famille Qordab au niveau du rond-point Sultan Basha : Hisham Qordab, Fajr Qordab, Leith Qordab, Imran Qordab, Zaid Qordab, Rebal Qordab.

17h

Les forces du régime et les groupes islamistes lancent un raid dans l’enceinte de l’hôpital national.

19h à 20h

Le directeur des équipes médicales de l’hôpital national, Dr Omar Obaid, lance un appel pour que les parties au conflit respectent la neutralité de l’hôpital et lui permettent d’opérer normalement.

Des sources rapportent l’enlèvement de civils par les groupes islamistes et forces armées du régime, tandis que les sources médical comptabilisent plus de 20 exécutions sommaires. La disparition d’un couple et de leur fils est signalée : Eman Naseeb, Nasir al-Hadwa et Adam.

Les forces armées officielles du régime se retirent progressivement de la ville de Suwayda.

22h à minuit

Des images de la destruction de l’Eglise Chrétienne de As-Sawara Al-Kabira sont diffusées alors que le village est occupé par les forces armées du régime.

Plusieurs villages de la région, ainsi que la ville de Suwayda, sont soumis à d’intenses bombardements et leurs rues sont le théâtre d’intenses affrontements. L’hôpital de Salkhad situé au Sud du gouvernorat, déclare arriver à saturation en raison de l’arrivée de nombreux blessés.

Le mouvement d’autodéfense communautaire Rijal al-Karami publie un communiqué dans lequel il rend l’armée du régime responsable de la mort d’un grand nombre de ses combattants et l’accuse d’avoir violé l’accord de cessez-le-feu signé en amont de l’entrée de celle-ci dans la ville de Suwayda. Il condamne les nombreuses exactions commises par l’armée et les groupes islamistes qui l’accompagnent et réaffirme le droit à l’autodéfense de la communauté de Suwayda.

Mercredi 16 Juillet

(57 publications de presse)

1h30

Les médias annoncent la mort du sheikh Marhaj Shaheen (80 ans), originaire de Al-Thaala, suite à la diffusion par les groupes tribaux d’une vidéo où il est humilié et sa moustache rasée.

Des vidéos filmées par les islamistes montrent des camions quittant Suwayda vers Deraa chargés de meubles pillés dans les habitations de Al-Thaala.

9h à 12h

La ville de Suwayda, ainsi que les villages de Rsas et Sahwet Blata, situés à 10 kilomètres au Sud de celle-ci sont soumis dés l’aube à d’intenses bombardements de mortiers. D’autres villages sont la cible de tirs de roquettes Grad, tandis que les groupes tribaux envahissent des maisons près de la jonction entre les routes de Rsas et de Kanaker (Sud de Suwayda). Trois résidents sont enlevés avant d’être exécutés : Muhammad al-Barbour, Ra’ed al-Barbour et Amjad al-Barbour.

Des familles entières ont été tuées à Sami’, Al-Mazraa et dans plusieurs autres villages, après que leurs maisons aient fait l’objet de raids par les groupes tribaux se présentant comme des membres de la Sécurité Générale.

Les alentours de l’hôpital de Suwayda sont le terrain d’affrontement et la cible de bombardements de mortiers et de projectiles RPG, alors qu’un tank s’avance vers le bâtiment et bloque l’accès aux ambulances. Des snipers des forces armées du régime s’installent dans le bunker de l’hôpital et tirent sur les civils qui tentent d’y recevoir des soins. A l’issue des confrontations, le personnel de l’’hôpital déclare qu’il est hors service et bloqué par des armements lourds, demandant à ce que les patients puissent être transférés vers d’autres dispensaires médicaux de la province.

L’exécution par un sniper du docteur Talaat Fawzi Amer, célèbre pour sa participation à la révolution Syrienne contre Bachar al-Assad, est annoncée. Le personnel médical confirme que toutes les blessures prises en charge à l’hôpital sont le résultats de tirs à la tête, incluant des femmes et des enfants. Les témoignages de crimes et exécutions sommaires se multiplient, la ville de Suwayda étant envahie par des groupes tribaux qui tuent aléatoirement les résidents devant leurs maisons, s’introduisent dans les habitations, qu’ils pillent et incendient au passage.

12h à 14h

Communiqué : Le mouvement Rijal al-Karama publie un communiqué pour rendre hommage à ses combattants martyrs et condamner l’agression par les forces gouvernementales, rappelant que les factions druzes n’ont pas cessé d’appeler au cessez-le-feu.

L’hôpital est intensivement bombardé, tandis que son personnel est piégé à l’intérieur. Des hommes armés se déplacent dans les quartiers Qalaa et Nahdha en tirant sur les habitations et en attaquant les résidants dans leurs domiciles.

Le citoyen Abdullah Al-Baeini est exécuté devant sa famille à l’occasion d’un raid de son domicile.

Une manifestation en soutien à Suwayda est organisée à Alep.

14h à 16h

Les médias annoncent la mort de la fillette Tala Hussam Al-Shufi, tué par un tir de sniper dans la tête. Son père Hussam al-Shufi est également connu pour son soutien à la révolution syrienne contre Bashar al-Assad.

L’aviation israélienne concentre ses frappes sur les environs du village de Kanaker, situé à 8 kilomètres au Sud-Ouest de Suwayda, contre les positions effectuant des tirs de mortier sur la ville.

De nombreux récits s’accumulent, témoignant de très nombreux résidents piégés chez eux, dissimulés dans les caves ou exécutés sommairement dans plusieurs quartiers de la ville de Suwayda par les groupes tribaux autant que par des combattants portant l’uniforme de l’armée du régime. Des membres de l’armée du régime s’introduisent dans l’hôpital et y exécutent deux volontaires civils ainsi que plusieurs patients blessés. Des exécutions sommaires de civils sont aussi rapportée dans la ville de Shahba, situé à 17 kilomètres au Nord de Suwayda, le long de la route de Damas. Quatre personnes sont exécutées dans le village de As-Sawara as-Sughra : Mazen Obaid, Zia’ Obaid, Aseel Kamel Obaid et Abdullah al-Khatib.

Les forces armées du régime et les groupes tribaux qui les accompagnent remontent la route qui quitte Suwayda en direction de Qanawat, le domicile du Sheikh Hikmat al-Hajari, et des affrontements violents ont lieu au niveau du Musée National.

Un camion chargé de meubles pillés est frappé par un tir de l’aviation israélienne alors qu’il s’apprête à quitter Suwayda pour Deraa.

Le gouvernorat est toujours assiégé, sans voie de sortie, sans électricité, sans ADSL et sans lignes téléphoniques, tandis que le réseau mobile est extrêmement instable.

De nombreux civils se dirigent vers la frontière Jordanienne pour échapper aux combats et exactions.

16h à 18h

Des frappes israéliennes frappent le palais présidentiel et le ministère de la Défense à Damas. Cette démonstration de force inutile a pour seul effet de tourner l’ensemble de la population Syrienne contre la communauté de Suwayda.

Le nombre de morts recensés s’élèvent à plus de 300 civils et combattants.

Mobilisation massive des combattants Druzes pour libérer la ville de Suwayda des groupes tribaux.

Un groupe de manifestant se réunit devant le Bâtiment du Parlement à Damas pour protester contre l’opération militaire à Suwayda.

18h

La ville de Al-Kafr, située à 11 kilomètres au Sud-Est de Suwayda, est ciblée par des bombardements.

Communiqué : Le sheikh Hikmat al-Hajari déclare qu’aucun accord n’a été trouvé avec le régime, exige le retrait inconditionnel de toutes les forces armées qui ont envahi la région et appelle à poursuivre la défense armée de la communauté.

Les villages de l’Ouest de Suwayda continuent d’être systématiquement pillés et leurs bien transférés par les groupes tribaux en direction de Deraa.

Des milliers de déplacés se dirigent vers le sud de la région, tandis que toutes les routes permettant de quitter le gouvernorat de Suwayda restent bloquées. L’hôpital national est quasiment hors service et les cadavres s’accumulent dans les rues, alors que des vastes zones sont sans électricité et en pénurie d’eau. Les réseaux de communications sont quasi inexistants.

21h

Le ministre américain des affaire étrangères appelle le gouvernement syrien à retirer ses forces armées de Suwayda. Encore une fois, cela ne concerne pas les groupes tribaux qui suppléent l’armée du régime.

Communiqué : Le mouvement Rijal al-Karami publie un communiqué déclarant qu’il n’acceptera aucun accord n’incluant pas le retrait total de toutes les forces armées commettant des crimes de guerre dans le gouvernorat, et qu’il se battra jusqu’au dernier combattant tant que les envahisseurs ne se seront pas retirés des villes et villages qu’ils ont occupé.

23h à minuit

Le ministère de la Défense annonce le début du retrait de ses forces armées. Cette décision ne concerne toujours pas les groupes tribaux qui se maintiennent dans de nombreux quartiers, notamment à Al-Khudher, Nazla al-Auj, à proximité du Centre Culturel, à proximité des ronds-points al-Omran et al-Zinabqa, etc. L’hôpital national est également toujours assiégé.

Jeudi 17 Juillet

(53 publications de presse)

minuit à 1h

Une vidéo confirme l’exécution sommaire d’un groupe de civils à proximité de Chrin Square (rebaptisée récemment « Martyr Khaldoun Zein Eddin square » en l’honneur d’un défecteur druze de l’armée ayant formé un bataillon de l’Armée Syrienne Libre contre Bashar al-Assad en 2012).

Un groupe de combattants islamistes est capturé à Suwayda, comprenant deux combattants étrangers.

De nombreux témoignages viennent confirmer la présence de nombreux cadavres dans les rues de Suwayda.

Les forces armées du régime amorcent un retrait tandis que les groupes tribaux se maintiennent dans la ville de Suwayda.

6h à 11h

Après le retrait des forces armées du régime, les factions druzes reprennent progressivement contrôle de la ville et y découvrent l’ampleur des destructions et des crimes commis. De nombreux cadavres jonchent les rues de la ville et remplissent les chambres et couloirs de l’hôpital. Un très grand nombre de commerce sont pillés, détruits et incendiés.

Le ramassage des corps dans la rue dure 4 heures.

11h à 13h

Communiqué : Le sheikh Hikmat al-Hajari publie un nouveau communiqué appelant à soutenir les familles de victimes, les équipes médicales et à documenter les crimes. Il appelle également à l’ouverture d’un point de passage avec la Jordanie.

Les images des massacres commencent à être diffusées.

13 à 16h

L’hôpital national déclare avoir reçu 226 corps, dont un certain nombre attendent d’être identifiés, et estiment que le nombre total de victimes devrait excéder 500, dont la plupart sont des civils.

Les corps des 12 membres d’une même famille, la famille Al-Muz’har, sont retrouvés dans leur appartement du quartier al-Koum, incluant 8 femmes et filles et un vieillard handicapé.

Plusieurs corps appartenant aux membres de la famille Al-Saraya sont découverts sur Chrin Square.

En plusieurs endroits de la ville, des corps de civils sont retrouvés dans leurs véhicules criblés de balles.

Communiqué : Le sheikh Youssef Jarbou’a publie un communiqué dénonçant un massacre organisé sous couvert d’une « simple opération de sécurité », contraire aux préceptes de l’islam, et dont la totale responsabilité incombe à l’Etat Syrien et aux pays qui le soutiennent. Il appelle à ce que des organisations humanitaires et institutions internationales enquêtent et documentent les crimes.

Des informations mensongères et des menaces sont diffusées depuis des téléphones volés aux victimes et une intense campagne de désinformation est lancée sur les réseaux sociaux et par les médias mainstream, incluant Al-Jazeera, Al-Arabi, Al-Akhbariya et SyriaTV. Les Druzes sont accusés d’avoir massacré des centaines de Bédouins, présentant les victimes Druzes comme Bédouines et suscitant une vague de ressentiment et de haine sectaire sur les réseaux sociaux et à travers le pays.

La plupart des fake news sont contredites par le site Verify.sy

Communiqué : Le sheikh Hikmat al-Hajari diffuse un communiqué pour rejeter toute violence et demander à ce que les populations bédouines ne soient pas persécutées.

Un groupe armé attaque le village de Walgha (5km Nord-Ouest de Suwayda).

17h à 20h

Des vidéos circulent montrant que les populations bédouines sont accueillies et mises à l’abri dans plusieurs bâtiments publics de la région, et notamment à Shahba (17km Nord-Est de Suwayda), Reema al-Lohof et Al-Kafr (11km Sud-Est de Suwayda). La rumeur commence à circuler sur les réseaux sociaux que ces populations seraient retenues en otages.

Vendredi 18 Juillet

(51 publications de presse)

1h à 6h

Des vidéos attestent de l’incendie d’habitations à Al-Mazraa (11 km Nord-Ouest de Suwayda).

Une vague de fake news annonce l’invasion de Suwayda par les tribus bédouines, mais l’entrée de groupes armés n’est confirmée qu’à Thakir (40km Nord de Suwayda) et Walgha (5km Nord-Ouest de Suwayda). De fausses vidéos alléguant de crimes commis par les factions druzes circulent sur internet, dont une partie proviennent des massacres commis par Israël à Gaza.

Malgré les rumeurs, les factions druzes gardent le contrôle sur la plus grosse partie de la province, à l’exception d’une vingtaine de villes et villages de l’Ouest et du Nord.

8h

A ce stade, des milliers de militants islamistes de l’ensemble du pays déclarent vouloir mener le jihad contre les Druzes, tandis qu’un certain nombre de villages situés à l’Ouest du gouvernorat restent occupés par les groupes responsables des crimes commis depuis quatre jours.

Le régime refuse de renvoyer son armée à Suwayda, tandis que la Turquie et l’Arabie Saoudite déclarent leur soutien à celui-ci.

12h à 14h

Communiqué : le père Tony Petros, représentant de l’Eglise Catholique Romaine de Suwayda appelle à la raison et à la coexistence pacifique.

Les factions druzes annoncent la libération de Suwayda, puis de Walgha, et la fuite des islamistes vers Al-Mazraa.

15h à 16h

Communiqué : L’archidiocèse de l’Eglise orthodoxe romaine de Bosra Hauran et de Jabal Arab, représenté par l’archiprêtre Antonius Saad, appelle à la réouverture des routes et à la fin du siège qui prive 300 000 foyers d’eau, d’électricité, de médicaments et de nourriture.

Une nouvelle vidéo témoigne de l’humiliation d’un employé du Croissant Rouge par un membre des groupes tribaux, qui lui rase la moustache devant la caméra, ainsi que de l’exécution sommaire de membres du personnel médical de l’hôpital national.

17h à 18h

Près de 80 000 familles ont été déplacées de Suwayda par les violences en direction du Sud de la province et de la frontière jordanienne, tandis qu’un millier de familles Bédouines ont été déplacées vers Deraa.

Les hôpitaux de Suwayda et de Al-Mazraa sont hors service.

Un convoi armé des groupes tribaux se positionne à proximité de Barek (30 km au Nord-Est de Suwayda) en provenance du désert, alors que des centaines de déplacés y ont trouvé refuge au cours des dernières heures. Ils ne parviennent pas à avancer et se contentent de filmer l’incendie de maison laissées vide par leurs propriétaires.

Le commandant militaire de Rijal al-Karama, le sheikh Abu Dyab, publie une vidéo alors que ses hommes ont libéré Walgha.

18h à 20h

Le village de Sahwet Blata (9 km Sud-Ouest de Suwayda) annonce la mort de 19 de ses résidents, tués dans un massacre commis alors que les forces armées du Ministère de la Défense et du ministère de l’Intérieur occupaient la commune. La plupart des victimes appartiennent aux familles Al-Bani et Salah.

Le média Al-Raased conteste le communiqué de la Défense Civile affirmant que leur employé disparu depuis mercredi 16 juillet à 18h au niveau du rond-point Al-Omran aurait été kidnappé par les factions druzes. Il rappelle que la zone était alors et jusque tard dans la nuit sous contrôle des forces armées du régime.

22h à 23h

Les factions druzes annoncent la libération du village de ‘Ira (10km Sud-Ouest de Suwayda), de Al-Thaala (10km Ouest de Suwayda) et de Kafr al-Lohof (10km Nord de Suwayda), où de nombreuses maisons ont été pillées et incendiées.

Des frappes aériennes sont effectuées par Israël sur les groupes armés se maintenant à l’Ouest de la province.

Une vidéo est diffusée montrant l’exécution par défenestration de trois jeunes hommes à Suwayda, forcés à sauter du balcon par des islamistes.

Samedi 19 Juillet

(60 publications de presse)

1h à 6h

Le Ministère de l’Intérieur annonce interdire à tout véhicule ou armement de pénétrer dans Suwayda jusqu’à nouvel ordre et appelle la chambre de commandement des tribus bédouines à retirer leurs combattants de Suwayda et à remettre leurs armements lourds.

L’émissaire de la maison blanche annonce un accord de cessez-le-feu entre Israël et la Syrie, signé également par la Turquie, la Jordanie et leurs voisins. L’armée jordanienne se déploie sur la frontière syrienne.

Les factions continuent de riposter aux attaques de groupes tribaux présents dans la province.

Communiqué : le sheikh Hikmat al-Hajari confirme le déploiement des forces de sécurité intérieure du gouvernement autour de la province dans le but d’empêcher l’entrée de groupes armés, interdit l’entrée à toute personne et pendant 48h dans les villages frontaliers afin d’éviter toute initiative remettant en cause le cessez-le-feu, garantit la protection aux populations bédouines souhaitant quitter la province, déclare l’ouverture d’un passage humanitaire vers Bosra al-Harir (Deraa) et appellent la société civile et les factions armées à faire preuve de responsabilité et de coordination.

11h à 14h

Communiqué : Le mouvement Rijal al-Karama déclare que les « terroristes soutenus par le gouvernement » continuent d’attaquer la province malgré le cessez-le-feu, poursuivant leurs actions criminelles à l’encontre des populations civiles.

14h à 16h 

Des groupes tribaux continuent de se livrer à des attaques sur plusieurs axes menant à Suwayda, en violation des accords de cessez-le-feu. Une vidéo circule montrant ces groupes rejetant l’accord de cessez-le-feu.

Des corps de combattants tribaux retrouvés dans les rues portent sur eux des cartes d’identité militaires attestant de leur appartenance au Ministre de la Défense.

Les corps d’une vingtaine de membres de la famille Mazhar sont découverts dans leur logement à Suwayda, incluant femmes et enfants.

Communiqué : L’archevêque de l’Eglise romaine orthodoxe de Bosra Hauran envoie un message à la communauté internationale appelant à une intervention imminente pour mettre un terme aux massacres barbares qui ciblent des jeunes comme des vieillards.

17h à 19h

Le corps médical de l’hôpital national de Suwayda déclare l’effondrement du système de soins et l’impossibilité d’évacuer les corps entreposés dans l’enceinte de l’hôpital, ainsi que le décès de patients du à l’impossibilité de leur fournir un traitement adéquat.

Les factions druzes libérent le village de Al-Majdal (11km Nord-Ouest de Suwayda).

19h à 21h

Les factions continuent d’affronter des groupuscules armés disparates dans certains quartiers de Suwayda.

Des groupes armés attaquent les villes de Ariqa (21km Nord-Ouest de Suwayda) depuis Dama, Kafr al-Lohof (11km Nord-Ouest de Suwayda) et Um Zeitun (21km Nord-Ouest de Suwayda) à l’aide de mortiers, d’armements lourds et de drones, tandis que de nombreux résidents s’y trouvent encore. La ville de Shahba (17km au Nord-Est de Suwayda) fait l’objet d’attaques également.

Communiqué : le sheikh Hikmat al-Hajari confirme que l’action armée des factions druzes répond depuis le début à l’impératif d’auto-défense et que c’est l’adversaire qui ne respecte pas l’accord de cessez-le-feu, des gangs armés continuant à commettre des crimes contre l’humanité. Il appelle les pays signataires du cessez-le-feu à prendre leurs responsabilités et à protéger la communauté druze.

21h à 23h

Communiqué : le Rassemblement des Clans du Sud (Bédouins) sous la direction du sheikh Nawaf al-Bashir déclare que les informations faisant mention de décapitations d’enfants bédouins sont fausses, appelle au retrait total et immédiat de tous les combattants bédouins, réaffirme la coexistence pacifique avec les Druzes et appelle à la raison et au dialogue.

Communiqué : le Patriarche de l’Eglise romaine orthodoxe d’Antioche et du Levant appelle à la fin des massacres qui mettent en péril la coexistence entre les communautés.

Une vidéo circule attestant de la participation de « journalistes » à des actions de destruction de symboles religieux druzes à l’intérieur de logements privés.

Les reportages de Sky News témoignent du pillage systématique des habitations par les groupes islamistes et du transfert massif de biens volés vers la province de Deraa.

Les groupes tribaux attaquent Shahba après être entrés dans Um Zeitun.

Dimanche 20 Juillet

(52 publications de presse)

10h à 11h

Les factions druzes continuent de résister aux attaques des groupes tribaux au Nord de Shahba et Ariqa, tandis que le pillage et l’incendie des maisons se poursuit dans les villages occupés par les forces armées du régime.

Une vidéo atteste de la mise à l’abris des familles bédouines au centre d’accueil temporaire de Shahba.

12h à 14h

Des vidéos montrant les familles bédouines accueillies et prises en charge dans des centres d’accueil sont diffusées par la communauté druze pour démentir les rumeurs selon lesquelles ces familles seraient prises en otages et maltraitées.

Un premier convoi humanitaire du Croissant Rouge entre à Suwayda.

Communiqué : le sheikh Hikmat al-Hajari exige la fin des actions armées et le retrait de toute les forces armées affiliées au régime, accueille l’entrée de l’aide humanitaire dans la province et appelle à la fin immédiate des attaques haineuses contre la communauté, ainsi que les campagnes médiatiques mensongères visant à attiser la haine. Il demande aussi le rétablissement des lignes électriques et des communications et la libération des prisonniers et otage, qui doivent être livrés à 18h sur la place du village de Um Zeitun.

14h à 17h

Des images témoignent de la destruction totale des hangars de stockage du Croissant Rouge à Suwayda.

Communiqué : L’ONU établit une liste des besoins urgents pour Suwayda, à savoir l’ouverture d’un passage sécurisé pour les civils, l’entrée d’aide médicale, d’eau et de nourriture ainsi que l’accès sécurisé et la protection des travailleurs humanitaires.

Publication d’une liste de 25 résidents de Suwayda pris en charge à l’hôpital de Deraa.

17h à 22h

Les factions annoncent la libération complète de Um Zeitun, tandis que Ariqa continue de résister aux attaques des groupes tribaux. Des échanges de tirs ont lieu à Reemat Hazm.

17 femmes de Suwayda sont rappatriées saines et sauves vers Jaramana depuis Deraa.

Des images témoignent des nombreuses violations, destructions et pillages d’habitations commis par les groupes tribaux et les forces gouvernementales dans les villages de Kanaker et Mazraa.

22h à minuit

Les sources médicales annoncent que plus de 600 corps ont été amenés à l’hôpital national depuis le début des massacres, indiquant que cela ne prend pas en compte les corps emmenés aux hôpitaux de Salkhad, Shahba et Sali, ainsi que les corps enterrés sans avoir été emmenés à l’hôpital et les nombreux corps toujours parsemés dans les rues.

Lundi 21 Juillet

(33 publications de presse)

11h à 13h

Les factions druzes continuent de résister aux attaques des groupes tribaux à Shahba et Um Zeitun qui recourent à un emploi intensif de drones. C’est la treizième fois que les groupes tribaux violent l’accord de cessez-le-feu.

Les factions druzes parviennent à stopper les attaques menées contre le village d’Ariqa depuis les trois axes de Dama, Najran et Harran.

L’émissaire spécial des Etats-Unis déclare que le régime Syrien doit être tenu pour responsable.

13h à 15h

Le transfert des corps depuis l’hôpital National de Suwayda en vue de leur inhumation a commencé avec l’aide du Croissant Rouge. Tous les corps ont été photographiés au préalable en respect des procédures légales.

Une liste de 25 patients de Suwayda pris en charge à l’hôpital de Al-Razi à Damas est rendue publique afin de tranquiliser leurs proches.

15h à 19h 

De nouveaux tirs de mortiers atteignent la ville de Ariqa.

Les Eglises chrétiennes de la région ouvrent leurs portes pour servir de centre médicaux d’urgence et fournissent des véhicules pour servir d’ambulances.

De nombreux volontaires participent au nettoyage de l’hôpital National de Suwayda.

L’hôpital de Al-Mazraa annonce être a nouveau fonctionnel.

Le barreau des avocats de Suwayda annonce sa résignation collective pour protester contre le déni des crimes terroristes et massacres commis dans la province.

Les étudiants de Suwayda résidant dans d’autres gouvernorats sont menacés sur les réseaux sociaux par des islamistes, qui publient leurs photographies et adresses.

Des hommes armés attaquent le village de Hayat

19h à 20h

Communiqué : Le mouvement Rijal al-Karama conteste les informations erronées véhiculées par les médias complices des massacres affirmant que Laith al-Balous serait leur leader, rappelant que ce dernier dirige son propre mouvement depuis 2016. Il rappelle que face à l’agression dont la communauté fait l’objet, toutes les composantes de la montagne forment un bloc uni.

Les preuves d’un nouveau massacre de civils par les forces des ministère de la Défense et de l’Intérieur émergent : l’ingénieur Samir Hussein Hamidan est retrouvé assassiné chez lui dans sa chaise roulante en compagnie de deux membres de sa famille.

Un collectif d’avocats prépare un dossier juridique établissant la responsabilité du Directeur de la Sécurité pour Suwayda, le colonel Ahmed Haytham Dalati, ainsi que du Directeur de la Sécurité pour Deraa, le colonel Shahir Jabbar Imran, dans la commission de crimes de guerre.

20h à 21h

Les groupes tribaux poursuivent leurs attaques contre le village de Um Zeitun et la ville de Shahba, ciblant les réserves de blé et de farine dans une volonté claire de faciliter le siège imposé par le régime. La jeunesse de Majadil oppose une résistance acharnée aux groupes tribaux et appelle des renforts.

Une vidéo extraite de la vidéosurveillance d’un magasin de Suwayda confirme que des membres des forces armées gouvernementales ont pris une part active dans les massacres de civils les 15 et 16 juillet : un sheikh est tué à bout portant dans la rue par des hommes portant l’uniforme de la Sécurité Générale alors qu’il marche non armé dans la rue. D’autres vidéos montrent des raids menés contre des domiciles privés et des attaques violentes contre des résidents.

Les témoignages d’exécutions sommaires s’accumulent également, incriminant autant les groupes tribaux que les forces gouvernementales.

22h à minuit

Alors que le calme semble revenir, on recense plus de vingt villages totalement détruits et incendiés.

Le mouvement Rijal al-Karama annonce la mort de 46 de ses combattants depuis le début des attaques.

Un premier convoi de camions citernes transportant du fuel  et d’essence est entré dans Suwayda depuis Bosra al-Sham vers la ville de Al-Qurayya.

Mardi 22 Juillet

(41 publications de presse)

9h à 12h

La population de plus de 30 villages de Suwayda a été évacuée et déplacée en raison des attaques des forces gouvernementales et de leurs supplétifs tribaux.

Les employés de la compagnie d’électricité de Suwayda tentant de rétablir le courant sur les lignes à proximité de Kanaker alertent sur la présence de snipers. La Compagnie déclare avoir perdu de nombreux véhicules ainsi que 7 de ses meilleurs employés dans les massacres.

Les témoignages filmés de victimes des attaques se multiplient, tandis qu’une nouvelle vidéo de surveillance montre des membres des forces gouvernementales se livrant à la destruction et au pillage de commerces durant leur occupation temporaire de Suwayda les 15 et 16 juillet.

12h à 15h

Communiqué : le sheikh Hikmat al-Hajari appellent à restreindre le partage de publications et discours sectaires et provocateurs, tout en rappelant que les Bédouins font partie de la communauté, ne doivent subir aucune persécutions et être protégés.

Des vidéos et photographies témoignent des destructions de biens et de logements dans le village de Najran.

17h à 19h

Les effets du siège de la province par les forces gouvernementales depuis 10 jours commencent à impacter sérieusement la population, qui manque d’eau du fait de la coupure totale d’électricité empêchant les pompes de fonctionner pour récupérer l’eau des puits. En parallèle, les nombreux incendies mobilisent les véhicules citernes permettant aux pompiers d’éteindre les feux.

Les groupes tribaux attaquent le village de Hayat, où les factions locales résistent à l’assaut et repoussent les assaillants vers Al-Mtoneh.

21h à minuit

Une délégation des Nations Unies se rend à Suwayda et documente la situation sanitaire à l’hôpital National.

L’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme publie un communiqué dans lequel il rejette toute commission d’enquête sur les crimes établie par les institutions gouvernementales, l’expérience de la précédente commission d’enquête sur les crimes de la côte ayant contribué à dissimuler la vérité. Il appelle à la formation d’une commission d’enquête indépendante sous l’égide de l’ONU.

Communiqué : L’archevêque de l’Eglise romaine orthodoxe de Bosra Hauran et de la Montagne Arabe dénonce les nouvelles mensongères faisant état de l’expulsion des Chrétiens de la province et rappelle que ces derniers défendent leur terre et leur héritage tout en procurant protection et soutien spirituel et communautaire à la population.

Communiqué : Le père Tony Botros, officiant à l’Eglise catholique romaine de Shahba, nie l’évacuation de membres de la communauté chrétienne de Suwayda.

Une nouvelle vidéo est diffusée, montrant l’exécution sommaire du résident de Al-Thaala Mounir Al-Rajma par des membres des forces gouvernementales alors qu’il déclare être Syrien lorsque ceux-ci lui demandent s’il est Druze.

La Sécurité Générale lance un raid contre les dortoirs de l’université de Latakia pour y arrêter 11 étudiants de Suwayda.

LÉGENDE:

  • Vert – Zone sous contrôle du régime avant le 22 juillet.
  • Marron – Montagne « Jabal al-Arab »
  • Points rouges – Villes sous le contrôle du régime (dont 30 entièrement détruites)
  • Points roses – Villes attaquées mais non occupées.
  • Points verts – Principales villes de Deraa d’où les tribus sont parties.

Le camp Palestinien de Yarmouk, une blessure profondément Syrienne

L’histoire du camp de Yarmouk est un condensé de l’histoire de la région depuis le début de la dictature du clan Assad, qu’on peut qualifier de nationale-socialiste. On y retrouve un échantillon des rapports de domination et des loyautés politiques qui ont conduit à la fracturation violente les sociétés Syrienne et Palestinienne depuis le milieu des années 1950. Yarmouk a aussi été un modèle réduit du soulèvement et de la guerre civile qui ont ravagé la Syrie depuis 2011. On vous propose un retour exhaustif sur la chronologie de ces quatorze dernières années…

Présentation non-exhaustive du camp

Le camp de réfugiés de Yarmouk s’est établi en 1957 en périphérie de Damas, sur un territoire de 2,11 kilomètres carrés bordés au Nord par le district Al-Midan (quartiers Al-Qa’a et Al-Zahera), à l’Ouest par le district Al-Qadam (quartiers de Qadam Sharki et Jouret Shreibati), à l’Est par Tadamon et au Sud par Yalda, Taqaddom et Al-Hajar al-Aswad. Ses résidents ont fui la Palestine en 1948 et une partie d’entre eux est passée d’abord par le Liban ou la Jordanie avant de rejoindre la Syrie. Le camp s’est agrandi progressivement vers l’Est en accueillant après 1967 des réfugiés du Golan (incluant des Druzes – 25%, des Turkmènes et des Alaouites – 3%), qui se sont installés pour la plupart dans le district voisin de Tadamon. Au sens strict, le camp de Yarmouk désignait d’abord le périmètre délimité par la 30ème rue à l’Ouest et la rue de Yarmouk à l’Est, puis l’ensemble du périmètre s’étendant jusqu’à la rue de Palestine (voir carte). Dans certains articles et rapports, le camp est improprement divisé en deux camps distincts, « Yarmouk camp » et « Palestine camp », mais cette division ne correspond à aucune réalité administrative. De la même façon il arrive que les districts de Al-Hajar al-Aswad et Taqaddom soient inclus dans la dénomination « camp de Yarmouk », du fait qu’une partie de ses résidents étaient aussi réfugiés de Palestine.

Yarmouk était en 2011 le plus grand camp de réfugiés Palestiniens parmi les 12 camps que comptait la Syrie. Au début du soulèvement Yarmouk comptait en effet 351 500 résidents Syriens et 171 880 réfugiés Palestiniens (44 279 familles). L’UNRWA y administrait 23 installations, dont 16 écoles, 3 centres de santé, une Centre Culturel pour les Jeunes, un Centre de Développement Educatif et deux Centres Communautaires[1]. Aux écoles gérées par l’UNRWA s’ajoutaient 7 écoles publiques. On trouvait également à Yarmouk 11 mosquées, la population y étant quasi exclusivement de confession musulmane sunnite.

La gestion administrative du camp était confiée à une municipalité affiliée au parti Ba’ath et aux factions Palestiniennes lui ayant prêté allégeance, en tête desquelles le Front Populaire de Libération de la Palestine – Commandement Général (PFLP-CG). Les principales factions Palestiniennes présentes et actives à Yarmouk au début du soulèvement étaient alors loyales envers le régime de Bachar al-Assad :

  • Front Populaire de Libération de la Palestine – Commandement Général (FPLP-CG), scission du FPLP fondée en 1968 et sortie de l’OLP en 1974. Dirigée par Ahmad Jibril, Talal Naji et Anwar Raja ;
  • Armée de Libération de la Palestine (PLA – Jaysh al-Tahrir al-Falastini), fondée par l’OLP en 1964, puis inféodée au parti Ba’ath Syrien et exclue de l’OLP en 1973. Dirigée par Akram Muhammad al-Salti ;
  • Fatah al-Intifada (trad. « Le soulèvement du Fatah »), scission du Fatah fondée en 1983 et exclue de l’OLP la même année. Dirigée par Saïd al-Mouragha « Abu Mussa » jusqu’en 2013, puis Ziad al-Saghir « Abu Hazim » ;
  • As-Sa’iqa (trad. « coup de foudre »), branche Palestinienne du parti Ba’ath Syrien fondée en 1966. Dirigée par Mohammed Qeis.
  • Harakat Falasteen Hurra (trad. “Mouvement Palestine Libre”), fondé en 2003 et dirigé par Yasser Qashlak et Saed Abd Al-Aal.

Elles ne représentaient cependant pas la majorité des Palestiniens de Yarmouk et ne devaient leur existence qu’à leur loyauté envers le régime, les autres mouvements Palestiniens étant bannis. Le Hamas quant à lui bénéficiait depuis 1999 d’une présence en Syrie à la fois essentiellement symbolique du fait de son appartenance à « L’Axe de Résistance » et étroitement contrôlée du fait de son affiliation historique aux Frères Musulmans, violemment persécutés par le régime depuis les années 1980.

Carte 1 : Localisation de Yarmouk par rapport à Damas (carré vert = Carte 2)

Carte 2 : Quartiers et districts situés autour de Yarmouk.

Carte 3 : Infrastructures du camp de Yarmouk.

Avant 2011 : Les Prémisses.

La présence Palestinienne en Syrie est antérieure à la dictature des Assad. L’afflux des réfugiés de 1948 s’est produit sous la présidence de Shukri Al-Quwatli, alors que la Syrie venait d’obtenir son indépendance deux ans plus tôt. On comptait alors 85 000 réfugiés Palestiniens sur le territoire Syrien, mais plusieurs vagues successives allaient se produire en 1967 depuis le Golan suite à la « Guerre des six jours », en 1970 depuis la Jordanie suite aux événements de « Septembre Noir » et en 1982 depuis le Liban en raison de la guerre civile libanaise. En 2011, on comptait 585 610 réfugiés Palestiniens en Syrie.

Initialement impliquée auprès des Palestiniens dans la guerre des six jours et au début de la crise de 1970 (Septembre Noir), la Syrie allait très rapidement trahir leur cause sous Hafez al-Assad. Sa participation dans l’offensive du Yom Kippour en 1973 avait davantage pour objectif la récupération du Golan perdu en 1967 que la défense de la cause Palestinienne. Et comme en 1967 et en 1970, les forces armées Syriennes allaient être défaites, faisant périr au passage des centaines de combattants Palestiniens de l’Armée de Libération de la Palestine, instrumentalisés pour servir les intérêts de la dictature. Le Golan a été laissé à Israël dans le cadre des accords de désengagement signés entre les deux pays en 1974.

Le 20 janvier 1976 les proxy Palestiniens de la Syrie, l’Armée de Libération de la Palestine et As-Sa’iqa, massacraient plus de 500 civils Chrétiens à Damour, jetant à la fois l’opprobre sur la résistance Palestinienne incarnée alors par l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) et poussant les milices chrétiennes à appeler à l’aide la Syrie. Un peu plus de quatre mois plus tard, Assad envoyait son armée au Liban dans une incompréhensible stratégie visant à soutenir les phalanges chrétiennes face aux « Palestino-progressistes » de l’OLP menée par Yasser Arafat et du Mouvement National Libanais mené par le leader Druze Kamal Jumblatt, prétendant ainsi empêcher l’intervention israélienne au Liban. Immédiatement après son entrée sur le territoire libanais, et après avoir été stoppée par le PLO dans le Chouf, l’armée syrienne assiégeait le camp Palestinien de Tel al-Zaatar avec l’aide de 3 000 phalangistes Chrétiens. A l’issue d’un siège de deux mois, la résistance Palestinienne offrait sa reddition et Assad laissait les milices chrétiennes (fascistes) pénétrer dans le camp le 12 août 1976. Celles-ci allaient procéder au pillage et à l’incendie des habitations, ainsi qu’au viol et au massacre systématique des civils Palestiniens, exécutant plus de 1 500 résidents du camp dans l’un des plus gros massacres de Palestiniens depuis la Nakba.

A partir de là et jusqu’à son retrait du Liban en avril 2005, l’armée syrienne et le régime d’Assad allaient déterminer le destin du Liban, mais également des Palestiniens du Liban et de Syrie. A la suite de l’intervention israélienne au Liban en 1982, le régime Syrien allait d’abord permettre à l’Iran de créer, d’entraîner et d’armer le Hezbollah et le Jihad Islamique, d’utiliser son territoire comme passerelle entre l’Iraq et le Liban, avant de se servir des milices iraniennes comme proxy dans sa guerre sanguinaire menée contre tous les Syriens à partir de 2011, qu’ils soient par ailleurs progressistes ou islamistes. En parallèle, l’OLP était expulsée hors du Liban, marquant la fin de la liberté politique des Palestiniens du Liban, leur situation allant s’aligner avec celles des Palestiniens de Syrie. Traités en éternels étrangers et privés de leurs droits civiques, ceux-ci étaient condamnés à la neutralité et à la dépendance économique, tout en étant dépossédés de leur combat pour la libération de la Palestine, accaparé par l’Etat Syrien, l’Etat Iranien et leurs proxys, la Syrie devenant elle-même bientôt le proxy de l’Iran, après avoir été celui de la Russie soviétique.

Maintenant qu’on a posé le contexte, intéressons-nous à l’histoire récente de Yarmouk.

2011  – 2012 : L’Ébullition. Milices pro-Assad et premières bombes du régime.

Lors de l’éruption de la révolte en mars 2011, les résidents de Yarmouk et ses factions politiques conservèrent dans un premier temps la position de neutralité qui leur était imposée depuis près de 30 ans. Après une première grève – réprimée par la force – pour protester contre le bombardement du camp de réfugiés Palestiniens de Dera’a en avril, les tensions augmentèrent progressivement entre juin 2011 et juillet 2012.

A l’occasion de la commémoration de la Nakba et de la Naksa le régime organisa par le biais du FPLP-CG deux manifestations sur la frontière du Golan les 15 mai et 5 juin 2011, lors desquelles 26 jeunes Palestiniens de Yarmouk furent tués par l’armée israélienne alors qu’ils essayaient de franchir les barrières de sécurité. Lors des funérailles organisées à Yarmouk le 6 juin, Assad fut accusé par les résidents de Yarmouk d’avoir voulu détourner l’attention de ses crimes contre les Syriens, ainsi que des déclarations controversées de son cousin et homme d’affaire clé du régime Rami Makhlouf, qui venait d’affirmer un peu plus tôt que « la sécurité du régime syrien ne faisait qu’une avec celle d’Israël ». Le FPLP-CG pour sa part fut rendu responsable des événements tragiques survenus sur la frontière du Golan, et notamment d’avoir envoyé les manifestants dans un piège après les avoir galvanisé et instrumentalisé pour servir la propagande faussement pro-Palestinienne du régime. Celle-ci affirmait alors qu’attaquer le régime, c’était attaquer « l’Axe de Résistance » et servir les intérêts de l’impérialisme américain et du sionisme. Par conséquent, la rébellion syrienne était assimilée à un complot sioniste et les manifestants et rebelles Syriens à des agents de l’impérialisme occidental. Hélas, une grande partie des mouvements de solidarité avec la Palestine et de la Gauche occidentale se sont fait piéger par cette argumentaire spécieux et continuent jusqu’à ce jour à soutenir le régime d’Assad et ses alliés[1]. Quoi qu’il en soit les Palestiniens de Yarmouk n’étaient pas dupes et les funérailles, qui réunirent 30 000 personnes, allaient se transformer en manifestation et encercler le siège du FPLP-CG « Al-Khalsa » situé à la limite Sud de Yarmouk. Les gardiens des lieux ouvrirent alors le feu, tuant 2 personnes parmi les manifestants : Rami Siyam (14 ans) et Jamal Ghutan. Des centaines de manifestants prirent ensuite d’assaut le bâtiment avant de l’incendier, tuant deux membres du PFLP-CG avant d’être repoussés par les forces du régime et des renforts du PFLP-CG.

En août 2011, le régime procéda au bombardement du camp de réfugiés Palestiniens de Al-Ramel dans la périphérie de Latakia, accusant ses résidents de soutenir le « terrorisme » du fait de la forte activité anti-Assad dans le camp. Plus de la moitié de ses 10 000 résidents furent contraints à fuir le camp par les forces du régime et ses chabiha, qui procédèrent au pillage de leurs logements. Dans la foulée, Yarmouk organisa sa première manifestation en solidarité avec Al-Ramel le 17 août 2011, réunissant environ 300 personnes. Durant l’été, près de 70 000 déplacés de différentes villes prises pour cible par le régime furent massivement accueillis dans les mosquées, les écoles et les espaces publics de Yarmouk.

Au cours de l’année 2012, les manifestations et grèves allaient se multiplier, reprenant les principaux slogans de la révolution Syrienne, tandis que l’armée ouvrait le feu sur la foule et fracturait les verrous des commerces en grève pour forcer leur reprise d’activité. Les services de sécurité du régime commençaient en effet à manifester leur inquiétude face à ces mouvements de contestation, enjoignant aux responsables communautaires de les réduire au silence.

Notons qu’avant l’été 2012 le millionnaire Palestinien loyal au régime Yasser Qashlak, fondateur et leader du Mouvement Palestine Libre, constitua les « Forces du Bouclier d’Al-Aqsa » (Quwaat Der’a Al-Aqsa), un groupe de mercenaires chargé de dissuader l’opposition de se rassembler, notamment en se réunissant à la sortie des mosquées et en mettant en scène des manifestations favorables au régime. A la fin de l’été, Qashlak finança également l’armement de 1100 membres du bras armé du FPLP-CG, les Brigades Jihad Jibril (Kataeb Jihad Jibril), dont 500 allaient constituer les Comités Populaires (Al-Lijan al-Sha’biyah), milices mises sur pieds à Yarmouk comme dans différents districts de la région de Damas pour prévenir l’infiltration de groupes rebelles sunnites et faire face ainsi à l’offensive prévisible de l’Armée Syrienne Libre[2].

Le 13 juillet 2012, Yarmouk fut le point de départ d’une manifestation de plusieurs milliers de personnes en direction du quartier voisin de Tadamon pour protester contre son bombardement, mais aussi contre le massacre de plus de 150 civils à Tremseh (Hama) par les chabiha d’Assad et la mort de recrues Palestiniennes dans la guerre menée par le régime contre son peuple. Une nouvelle fois, l’armée ouvrit le feu sur la manifestation et tua 10 manifestants.

Le lendemain, les funérailles réunissant 50 000 personnes entrainèrent l’encerclement de Yarmouk par des blindés et le ministre des affaires étrangères menaça les réfugiés Palestiniens, déclarant qu’en tant qu’invités ceux-ci étaient soumis à un devoir de neutralité. Cette volonté de neutralité était alors largement partagée par les résidents et l’ensemble des factions Palestiniennes, qui savaient quelles conséquences dramatiques pourrait entraîner l’ouverture d’un nouveau front avec le régime à Yarmouk.

[1] Lire notre publication « Camarades gauchistes occidentaux, vous avez perdu vos camarades du Levant », accessible à https://interstices-fajawat.org/fr/camarades-gauchistes-occidentaux-vous-avez-perdu-vos-camarades-arabes/

[2] Tom Rollins, Palestinian-Syrian Militarization in Yarmouk, Atlantic Council, 19 juillet 2017, accessible à https://www.atlanticcouncil.org/blogs/syriasource/palestinian-syrian-militarization-in-yarmouk/

2012  – 2013 : L’Éclatement. La rébellion armée s’empare de Yarmouk.

En juillet 2012, l’Armée Syrienne Libre lança son offensive « Volcan de Damas » pour la libération de la capitale. Le 15 juillet, le poste de police à l’entrée de Yarmouk fut attaqué et incendié, provoquant la riposte aérienne du régime et les premières frappes sur le camp le 17 juillet, tuant 9 personnes. Trois jours plus tard, l’ASL se retira et l’armée du régime reprit contrôle de toutes les zones limitrophes du camp (Al-Hajar al-Aswad, Tadamon, Qadam), contraignant nombre de ses habitants à se réfugier à Yarmouk en surplus des milliers de déplacés déjà présents.

Durant l’été, le camp de Yarmouk allait ainsi accueillir des milliers de déplacés supplémentaires, alors que le régime poursuivait son bombardement massif des villes syriennes pour riposter face à la rébellion de l’Armée Syrienne Libre. En conséquence de cet afflux massif de déplacés, la population allait atteindre près de 900 000 personnes, soit trois fois plus qu’avant le soulèvement. Le 2 août 2012, une frappe du régime tua 21 personnes dans ce qui fut appelé le « massacre de la rue Ja’ouneh ». Yarmouk entra alors pour la première fois dans la guerre civile, voyant au cours de l’automne la diffusion d’un « appel à protéger les camps Palestiniens » suivi de la mise sur pieds de factions armées Palestiniennes opposées au régime : Aknaf Beit al-Maqdis (affilié au Hamas et dirigé par Abu Ahmed Mushir), Liwa al-Asifa, Ababil Falastin, Liwa Al-‘Ahda Al-‘Umariya…

Carte n°3 : Yarmouk – Situation après l’offensive de l’ASL, fin 2012.

Le Hamas, qui avait soutenu les manifestations contre le régime, offrait désormais son expertise aux rebelles de l’Armée Syrienne Libre et de Aknaf Beit al-Maqdis sans l’admettre publiquement. Ce choix dangereux était alors motivé par l’arrivée au pouvoir de Mohamed Morsi et des Frères Musulmans – leurs parrains et sponsors – en Egypte, mais allait entraîner très vite la riposte du régime Syrien avec l’arrestation et la torture de Mamoun al-Jaloudi, commandant en chef et garde du corps du Chef du Bureau Politique du Hamas Khaled Meshaal, puis l’expulsion de ce dernier et des autres dirigeants du Hamas de Damas vers le Qatar, le Caire et Gaza.[1] [2] C’est aussi dans cette période que Jabhat al-Nusra commença à opérer dans le district aux côtés de l’ASL.

Alors que le régime poursuivait ses bombardements quotidien depuis l’été, l’escalade fut portée à son point de rupture au mois de décembre quand les milices Palestiniennes loyales au régime commencèrent à établir des checkpoints autour de Yarmouk et à confronter militairement l’Armée Syrienne Libre à al-Hajar al-Aswad et Yalda, où cette dernière s’était désormais établie. Notons que le FPLP-CG n’avait utilisé ses armes jusqu’à présent que pour intimider et persécuter les résidents du camp, sans jamais affronter l’opposition armée.

A partir du 12 décembre 2012, le régime interdit dans un premier temps l’entrée de camions transportant des matériaux. Le lendemain, une frappe visa l’hôpital Al-Bassel puis, le 16 décembre 2012, une nouvelle frappe aérienne cibla la mosquée Abd Al-Qader Al-Hussaini et l’école attenante, qui abritaient plusieurs centaines de réfugiés des quartiers avoisinants, tuant 200 personnes dans ce qui fut appelé le « massacre du MiG » ou « massacre Abdul Qader Al-Hussaini ». [3]

Dès le lendemain, des centaines de combattants de l’Armée Syrienne Libre et de Jabhat al-Nusra prirent possession de Yarmouk, repoussant le FPLP-CG et ses alliés vers l’extrémité Nord du camp, déclarant celui-ci « zone libérée ». Le régime bombarda alors massivement le camp, poussant 80% de ses résidents, Palestiniens comme déplacés internes, à fuir Yarmouk vers Qudseya et Sehnaya. [4] Les factions affiliées à l’ALS étaient alors Suqur Al-Joulan, Ababil Hawran, Jund Allah, Saraya al-Beyt, Ahfad Aisha, Abu Al-Harith Joulani, Imam Thahabi, Shuhada Al-Nour…

Les factions Suqur al-Joulan et Ababil Hauran entreprirent le pillage des maisons des résidents refusant de quitter Yarmouk tout en squattant avec leurs familles les logements vides, créant des tensions entre les résidents et les factions présentes, tandis que Jabhat al-Nusra allaient instaurer progressivement la loi islamique et persécuter les activistes Palestiniens.

[1] Mohanad Hage Ali, Kill List, Carnegie Middle East Center, 14 mai 2018, accessible à https://carnegieendowment.org/middle-east/diwan/2018/05/kill-list?lang=en

[2] Mamoon Alabbasi, How did Hamas’s military expertise end up with Syria’s rebels?, Middle East Eye, 23 mai 2015, accessible à https://www.middleeasteye.net/news/how-did-hamass-military-expertise-end-syrias-rebels

[3] Action Group For Palestinians in Syria, 9 Years On, Palestinians of Syria Remember Tragic ‘Mig Massacre’ in Yarmouk Camp, 16 décembre 2022, accessible à https://www.actionpal.org.uk/en/post/13709/articles/9-years-on-palestinians-of-syria-remember-tragic-mig-massacre-in-yarmouk-camp

[4] Al-Arabiya, (ARABE) The Military Council of the Free Army storms the Yarmouk camp, 17 Décembre 2012, accessible àhttps://www.alarabiya.net/articles/2012/12/17/255640

Carte n°5 : Yarmouk – Zones d’influences au milieu de l’année 2013

Année 1 du siège

Carte n°6 : Yarmouk – Zones d’influences au milieu de l’année 2014

Année 2 du siège

2015 – 2016 : La Submersion. Les takfiris s’engouffrent dans Yarmouk

Le 15 janvier 2015 des activistes lancèrent l’appel à l’aide « Sauvez les Palestiniens de Syrie », exigeant de l’OLP, de l’ONU et du Croissant Rouge qu’ils assument leurs responsabilités et interviennent pour mettre fin au siège imposé depuis 546 jours aux résidents de Yarmouk ou qu’ils obtiennent à minima l’ouverture d’un corridor humanitaire permettant aux civils qui le souhaitent de quitter les différents camps assiégés par le régime. [1] [2] Dans le même temps de nouvelles escarmouches entre le PFLP-CG et Aknaf Beit al-Maqdis entre la rue de Palestine et la place Al-Rijeh entrainèrent une nouvelle fois la suspension de l’aide humanitaire, des civils étant régulièrement pris pour cibles par des snipers. [3] [4]

Le 19 janvier sept brigades affiliées à l’ASL (Jaysh al-Islam, Ajnad al-Sham, Ahrar al-Sham, Aknaf Beit al-Maqdis, Quwaat al-Islah, Al-Hahy’a Al-Shara’iya Fiy Janub Dimashq, Muqatilu Al-Hajar Al-Aswad…) diffusèrent un communiqué menaçant le régime d’une réponse militaire d’ampleur si celui-ci envahissait le camp de Yarmouk, comme le laissaient suggérer des déclaration dans la presse libanaise évoquant la mise sur pieds d’une brigade prévue à cet effet, « Al-Yarmouk Brigade ». [5]

Le 26 Janvier Jabhat Al-Nusra exécuta un troisième résident du camp accusé de « blasphème ». [6]

Fin Janvier, les enfants de Yarmouk organisèrent une manifestation devant le Centre de Soutien à la Jeunesse sous le titre « Un Cri d’Enfant » pour appeler à la levée du siège, alors que le Fatah était décrié pour avoir organisé l’anniversaire de son mouvement dans un restaurant à quelques kilomètres de Yarmouk et que plus d’une centaine de résidents du camp étaient touchés par une épidémie de jaunisse. [7]

Le 11 mars 2015, le régime permit à un convoi humanitaire mené par le responsable de l’UNRWA Pierre Krahenbuhl d’entrer dans le camp après plus de trois mois d’interruption. [8] [9]

Le 30 mars 2015, le leader du Hamas Yahya Hourani (Abu Suhaib) fut tué par un sniper, conduisant à l’arrestation de membres de l’EI par Aknaf Beit al-Maqdis. Cet événement allait être l’élément déclencheur justifiant l’attaque de l’EI contre Yarmouk le lendemain, offensive au cours de laquelle un millier de combattants de l’EI s’empara du camp depuis Al-Hajar al-Aswad avec l’aide de Jabhat al-Nosra, qui lui céda les secteurs sous son contrôle. Trois-cent combattants de Jabhat al-Nosra venaient en effet de rompre leur alliance avec Aknaf Beit al-Maqdis et de rejoindre l’EI. [10] [11]

Après un premier assaut manqué le 1er avril 2015, au cours duquel l’EI assiégea l’Office de la Diaspora (Maktab al-Shatat) tenu par Aknaf Beit al-Maqdis, la confrontation se porta durant deux jours le long des rues Nouh Ibrahim et ‘Atta az-Zeer où l’EI fit face à la fois à Aknaf Beit al-Maqdis et à Jaysh al-Islam. L’EI s’empara finalement de 90% du camp le 4 avril, entraînant l’utilisation par le régime de 13 barils d’explosifs en quelques jours, alors que seuls 2 barils avaient été utilisés jusque-là sur Yarmouk depuis le début des hostilités. Aknaf Beit al-Maqdis fut alors acculé sur une étroite bande au centre du camp, tandis que le FPLP-CG et Fatah al-Intifada en profitèrent pour s’emparer du périmètre situé entre le district de la Municipalité et la mosquée Rujula. [12] [13]

Le 6 avril 2015, Aknaf Beit al-Maqdis regroupa ses forces au Sud du camp et lança un assaut contre l’EI, reprenant temporairement la zone du Centre Culturel, la rue du Maroc, la rue Al-Ja’ouneh et le cimetière des martyrs, contrôlant momentanément 40% du camp. [14]

Le 7 avril 2015, un cessez-le-feu fut adopté, l’EI contrôlant finalement 95% du camp. Durant l’assaut, 5 civils avaient été tués dans les affrontements, 3 avaient été tué par les bombardements, tandis que 2 avaient été décapités par l’EI et un onzième tué par un tir de sniper de l’EI. De son côté, l’EI avait perdu 40 de ses combattants.

Le 8 avril 2015, 14 factions Palestiniennes se réunirent pour tenter une alliance avec les forces du régime contre l’EI, mais seules les factions pro-Assad acceptèrent alors de s’associer au régime.

Le 12 avril 2015, l’Armée Syrienne Libre et Jaysh al-Islam lancèrent une offensive contre l’EI est récupérèrent la rue Al-Zeen située entre Yalda et Al-Hajar al-Aswad, mais ne s’aventurèrent pas dans Yarmouk, tandis que Ahrar al-Sham resta entièrement neutre vis-à-vis de l’EI.

Le 19 avril 2015, la plupart des combattants de Jabhat al-Nosra avaient rejoint l’EI et Aknaf Beit al-Maqdis annonça sa dissolution, ses combattants rejoignant les rangs du régime pour les uns, Jabhat al-Nosra pour les autres, tandis qu’une minorité se réfugia dans la zone de Yalda contrôlée par l’Armée Syrienne Libre. En dix jours d’affrontements, le régime avait lâché une trentaine de barils d’explosifs sur Yarmouk, entraînant des dommages sans précédent pour le camp et forçant 4000 de ses résidents à fuir vers les zones sous contrôle de l’ASL à Yalda (2500), Babbila (1000) et Beit Sahem (500). A l’issue des combats, l’EI contrôlait 80% du camp et on comptabilisait 23 réfugiés Palestiniens tués depuis le début du mois. [15] [16] [17]

Le 22 avril 2015, l’EI se replia sur son bastion de Al-Hajar al-Aswad et laissa la gestion du camp à Jabhat al-Nusra et à Ahrar al-Sham. [18] En réalité, la frontière entre l’EI et Jabhat al-Nusra était extrêmement poreuse et rien ne permettait alors de distinguer clairement les militants de l’un et de l’autre groupe. En juin 2015, environ 75 enfants de 7 à 13 ans furent recrutés par Jabhat al-Nusra et entraînés au combat par l’EI à Al-Hajar al-Aswad avant d’être utilisés comme petites mains pour diverses tâches militaires incluant l’observation des mouvements ennemis depuis les checkpoints et des opérations-suicide. [19]

Le 25 décembre 2015, un premier accord fut signé entre le régime et l’EI prévoyant l’évacuation de ses combattants blessés depuis le district voisin de Al-Qadam vers d’autres régions de Syrie. [20]

Fin 2015, il ne restait que 14 000 résidants à Yarmouk, tandis qu’une épidémie de typhus se répandait dans la camp.

[1] Action Group for Palestinians in Syria, Palestinian Activists Launch a Campaign Titled #Save_Palestinians_of_Syria, 15 Janvier 2015, accessible à http://actionpal.org.uk/en/post/254/action-group-for-palestinians-of-syria/palestinian-activists-launch-a-campaign-titled-save-palestinians-of-syria

[2] Action Group for Palestinians in Syria, Civil Committees at the Yarmouk Camp Launch a Distress Call, After the Siege Victims Number Raised to (160), 15 Janvier 2015, accessible à http://actionpal.org.uk/en/post/257/action-group-for-palestinians-of-syria/civil-committees-at-the-yarmouk-camp-launch-a-distress-call-after-the-siege-victims-number-raised-to-160

[3] Action Group for Palestinians in Syria, Shooting and Recriminations Causing Aids Suspension at the Besieged Yarmouk, 11 Janvier 2015, accessible à http://actionpal.org.uk/en/post/226/action-group-for-palestinians-of-syria/shooting-and-recriminations-causing-aids-suspension-at-the-besieged-yarmouk

[4] Action Group for Palestinians in Syria, Violent Clashes Suspend Aids Distribution at the Yarmouk Camp, 18 Janvier 2015, accessible à http://actionpal.org.uk/en/post/278/action-group-for-palestinians-of-syria/violent-clashes-suspend-aids-distribution-at-the-yarmouk-camp

[5] Action Group for Palestinians in Syria, Armed Brigades Threaten to Ignite the Southern Region in Case of Breaking Into the Yarmouk Camp, 19 Janvier 2015, accessible à http://actionpal.org.uk/en/post/285/action-group-for-palestinians-of-syria/armed-brigades-threaten-to-ignite-the-southern-region-in-case-of-breaking-into-the-yarmouk-camp

[6] Action Group for Palestinians in Syria, Al Nusra Front Executes a Young Man in the Yarmouk Camp in Charges of Cursing the Name of God, 26 Janvier 2015, accessible à http://actionpal.org.uk/en/post/340/action-group-for-palestinians-of-syria/al-nusra-front-executes-a-young-man-in-the-yarmouk-camp-in-charges-of-cursing-the-name-of-god

[7] Action Group for Palestinians in Syria, “A Child’s Scream » a Protest for the Yarmouk Children to take the Siege Away, 30 Janvier 2015, accessible à http://actionpal.org.uk/en/post/371/action-group-for-palestinians-of-syria/a-child-s-scream-a-protest-for-the-yarmouk-children-to-take-the-siege-away

[8] Action Group for Palestinians in Syria, The Civil Council in the Yarmouk Camp Demands the PLO to assume its responsibilities towards the camp, 3 Janvier 2015, accessible à http://actionpal.org.uk/en/post/161/action-group-for-palestinians-of-syria/the-civil-council-in-the-yarmouk-camp-demands-the-plo-to-assume-its-responsibilities-towards-the-camp

[9] Middle East Eye, Aid convoy enters Damascus camp for first time in months, 11 Mars 2015, accessible à https://www.middleeasteye.net/news/aid-convoy-enters-damascus-camp-first-time-months

[10] Valentina Napolitano, Yarmouk: a War of All Against All, Noria Research, 28 Mai 2015, accessible à https://noria-research.com/yarmouk-a-war-of-all-against-all/

[11] The Syrian Observer, Aknaf Commander: Nusra Front, Regime Complicit in ISIS Capture of Yarmouk, Zaman al-Wasl, 8 Avril 2015, accessible à https://syrianobserver.com/syrian-actors/aknaf_commander_nusra_front_regime_complicit_isis_capture_yarmouk.html

[12] Middle East Eye, IS takes control of 90 percent of Yarmouk, called ‘hell hole’ by UN official, 4 Avril 2015, accessible à https://www.middleeasteye.net/news/takes-control-90-percent-yarmouk-called-hell-hole-un-official

[13] Hanadi Al-Khatib, (ARABE) ISIS releases video on Yarmouk camp, the endless victim, Al-Arabiya, 28 Avril 2015, accessible à https://shorturl.at/BUSy8

[14] Tariq Hammoud, Situation Assessment: Yarmouk Refugee Camp: What Happens Next?, Al-Zaytuna Centre for Studies & Consultations, 25 Mai 2015, accessible à https://eng.alzaytouna.net/2015/05/25/situation-assessment-yarmouk-refugee-camp-what-happens-next/

[15] Ramzy Baroud, My missing family in Syria: Naming and shaming in Yarmouk, Middle East Eye, 13 Avril 2015, accessible à https://www.middleeasteye.net/opinion/my-missing-family-syria-naming-and-shaming-yarmouk

[16] Linah Alsaafin, Unravelling the media spin on Yarmouk, Middle East Eye, 17 Avril 2015, accessible à https://www.middleeasteye.net/news/unravelling-media-spin-yarmouk

[17] Abdulrahman al-Masri, ‘ISIS and Nusra are one’ in Yarmouk Camp, Middle East Monitor, 19 Avril 2015, accessible à https://www.middleeastmonitor.com/20150419-isis-and-nusra-are-one-in-yarmouk-camp/

[18] Hamza Al-Mustafa, Yarmouk: the victim of IS-Nusra power struggles, The New Arab, 22 Avril 2015, accessible à https://www.newarab.com/opinion/yarmouk-victim-nusra-power-struggles

[19] Palestine Square, Lost Childhood: Palestinian Child Soldiers in Yarmouk, Institute for Palestine Studies, 21 Septembre 2015, accessible à https://www.palestine-studies.org/en/node/232371

[20] Kate Ng, Syria and Isis reach deal to end Yarmouk camp siege, as wounded militants begin safe passage back to strongholds, The Independent, 25 Décembre 2015, accessible à https://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/syria-and-isis-reach-deal-to-end-yarmouk-camp-siege-as-wounded-militants-begin-safe-passage-back-to-strongholds-a6786031.html

Carte n°7 : Yarmouk – Zones d’influences au début de l’année 2015

Carte n°8 : Yarmouk – Offensive de l’Etat Islamique et de Jabhat al-Nusra, Avril 2015

2016 – 2018 : Le Délitement. Les rapaces se disputent la carcasse.

Dès janvier 2016, les relations entre l’EI et Jabhat al-Nosra commencèrent à se détériorer. Ce dernier était alors cantonné à l’Ouest du camp, entre la 30ème rue et la rue Saffouriyeh.

Courant 2016, le millionnaire Qashlak signa un accord avec Fatah al-Intifada pour que le « Mouvement Palestine Libre » obtienne le contrôle d’un segment de la ligne de front géré par celui-ci, en échange d’une substantielle somme d’argent. Il espérait ainsi augmenter le pouvoir symbolique de ses mercenaires, désormais en première ligne dans la lutte contre l’EI.

Le 8 juillet 2016, le régime débuta des négociations avec Jabhat al-Nusra en vue de son évacuation de Yarmouk vers Idleb. A la fin du mois, Jabhat al-Nusra changeait de nom et devenait Fatah al-Sham.

Dès les mois suivant, l’EI assiégea Fatah al-Sham et lança un ultimatum aux résidents de la zone sous son contrôle les enjoignant de quitter les lieux avant sa fermeture complète. Dans le même temps, l’EI fit évacuer la zone située autour de la rue Al-‘Urubeh situé entre Yalda et al-Hajar al-Aswad dans le cadre d’affrontements avec l’ASL et Jaysh al-Islam. [1]

L’EI transforma ainsi Yarmouk en camp retranché, tandis que la paranoïa augmentait de part et d’autre. Le 4 décembre 2016, Fatah al-Sham exécuta Mohamed Aboud dit « Abu Ali Khamseen », accusé de collaborer avec l’EI.

A la fin 2016, 6250 résidents supplémentaires avaient fui Yarmouk.

En janvier 2017, Fatah al-Sham devint Hayat Tahrir al-Sham (HTS).

Le 8 mai 2017 une cinquantaine de membres de HTS, dont 19 blessés, furent évacués en ambulances et en bus vers Idleb dans le cadre de « l’Accords des Quatre villes » initié l’année précédente entre le groupe et le régime. Trois mois plus tard, ce dernier établit une « nouvelle zone militaire » le long de son front avec HTS, entraînant l’évacuation de plusieurs familles et la reconversion de leurs logements en positions militaires, tandis qu’une mission du Croissant Rouge Syrien escortée par le PFLP-CG fut autorisée à entrer dans le secteur tenu par HTS le 7 septembre. Par ailleurs, une trêve était alors en vigueur entre le régime et l’EI. [2] [3]

Le 14 septembre 2017, l’EI imposa un nouveau siège aux résidents vivant dans le secteur contrôlé par HTS, qui comptait alors environs 200 combattants, avant de lancer un assaut contre Jaysh al-Islam et les factions de l’ASL (Liwa Sham al-Rasul, Jaysh al-Ababil, Kataeb al-Shuhada al-Islam, L’Union Islamique Ajnad al-Sham) au Sud de Yarmouk, capturant le secteur de l’hôpital en construction. Au même moment, Jaysh al-Islam et l’ASL signèrent une trêve avec le régime dans le cadre des accords de « dé-escalade » adoptés au Caire sous l’égide de l’Egypte et de la Russie, et qui rentra en vigueur le 12 octobre. Le lendemain le régime relança une série de frappes aériennes contre les positions de l’EI à Al-Hajar al-Aswad, suivies d’escarmouches entre Jaysh al-Islam et l’EI au niveau du checkpoint de ‘Urubeh-Beirut entre Yalda et Yarmouk. [4] [5]

Le 11 novembre 2017, le régime menaça l’ASL de fermer le checkpoint de Babbila-Sidi Miqdad, seule liaison entre les zones sous contrôle du régime et la zone sous contrôle de l’ASL si celle-ci ne fermait pas le checkpoint ‘Urubeh-Beirut constituant le seul accès vers le camp de Yarmouk, que les rebelles avaient rouvert depuis le 4 novembre mais qui ne pouvait être utilisé que par 10 à 15% de la population de Yarmouk, alors estimée à moins de 8000 personnes. L’ASL ferma donc momentanément l’accès vers la zone contrôlée par l’EI, mais le rouvrit dans les heures suivantes sous la pression des résidents de Yarmouk réfugiés à Yalda. En réaction, le régime mit à exécution ses menaces et ferma le checkpoint de Babbila-Sidi Miqdad le 12 novembre, faisant grimper de 20% les prix dans l’enclave. Celui-ci ne devait être rouvert que deux mois plus tard. [6] [7]

Le 8 décembre 2017, les milices pro-régime lançèrent une attaque pour récupérer le district Al-Rijeh sous contrôle de HTS, en vain. Le même mois, l’EI obtint la signature d’un premier accord pour l’évacuation de 19 de ses combattants blessés vers le désert et vers la Turquie, en échange de l’assouplissement du siège imposé au district sous le contrôle d’HTS pour permettre l’entrée de nourriture. [8] [9]

Le 13 décembre, l’EI lança une attaque à Tadamon et s’empara pour la première fois depuis 2015 d’un bloc d’immeubles sous contrôle de la milice pro-régime Difa’a al-Watani, avant que celle-ci ne la récupère et ne bombarde Yarmouk pendant plusieurs semaines en représailles. [10]

A la fin 2017, il ne restait plus que 6000 résidents à Yarmouk.

[1] Action Group for Palestinians in Syria, ISIS evacuates one of Yarmouk Streets from its Residents and starts Violent Clashes with the Opposition, 16 Août 2016, accessible à https://www.actionpal.org.uk/en/post/3762/news-and-reports/isis-evacuates-one-of-yarmouk-streets-from-its-residents-and-starts-violent-clashes-with-the-opposition

[2] Al-Jazeera, Deal sees Nusra fighters evacuate from Syria’s Yarmouk, 7 Mai 2017, accessible à https://www.aljazeera.com/news/2017/5/7/deal-sees-nusra-fighters-evacuate-from-syrias-yarmouk

[3] Zaman Al-Wasl, Wounded Nusra fighters evacuated from Yarmouk camp, 8 Mai 2017, accessible à https://en.zamanalwsl.net/news/article/25955

[4] The New Arab, Syrian rebel groups ‘agree to Damascus truce’ in Cairo, 12 Octobre 2017, accessible à https://www.newarab.com/news/syrian-rebel-groups-agree-southern-damascus-truce

[5] Tom Rollins, Escalation Threatens South Damascus “De-Escalation” Deal, Atlantic Council,  27 Octobre 2017, accessible à https://www.atlanticcouncil.org/blogs/syriasource/escalation-threatens-south-damascus-de-escalation-deal/

[6] Ammar Hamou & Madeline Edwards, A ‘war of crossings’ in south Damascus as checkpoint closure cuts off encircled districts, Syria Direct, 13 Novembre 2017, accessible à https://syriadirect.org/a-war-of-crossings-in-south-damascus-as-checkpoint-closure-cuts-off-encircled-districts/

[7] Siege Watch, Ninth Quarterly Report on Besieged Areas in Syria, Janvier 2018, accessible à https://siegewatch.org/wp-content/uploads/2015/10/pax-tsi-siegewatch-9.pdf

[8] Zaman Al-Wasl, 19 ISIS fighters evacuated by regime from southern Damascus, some reached Turkey, 14 Décembre 2017, accessible à https://en.zamanalwsl.net/news/article/31704

[9] Action Group for Palestinians in Syria, ISIS allows the besieged residents of west Yarmouk camp to enter food, 29 Décembre 2017, accessible à https://www.actionpal.org.uk/en/post/6375/articles/isis-allows-the-besieged-residents-of-west-yarmouk-camp-to-enter-food

[10] Siege Watch, Ninth Quarterly Report on Besieged Areas in Syria, Janvier 2018, accessible à https://siegewatch.org/wp-content/uploads/2015/10/pax-tsi-siegewatch-9.pdf

Carte n°9 : Yarmouk – Zones d’influences entre 2015 et 2016

Carte n°10 : Yarmouk – Zones d’influences entre 2016 et 2017

2018 : La Liquidation. Les islamistes partent faire un tour en bus.

Le 5 janvier 2018, Jaysh al-Islam tenta une dernière offensive contre l’EI depuis Yalda, sans succès.

Entre 2016 et 2018, l’EI avait progressivement imposé son totalitarisme et sa violence aux résidents du camp, interdisant la consommation ou la vente de cigarettes, l’allaitement au sein, les applaudissements pendant les mariages, les jeux de ballons, la prise de photographies ou la vente de bois pour le chauffage, tout en imposant des codes vestimentaires stricts, pour les femmes comme pour les hommes (longueur du pantalon). L’EI fit également fermer toutes les écoles à l’intérieur du camp (3 août 2016) et empêcha toute activité scolaire échappant à son contrôle, tandis qu’un couvre-feu était imposé durant les heures de prières, pour lesquelles la présence à la mosquée était obligatoire. Après avoir constaté que les résidents avaient contourné la fermeture des écoles du camp, l’EI interdit à tous les étudiants de fréquenter les écoles alternatives des villes adjacentes (6 mars 2018), puis obligea tous les résidents à assister à des cours d’apprentissage de la Sharia (16 avril 2018). Les personnes enfreignant ces règles étaient flagellées, mutilées, voire exécutées : Musa al-Badawi, accusé d’être un espion au service de HTS (27 février 2018), un homme non identifié accusé d’avoir insulté Allah (13 avril 2018), Khaled Adnan Ahmed, accusé d’avoir combattu auprès du régime (23 avril 2018).

En avril, sentant la pression de la part du régime augmenter, l’EI évacua le quartier du cimetière des martyrs suite à des affrontements avec le « Mouvement Palestine Libre » pour le transformer en zone de défense militaire. [1] [2]

Le 19 avril 2018, le régime Syrien et ses alliés (PFLP-CG, Fatah al-Intifada, Liwa al-Quds, Difa’a Al-Watani, Jaysh At-Tahrir Al-Falasteen, Quwaat Der’a Al-Qalamun…) lançèrent une vaste offensive pour récupérer la périphérie de Damas. Celle-ci fut accompagnée d’un bombardement intensif et frénétique des secteurs de Yarmouk, Tadamon, Hajar al-Aswad et Yalda de la part de l’aviation russe (400 frappes aériennes et l’utilisation massive de barils explosifs, d’obus de mortiers et missiles sol-sol, incluant les destructeurs UR-77 ‘Serpents Gorynysh’  russes). 5000 résidents de Yarmouk fuirent vers la zone de Yalda-Babbila, laissant moins de 1200 personnes sur place. [3]

Le lendemain, l’aviation frappa violemment les positions de Jaysh al-Islam situées entre Yalda et Hajar al-Aswad, forçant celle-ci à se retirer de sa ligne de front avec l’EI et à laisser les forces du régime s’introduire dans la faille. Simultanément, les forces du régime prirent en étau le camp et tentèrent à plusieurs reprises de s’emparer du secteur tenu par HTS avec le renfort d’armes lourdes et de blindés, mais furent tenus en échec. L’EI pour sa part combattit avec acharnement sur tous les fronts, à la fois contre HTS et contre les forces du régime et ses alliés. [4]

Le 27 avril, un premier groupe de 15 combattants blessés de Jaysh al-Islam obtint son évacuation vers le Nord de la Syrie dans le cadre d’un accord transitoire avec le régime, alors que les négociations se poursuivaient pour l’évacuation complète de la zone. En parallèle, les forces alliées du régime effectuèrent 165 frappes aériennes le même jour sur la zone, incendiant une centaine d’habitations à Yarmouk et Tadamon.

Le 29 avril, un accord entre le régime et HTS d’une part, et avec l’ASL d’autre part prévit l’évacuation imminente de HTS, Jaysh al-Islam, Aknaf Beit al-Maqdis, Sham al-Rasul et Jaysh al-Ababil.  Le checkpoint de ‘Uruba-Beirut fut transféré aux forces russes, tandis que celui de Babbila-Sidi Miqdad fut partiellement rouvert pour le passage de civils.

Le 1er mai 2018, les 150 combattants de HTS et leurs familles (425 personnes) furent évacués de Yarmouk en premier depuis l’entrée Nord du camp, suivi du 3 au 7 mai des 1700 combattants des factions de l’ASL, de Jaysh al-Islam, et de Aknaf Beit al-Maqdis accompagnés de leurs familles (9250 personnes sur les 17 000 prévues), évacués depuis Yalda, Babbila et Beit Sahem vers Al-Bab (Idleb) en 7 convois de 61 bus au total. En parallèle de ces opérations d’évacuation, le régime poursuivit le bombardement intense des positions de l’EI. [5] [6] [7] [8] [9] [10]

Du 8 au 13 mai, une vingtaine de résidents de Yarmouk cherchant à fuir les bombardements furent retenus durant plusieurs jours par les forces gouvernementales au checkpoint ‘Uruba-Beirut, la plupart étant âgés de plus de 60 ans, avant que les milices en charge du checkpoint n’ouvrent le feu sur la foule, tuant 3 personnes.

Enfin un nouvel accord, secret celui-ci, entre l’EI et le régime planifia à son tour l’évacuation de ses 1200 combattants encore stationnés à Yarmouk, ainsi que leurs familles (600 personnes). L’évacuation fut finalement réalisée le 20 mai 2018 à l’aide d’une cinquantaine de bus transportant l’EI vers le désert à l’Est de Suwayda. Le régime reprenait ainsi le contrôle total sur le camp de Yarmouk et ses alentours après plus de 5 ans et 10 mois d’affrontements et de bombardements laissant 80% des immeubles et infrastructures du camp détruits. [11] [12]

Le 22 mai 2018, l’ONU indiqua qu’un accord auquel elle n’avait pas été associée avait conduit au déplacement de 400 réfugiés Palestiniens vers la province de Hama.

Aux mois de mai et juin, l’armée du régime organisa le pillage systématique des infrastructures et immeubles du camp sous la supervision de la tristement célèbre « Quatrième Division », procédant à l’arrestation et l’exécution sommaire de plusieurs résidents tentant de s’y opposer, incluant deux enfants : Rami Mohammed Salman (15 ans) au niveau du checkpoint « Tabah » et Mahmoud Bakr dans la rue Al-‘Urubeh[13]. Certains immeubles furent également incendiés après avoir été pillés, comme dans les rues Lubya, Safad et Al-Ja’ouneh[14] [15]. Par ailleurs, elle imposa le paiement de fortes sommes d’argent (50 à 150 dollars) pour le passage des checkpoints, des centaines de résidents étant ainsi empêchés d’accéder à leurs logements[16]. Dans le même temps, le régime interdit aux résidents de récupérer les corps d’au moins une trentaine de civils tués durant les bombardements et laissés dans les décombres[17]. Ce n’est qu’en 2019 que le régime allait autoriser les résidents à revenir à Yarmouk.

En juillet, le Groupe d’Action pour les Palestiniens de Syrie comptabilisait 1392 victimes parmi ses résidents Palestiniens au cours de la période 2011-2018, leur mort résultant à la fois des bombardements, du siège, des tirs de snipers ou de la torture dans les prisons du régime. [18]

C’est ainsi que Yarmouk fut « libéré » par le régime d’Assad, grand défenseur de la cause Palestinienne…

[1] Action Group for Palestinians in Syria, Fighting between ISIS and the Free Palestine Movement on the Martyrs’ sector axis in Yarmouk camp, 1 Mars 2018, accessible à https://www.actionpal.org.uk/en/post/6700/action-group-for-palestinians-of-syria/fighting-between-isis-and-the-free-palestine-movement-on-the-martyrs-sector-axis-in-yarmouk-camp

[2] Waleed Abu al-Khair, ISIS in Yarmouk prepares for Syrian regime onslaught, Diyaruna, 13 Avril 2018, accessible à https://diyaruna.com/en_GB/articles/cnmi_di/features/2018/04/13/feature-03

[3] Action Group for Palestinians in Syria, Victims and large-scale destruction after the hysterical bombardment of Yarmouk camp, 21 Avril 2018, accessible à https://www.actionpal.org.uk/en/post/6981/victims-and-large-scale-destruction-after-the-hysterical-bombardment-of-yarmouk-camp

[4] Siege Watch, Tenth Quarterly Report Part 2 – The Culmination of “Surrender or Die”, Mai 2018, accessible à https://siegewatch.org/wp-content/uploads/2015/10/PAX-report-Siege-Watch-10b.pdf

[5] Action Group for Palestinians in Syria, Explosive barrels and air raids on Yarmouk camp, and violent clashes on all its axes, 7 Mai 2018, accessible à https://www.actionpal.org.uk/en/post/7074/articles/explosive-barrels-and-air-raids-on-yarmouk-camp-and-violent-clashes-on-all-its-axes

[6] Maureen Clare Murphy, Armed insurgents evacuate Yarmouk, The Electronic Intifada, 1 Mai 2018, accessible à https://electronicintifada.net/blogs/maureen-clare-murphy/armed-insurgents-evacuate-yarmouk

[7] Ammar Hamou, Mohammed Al-Haj Ali & Tariq Adely, Parallel evacuations to begin in two besieged pockets as Syrian government moves to clear remaining rebels from capital, Syria Direct, 30 Avril 2018, accessible à https://syriadirect.org/parallel-evacuations-to-begin-in-two-besieged-pockets-as-syrian-government-moves-to-clear-remaining-rebels-from-capital/

[8] Ersin Celik, Evacuation convoy from Syria’s Yarmouk reaches Al-Bab, Yeni Safak, 4 Mai 2018, accessible à https://www.yenisafak.com/en/world/evacuation-convoy-from-syrias-yarmouk-reaches-al-bab-3360548

[9] Burak Karacaoglu, Esref Musa & Mahmoud Barakat, 4th convoy leaves Syria’s Yarmouk under evacuation deal, Anadolu Agency, 7 Mai 2018, accessible à https://www.aa.com.tr/en/middle-east/4th-convoy-leaves-syrias-yarmouk-under-evacuation-deal/1137840

[10] Ersin Celik, Evacuations remain underway from Syria’s Homs, Yarmouk, Yeni Safak, 9 Mai 2018, accessible à https://www.yenisafak.com/en/world/evacuations-remain-underway-from-syrias-homs-yarmouk-3380935

[11] Middle East Eye, Syrian army moves into Yarmouk after IS evacuation deal, 21 Mai 2018, accessible à https://www.middleeasteye.net/news/syrian-army-moves-yarmouk-after-evacuation-deal

[12] The Defense Post, Syrian army says Damascus ‘completely secure’ after taking Yarmouk camp from ISIS, 21 Mai 2018, accessible à https://thedefensepost.com/2018/05/21/syria-army-control-damascus-isis-ousted/

[13] Palestinian Refugees Portal, (ARABE) Camp de Yarmouk : Un deuxième enfant tué par les forces du régime après s’être opposé au « pillage », 26 Mai 2018, accessible à https://shorturl.at/eNev0

[14] Action Group for Palestinians in Syria, (ARABE) 70 % des bâtiments et des quartiers du camp de Yarmouk sont détruits ; les pilleurs volent les câbles électriques souterrains, 29 Mai 2018, accessible à http://www.actionpal.org.uk/ar/post/9879

[15] Palestinian Refugees Portal, (ARABE) Camp de Yarmouk : Incendie des maisons et pillage du sous-sol, 4 Juin 2018, accessible à https://shorturl.at/D6iWk

[16] Action Group for Palestinians in Syria, (ARABE) « Des sucreries pour la libération », un nouveau mode de chantage de l’armée du régime contre les résidents du camp de Yarmouk, 31 Mai 2018, accessible à http://www.actionpal.org.uk/ar/post/9899

[17] Palestinian Refugees Portal, (ARABE) Camp de Yarmouk : Des corps sous les décombres des installations de l’UNRWA… Pourquoi n’intervenez-vous pas pour les récupérer? , 30 Mai 2018, accessible à https://shorturl.at/f0KaG

[18]

Photos des différentes opérations d’évacuation de HTS, des factions associées à l’ASL et de l’Etat Islamique.

Carte n°11 : Yarmouk – Zones d’influences entre 2017 et mai 2018

Carte n°12 : Yarmouk – Zones d’influences entre le 2 et le 7 mai 2018

Carte n°13 : Yarmouk – Zones d’influences entre le 10 et le 21 mai 2018

Carte n°14 : Yarmouk – Reprise totale de Yarmouk par le régime le 21 mai 2018

2024 : Le Redressement. Yarmouk ville fantôme.

Au cours des cinq années suivantes seuls 15 300 résidents, dont 80% étaient des réfugiés Palestiniens, purent rentrer chez eux (4500 familles) ou tout au moins dans les décombres de leurs anciennes habitations, après avoir sollicité une autorisation au retour. Cette autorisation était accordée avec parcimonie aux seules personnes dont l’habitation était jugée viable et qui pouvaient justifier d’un acte de propriété ou autre document justifiant de leur résidence antérieure. Etaient exclus de la procédure les personnes précédemment arrêtées, condamnées, appelées pour la conscription militaire ou ayant eu des liens avec les factions armées ayant contrôlé le territoire, ce dernier critère étant entièrement subjectif et laissé à l’appréciation des agents de la Quatrième Division.

Le Comité de Supervision des Réhabilitation estima que 40% des immeubles étaient en bon état, 40% nécessitaient des renforcements et réparations, tandis que 20% étaient complètement détruits et nécessitaient déblayage et reconstruction.

La gestion du camp fut confiée à « l’Autorité Générale pour les Réfugiés Palestiniens Arabes », un organe sous l’égide de la branche de Yarmouk du parti Ba’ath, dirigée par Ali Mustafa. Celle-ci fut régulièrement critiquée par les résidents pour son inaction et sa corruption, l’un des principaux problèmes étant lié aux prix prohibitifs de l’immobilier et à l’absence de réhabilitation des infrastructures vitales (eau, électricité, évacuation des eaux usées). Les 12 employés de la municipalité furent notamment accusés par les résidents de chantage et de corruption.

A la chute du régime en décembre 2024, on comptabilisait 736 Palestiniens de Yarmouk faits prisonniers et 1530 victimes tuées sur les 1600 Palestiniens de Syrie faits prisonniers et 3 685 tués depuis 2011. Parmi ceux-ci, 94 membres affiliés au Hamas avaient été exécutés, incluant Mamoun Al-Jaloudi. [1] [2]

* * *

Yarmouk est un symbole. Le régime d’Assad doit être tenu pour principal responsable de l’annihilation du plus important camps de réfugiés Palestiniens de Syrie, dont l’agression violente à partir du deuxième semestre de 2012 se plaça dans la continuité de celle des camps Palestiniens de Dera’a et Latakia quelques mois plus tôt. Contrairement à ce que la propagande du régime n’a cessé d’affirmer pour discréditer les mouvements populaires d’opposition et la rébellion armée, la propagation des groupes takfiri/jihadistes n’a pas été la cause et la justification de son déploiement de violence, mais sa conséquence : à Yarmouk, Jabhat al-Nusra – auquel il faut associer ses rejetons Fatah al-Sham et Hayat Tahrir al-Sham – et l’Etat Islamique ont profité du vide et du chaos laissé par les bombardements aveugles de la fin 2012, puis de l’épuisement des milices d’auto-défense Palestiniennes anti-Assad au cours des deux années de siège qui ont suivi, pour s’emparer d’un camp transformé en ville fantôme sans y rencontrer de résistance. Et lorsque leur tâche consistant à achever toute possibilité de résistance ultérieure était accomplie, le régime les a systématiquement déplacé ailleurs en bus afin qu’ils puissent s’en prendre à d’autres poches rebelles ou communautés irréductibles, comme ce fut le cas pour les Druzes de Suwayda en juillet 2018. Tout au long du processus d’anéantissement de Yarmouk, les milices Palestiniennes loyales envers Assad ont fait la démonstration quant à elles de leur profonde corruption et de leur complicité abjecte avec les crimes du régime. Ce positionnement contraire aux intérêt des civils Palestiniens ne s’explique que par la volonté de ces factions de préserver leur existence et leur influence politico-militaire : aucune d’elles ne voulait subir le sort du Fatah d’Arafat et de ses fedayins. Leur survie dépendait du régime autant que la survie du régime dépendait de l’Iran et de la Russie. En s’alliant à ces derniers pour écraser Yarmouk, elles se sont placées au même niveau que le Hezbollah et les chabiha de Bachar, servant les intérêts de leurs maîtres plutôt que ceux du peuple. Paradoxalement les vrais défenseurs du peuple Palestinien de Yarmouk, membres des Comités de Coordination et des micro factions qui n’ont cédé ni face au régime ni face aux islamistes et se sont battus auprès des civils depuis l’intérieur du camp, ont pratiquement sombré dans l’oubli. A nous de restaurer leur mémoire.

Les peuples Palestiniens, Syriens, Libanais et Jordaniens ne font qu’un et tout ce qui les divise n’est que le résultat du colonialisme occidental et de ses manœuvres pour empêcher les forces progressistes Arabes de l’emporter sur les forces conservatrices. Le point de jonction des quatre peuples se situe sur les versants du Golan et aucune libération de l’un de ceux-ci ne se fera sans la libération de tous. A chacun de comprendre le sens de cette conclusion, à l’heure où l’armée coloniale sioniste s’empare des vallées du Litani et du Ruqqad après avoir annexé militairement celles du Jourdain et de l’Arabah.

[1] The New Arab, Nearly 4,000 Palestinians ‘killed’ in Syria’s brutal war, 28 Mars 2018, accessible à https://www.newarab.com/news/nearly-4000-palestinians-killed-syrias-brutal-war

[2] The New Arab, Assad’s regime executed dozens of Hamas members without trial, intelligence documents reveal, 7 Janvier 2025, accessible à https://www.newarab.com/news/dozens-hamas-members-executed-assads-syria-prisons

RAPPORTS SUR YARMOUK :

  • Palestinians of Syria, Between Bitterness of Reality and the Hope of Return – Action Group for Palestinians in Syria, Juin 2014.
  • Palestinians of Syria, The Bleeding Wound – Action Group for Palestinians in Syria, Février 2015
  • Yarmouk Siege has not ended – Action Group for Palestinians in Syria, 23 Juin 2015
  • Palestinians of Syria, Bloody Diary and Unheard Screaming – Action Group for Palestinians in Syria & Palestinian Return Center, Septembre 2015
  • Yarmouk, the Full Truth – Action Group for Palestinians in Syria, Juillet 2015.
  • Palestinians of Syria and The Closed Doors – Action Group for Palestinians in Syria, 2017
  • Status Report on Yarmouk Camp – The Carter Center, 14 Novembre 2017.
  • Yarmouk, The Abandoned Pain – EuroMed Monitor, Juillet 2018.
  • Yarmouk Camp set on Fire – Action Group for Palestinians in Syria, Democratic Republic Studies Center, Syrian Center for Media and Freedom of Expression, 22 Avril 2018.
  • Status Report on the Conditions of Yarmouk Camp 2024 – Action Group for Palestinians in Syria, Décembre 2024.

 

Ahmed Al-Sharaa se moque-t-il des Syriens ?

La chute du régime d’Assad le 8 décembre 2024 a été une incontestable libération pour des millions de Syriens, qui sont sortis de manière soudaine et inattendue de cinquante années de barbarie totalitaire ayant transformé la Syrie en un champ de ruines doublé d’un archipel concentrationnaire depuis lesquels plusieurs centaines de milliers de civils ont disparu ou été contraints à l’exil.

Une libération, pas une révolution

Dès le 9 décembre, Ahmed al-Sharaa s’est autoproclamé leader de la nouvelle Syrie, rejetant catégoriquement toute forme de partage du pouvoir, de décentralisation et de fédéralisme, tout en prenant soin de ne jamais employer le terme démocratie, avant de déclarer dans un entretien à Syria TV le 15 décembre – soit seulement une semaine après la chute d’Assad – qu’il était désormais « crucial d’abandonner la mentalité révolutionnaire ». Il est légitime de se demander alors : Quand est-ce que Al-Sharaa a été révolutionnaire ?

Le 29 décembre, Al-Sharaa affirmé qu’aucune élection ne pourrait se tenir avant quatre ans, ce qui est entendable au regard de la situation déplorable de la société civile syrienne, mais ne rassure pas du tout venant d’une personne qui rejette le concept même de démocratie, quelle que soit sa forme. Il a annoncé simultanément l’adoption à venir d’une nouvelle constitution lors d’une hypothétique conférence nationale du dialogue qui viendrait clore la période de transition. A ce stade, les plus optimistes attendaient encore de voir venir.

Le 29 janvier, Al-Sharaa a été nommé Président de la République Arabe Syrienne par le Commandement Général Syrien (incarné par lui-même) à l’occasion d’une « Conférence de la Victoire ». La constitution Syrienne et toutes les institutions héritées du parti Baath et de la dictature d’Assad ont été consécutivement abolies. Personne ne les regrettera.

Le 12 février, Al-Sharaa a constitué un comité préparatoire de 7 membres[1] pour organiser la Conférence Nationale du Dialogue, qui a été préparée en 10 jours et s’est ouverte le 24 février. Elle a réuni 600 personnes – dont un grand nombre avaient été invitées moins de deux jours plus tôt par sms – et a exclu toute représentation de l’Administration Autonome du Nord-Est Syrien et des Forces Démocratiques Syriennes. Les discussions n’ont duré qu’une journée et n’ont objectivement abouti sur rien, si ce n’est réaffirmer superficiellement les nécessités déjà formulées par tous : la justice transitionnelle, le respect des libertés publiques et politiques, le rôle des organisations de la société civile dans la reconstruction du pays, la réforme constitutionnelle et institutionnelle, le respect de la souveraineté nationale, le monopole d’Etat sur les armes. A cela s’est ajouté une déclaration symbolique condamnant l’incursion israélienne.

Le 2 mars, Al-Sharaa a constitué un comité de 5 membres[2] chargé de rédiger une proposition de constitution, qui a été élaborée en 10 jours et adoptée le 13 mars pour une période transitoire de 5 ans. Celle-ci impose que le président soit de confession musulmane et fait de la jurisprudence islamique un pilier du droit constitutionnel, tout en s’engageant à « protéger les minorités » comme s’y était par ailleurs engagé Bachar al-Assad. Quatre jours plus tard, plusieurs centaines de civils Alaouites étaient massacrés sur la côte.

Le 29 mars, Al-Sharaa a dissout le Gouvernement provisoire mené par le premier ministre Mohammed al-Bashir pour instituer à sa place un Gouvernement de Transition et nommer 23 ministres[3], dont neuf sont issus de HTS. La société civile insistait sur le respect de la diversité et les droits des femmes, Al-Sharaa a donc nommé la seule femme du gouvernement, également chrétienne, au poste de ministre des affaires sociales. Il aurait voulu se montrer cynique qu’il n’aurait pas mieux fait. Par ailleurs, tous les ministres sont désormais nommés directement par le président, tandis que la position de premier ministre a été supprimée. Précisons qu’un régime présidentiel sans premier ministre n’est pas très différent d’une monarchie.

En moins de trois mois, Ahmed al-Sharaa a donc réussi subtilement et sans opposition à s’imposer comme chef d’Etat, implémentant un régime présidentiel qu’on peut qualifier d’autocratique.

Une transition politique dans l’ombre des accords d’Astana

Depuis 1970 la Syrie a évolué sur les mêmes pas que son parrain russe. Quand on connaît bien le système de pouvoir russe et que l’on analyse le système Syrien sous Assad, on découvre les mêmes modes de prédation, de pillage et de corruption clanique, le même mépris cynique des élites loyalistes envers la majorité du peuple, la même politique d’abandon et d’appauvrissement volontaire de la province, mais aussi et enfin le même culte collectif du chef, quand bien même celui-ci a le charisme d’une huitre. Ironiquement, Assad et arrivé au pouvoir en même temps que Poutine, devenant à la fois sa copie et son disciple. Depuis le début de la révolution populaire en 2011, Assad a agi exactement comme le fait ou le ferait Poutine dans son propre pays en cas d’insurrection, en niant l’existence même de la révolte et en faisant mourir, disparaître ou fuir la moitié de la population du pays plutôt que d’engager un semblant de réforme permettant de récupérer un tant soit peu d’adhésion populaire. L’obstination et le déni criminel sont ce qu’Assad et Poutine ont le plus en commun. La seule chose qui les différencie vraiment, c’est que Poutine n’a pas à ce jour expérimenté d’insurrection populaire d’ampleur et qu’il n’a donc pas eu l’occasion de déployer tout son savoir-faire totalitaire.

En réalité, rien ne peut être pire que le régime d’Assad et la seule comparaison valide serait la dictature Stalinienne. Le modèle reste russe, toujours. Par conséquent, l’ombre de la Russie ne cessera pas du jour au lendemain de peser sur la vie des Syriens. Plus encore, il est légitime de penser que la chute d’Assad n’a pu se faire qu’avec la coopération ou l’assentiment de Poutine. Avant de crier au complot, rappelons quelques faits connus de tous.

La Russie n’a pas d’amis, elle n’a que des clients, des vassaux et des débiteurs. La Syrie a vécu au crédit de la Russie puis de l’Iran pendant plusieurs décennies et leur interventionnisme dans la guerre civile syrienne a été motivée par le besoin de se rembourser des dettes contractées par le clan Assad. Au même titre que les Etats-Unis, la Turquie et les pétromonarchies du Golfe, chacun a placé ses pions sur l’échiquier Syrien, modifiant les alliances et priorités géostratégiques au gré des circonstances et de leurs intérêts fluctuants. Contre leur gré voire à leur insu, les communautés et factions syriennes sont devenus les proxys d’un jeu qui les a très vite dépassé. Et si l’on tente de déceler une logique faite d’alliances polarisées, d’axes ou de camps aux délimitations claires, on ne peut que s’égarer ou se tromper. Il n’y a ni amitiés ni solidarités entre les Etats, seulement des opportunités et des manœuvres.

Dès le début du soulèvement populaire de 2011, l’Iran et le Hezbollah ont été les premiers à intervenir pour protéger le régime Syrien et garder la main sur les routes entre l’Iraq et le Liban, tout en développant leur emprise militaro-commerciale en Syrie. Les USA, l’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie, avec le soutien logistique de la Jordanie, de la Grande-Bretagne et d’Israël, sont intervenus parallèlement en fournissant des armes à près d’une cinquantaine de groupes liés à l’Armée Syrienne Libre et à l’opposition syrienne incarnée par le Gouvernement Intérimaire Syrien en exil (en Turquie), incluant des groupes islamistes liés au Front al-Nosra et réunis à partir de 2015 sous l’ombrelle de l’Armée de la Conquête. Le Qatar et la Turquie comptent ainsi parmi les principaux créditeurs du Front al-Nosra (2012-2017), puis de Jabhat Fatah al-Sham (2016-2017) et de Hayat Tahrir al-Sham (2017-2025).

Avec l’intervention russe, la prise de Kobane et les attentats de Paris par l’Etat Islamique en 2015, les stratégies des uns et des autres ont évolué. Les attentats de Paris, dans la continuité de la libération des prisonniers islamistes par Assad en 2011, ont largement contribué à ce que la communauté internationale détourne le regard de la barbarie du régime pour se concentrer sur l’épouvantail jihadiste. Chacun a ainsi justifié son intervention en Syrie par la lutte contre l’Etat islamique : les Etats-Unis ont retiré progressivement leur soutien aux groupes salafistes pour réorienter celui-ci au profit des YPG/YPJ kurdes, puis des FDS, avec un focus sur la lutte contre l’Etat Islamique, tandis que la Russie a envoyé ses mercenaires de Wagner recruter des Syriens au sein du bataillon « ISIS hunters » avant de les envoyer sécuriser les exploitations de pétrole du régime ou servir de chair à canon en Lybie (ce que la Turquie a fait aussi). Mais dans la réalité l’Etat islamique était frappé d’une main et nourri de l’autre aussi bien par la Turquie que par la Russie et le régime d’Assad, qui n’ont cessé de disposer des cellules jihadistes comme cela les arrangeait, les déplaçant de droite à gauche pour commettre des atrocités permettant de détourner le regard de leurs propres crimes et intrigues, de déstabiliser certaines zones ou populations qui les dérangeaient ou pour légitimer l’emploi de la force là où ils manquaient de raisons suffisamment valables. Le jihadiste est un ustensile pratique.

Et contrairement à ce qu’on peut croire, la Russie, les Etats-Unis et ses alliés (la Jordanie, Israël et la Turquie) ne se sont pas opposés militairement sur le terrain Syrien[4]. En 2016 et 2017, les Etats-Unis, la Russie et la Turquie ont au contraire conclu un accord pour la mise en place d’opérations aériennes conjointes visant à frapper les positions de l’Etat Islamique et du Front al-Nosra[5] [6]. Dans la foulée, la Russie a signé des accords avec les Etats-Unis, Israël et la Jordanie en 2017[7] [8] pour tenir les islamistes (Hezbollah et Etat Islamique) à l’écart du Golan et de la frontière jordanienne, ce qui a entraîné la reconquête de Deraa par le régime Syrien et la Russie en 2018, aboutissant sur l’élimination de la poche de l’Etat islamique dans le bassin de Yarmouk et la reddition des rebelles de Deraa ainsi que leur intégration dans les processus de normalisation avec Assad[9]. Notons que tous les accords signés par la Russie l’ont été avec le consentement de Bachar al-Assad. Sans entrer davantage dans les détails, il est très clair qu’il n’y a jamais eu dans le contexte Syrien de véritable dualité entre « axe du mal » et « axe de la résistance ».

Dès 2015, deux personnalités influentes proches des régimes Syrien et Russe, Randa Kassis et Fabien Baussart, avaient commencé à suggérer l’implémentation d’un processus de paix pour la Syrie lors d’une conférence à Astana au Kazakhstan. Après deux ans de pourparlers infructueux à Genève sous l’égide de l’ONU, Astana s’est finalement imposé en 2017 comme espace de négociation entre la Russie, la Turquie, l’Iran, le régime d’Assad et une douzaine de factions rebelles syriennes, à la tête desquelles Jaysh al-Islam, l’ONU étant relégué au statut d’observateur. La Russie et la Turquie ont alors très clairement affiché leur leadership sur les discussions, la Russie proposant même un brouillon de constitution pour la future « République de Syrie », introduisant un système décentralisé, fédéraliste et laïc abolissant la jurisprudence islamique comme source du droit. La Turquie, la Ligue Arabe, l’opposition pro-Turque et Al-Assad se sont alors catégoriquement opposés à toute forme de fédéralisme. Pour mieux comprendre la teneur et les résultats de ces pourparlers au regard des événements récents, il peut être utile de rappeler que la Russie avait proposé la démission d’Assad dès 2012, mais que cette proposition avait été refusée par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France sous prétexte que Assad était « sur le point d’être renversé » (sic). Il semble que la Turquie a pris le lead sur la Russie dans ces négociations entre 2019 et 2023, avant de concevoir dans son coin les modalités de la transition politique en Syrie. La Russie a été mise dans l’impasse par l’obstination de Bachar Al-Assad à se croire invincible et à faire obstacle à toute proposition de réforme constitutionnelle, notamment depuis son retour sur la scène internationale lors du sommet de la Ligue Arabe à Djeddah en juin 2023.

La veille de la chute du régime, la Russie, la Turquie et l’Iran se sont réunis à Doha en présence de 5 membres de la Ligue Arabe (l’Égypte, l’Arabie saoudite, l’Irak, la Jordanie et le Qatar) pour acter la fin des hostilités. Dans la foulée, l’aviation russe a subitement interrompu ses frappes après neufs ans de bombardements incessants et les troupes russes se sont paisiblement repliées sur leurs bases de Hmeimim et Tartus, où ils se trouvent jusqu’à ce jour en application des accords de Doha. Toujours selon ces accords, la Russie a donné à Assad, son clan et ses alliés des garanties de sécurité et d’amnistie en échange du retrait général de son armée, tandis que l’Iran a négocié la protection des lieux saint chi’ites. Dans la soirée du 7 au 8 décembre, les proches d’Assad ont alors préparé leurs valises avant d’être efficacement évacués en avion de Syrie vers la Russie et les Pays du Golfe, incluant Bachar Jaafari, principal négociateur des accords d’Astana et ambassadeur de la Syrie en Russie[10]. Tout cela sans qu’Israël n’abatte leur avion en vol, cela va de soi.

Dès le 29 décembre 2024, Al-Sharaa a déclaré que la Syrie partageait de profonds intérêts stratégiques avec la Russie, évacuant d’un revers de main sa complicité manifeste avec le régime d’Assad et la responsabilité de celle-ci dans le massacre de milliers de civils depuis 2015[11].

Fin janvier 2025, une délégation russe menée par le ministre des affaires étrangères Mikhail Bogdanov et l’envoyé spécial russe en Syrie Alexander Lavrentyev est venue à Damas pour poser les cadres et critères des relations bilatérales ultérieures. Al-Sharaa a alors posé ses conditions, exigeant des compensations financières pour les crimes commis et l’extradition d’Assad vers la Syrie, en sachant pertinemment que la Russie n’accepterait jamais.

Début mars, alors même que les massacres sur la côte ont poussé des centaines de civils Alaouites à se réfugier sur la base de Hmeimim, la Russie a hypocritement proposé son aide pour stabiliser la situation en Syrie. Le mois suivant, les prémisses d’une nouvelle coopération militaire avec la Turquie et la Russie ont vu le jour, Al-Sharaa admettant que l’essentiel du matériel militaire syrien était fourni par la Russie, que la Syrie restait dépendante de nombreux contrats avec elle dans les secteurs de l’alimentation et de l’énergie, et que son pouvoir de véto aux Nations Unies constituait une menace sérieuse pour la perspective de levée des sanctions qui affecte lourdement le pays.

Ce qu’on peut conclure à partir de toutes ces données, c’est que la destinée des Syriens restera intimement liée aux desiderata de Erdogan et de Poutine. On pourrait baptiser cette contrainte la « Malédiction d’Astana ».

Qu’en est-il des jihadistes étrangers ?

D’abord quelques éléments biographiques et de contexte.

Ahmed al-Sharaa est né en 1982 au même endroit qu’Oussama Ben Laden – à Riyad en Arabie Saoudite – puis a vécu en Syrie entre 1989 et 2003. Avant le début de l’invasion américaine en Iraq il s’est rendu à Baghdad où il a rejoint la branche iraqienne d’Al-Qaeda, que son leader Abu Musab al-Zarqawi venait de fonder après avoir prêté allégeance à Ben Laden. Arrêté en 2006, il a ensuite passé cinq ans dans les prisons américaines. Libéré alors que Ben Laden venait d’être éliminé le 2 mai 2011, son successeurs Ayman Al-Zawahiri a envoyé Al-Sharaa en Syrie au mois d’août pour établir la branche syrienne d’Al-Qaeda, Jabhat al-Nusra, en collaboration avec l’Etat Islamique en Irak dirigé alors par Abu Bakr al-Baghdadi. Comme le hasard fait bien les choses, exactement à la même période Bachar al-Assad amnistiait et libérait de la prison de Sednaya des centaines d’islamistes, dont un certain nombre de militants notoires[12] qui ont mis sur pieds simultanément et dans le trimestre suivant leur libération les principaux groupes salafistes responsables du morcèlement et de l’islamisation ultérieure de l’Armée Syrienne Libre (ASL) : Liwa al-Islam, Suqour al-Sham et Ahrar al-Sham.

Dans l’univers des groupes armés islamistes, les confrontations armées, guerres de pouvoirs, alliances de circonstances et recompositions n’ont cessé de se succéder, jusqu’à amener de larges fusions en 2017 au sein de l’Armée Nationale Syrienne (Jaysh al-Watani as-Suri) et de l’Organisation de Libération du Levant (Hayat Tahrir al-Sham, HTS), sous l’égide de la Turquie. Ces recompositions coïncident avec les négociations internationales dans le cadre du processus d’Astana évoqué plus haut. C’est le moment où un certain nombre de factions islamistes, confrontées à une impasse dans leur guerre de tranchée avec le régime d’Assad, ont été incités à changer de stratégie et ont adopté une rhétorique nationaliste et révolutionnaire, tout en faisant le ménage sur leur flanc le plus radical. L’associé et complice de Al-Sharaa depuis 2011, Anas Hassan Khattab, occupait le poste de responsable du renseignement de HTS[13], fonction qu’il conserve dans le gouvernement Syrien. A cette position il s’est chargé d’éliminer les rivaux de HTS dans la poche d’Idleb, notamment Hurras al-Din et les cellules de DAESH, opération qu’il a mené en collaboration avec les services de renseignements Turcs et Etasuniens. Leur approche jihadiste a été alors progressivement abandonnée au profit d’une gestion politicienne et technocratique des zones sous leur contrôle, incarnée notamment par le nouveau Gouvernement de Salut Syrien. Il apparaît clairement que la Turquie et la Russie ont exercé une influence majeure sur l’évolution prise à ce moment-là par la rébellion Syrienne, quand bien même les deux principales factions formant HTS n’ont pas participé aux négociations d’Astana[14]. Néanmoins, personne n’est dupe du rôle joué par les deux impérialismes dans ce cynique jeu d’échecs. A cette époque Ahmed al-Sharaa était encore Abu Mohammad al-Joulani, et quelle qu’ait été sa stratégie populiste de « syrianisation » pour devenir un interlocuteur crédible à l’international, tout le monde sait très bien qu’il n’aurait jamais pu garder le contrôle de la situation sans maintenir à ses côtés les chiens de guerre jihadistes qui ont toujours constitué le noyau de ses troupes. Et parmi eux, les centaines de tueurs à gage du jihad international qu’il allait devoir remercier s’il venait à gagner l’ultime bataille pour renverser Al-Assad.

C’est précisément ce qu’il s’est passé après la chute du régime. Fin décembre 2024, Al-Sharaa a nommé plusieurs jihadistes et criminels de guerre Syriens et étrangers[15] issus de son cercle proche à des postes de commandement dans la nouvelle armée, évoquant la dissolution à venir de la nébuleuse Hayat Tahrir al-Sham, condition indispensable à la levée des sanctions contre le leadership de HTS et contre la Syrie. Un mois plus tard, 18 factions armées déclaraient se dissoudre pour intégrer la nouvelle armée nationale, sans qu’aucune liste officielle des factions concernées ne soit rendue publique. Concrètement, des centaines de criminels ont bénéficié par cette intégration d’une amnistie générale et d’une normalisation du jihad. Un mois plus tard, le gouvernement de transition annonçait envisager d’accorder la citoyenneté aux combattants étrangers anti-Assad qui ont vécu en Syrie depuis plusieurs années, décision qui n’empêchera pas la levée des sanctions contre la Syrie, quand bien-même elle apparaissait comme une exigence centrale de la part des Etats-Unis. Récompenser ses mercenaires semble plus important que de soulager enfin la souffrance des Syriens : la normalisation du jihad international ou la révolution syrienne, Al-Sharaa semble avoir choisi. En filigrane on peut également lire que le nouvel homme fort de Damas n’a peut-être pas entièrement le choix, et qu’après avoir passé des années à essayer de nettoyer ses rangs des plus extrémistes sur les conseils avisés de son parrain Turc, personne mieux que lui ne sait à quel point la seule solution pour continuer de régner en maître sur une meute enragée est de la garder près de soi et de lui partager des morceaux du festin. Et il n’ignore pas non plus que beaucoup de jihadistes veulent sa peau, surtout maintenant qu’il serre la main à tous leurs ennemis jurés.

Pour illustrer ce népotisme, le gouvernement provisoire annonçait quelques jours plus tôt avoir engagé le processus de révocation de la citoyenneté de près de 740 000 combattants étrangers pro-Assad, notamment Iraniens, Iraqiens, Afghans, Pakistanais et Libanais. Quand on veut, on peut. Plutôt que de garantir la Justice pour tous les crimes commis contre les Syriens, Al-Sharaa confirme par cette décision que tous les mercenaires étrangers ne sont pas logés à la même enseigne. Les siens peuvent donc continuer à persécuter les infidèles et les hérétiques en paix.

Sectarisme et tribalisme : les deux fléaux de la Syrie

 

Quand la Turquie a soufflé dans l’oreille de Al-Sharaa qu’il ne fallait surtout pas laisser le champs libre aux revendications fédéralistes, c’était un message clairement adressé aux factions armées Kurdes, mais également à toute autre force armée et politique issue des minorités. Chacun a pensé alors tout de suite aux Alaouites et au Druzes. Les premiers n’ont pas de faction armée attachée à des revendications communautaires, si ce n’est les reliquats du régime qui se cachent encore ici ou là, mais qui ne représentent ni ne protègent leur communauté. Les seconds au contraire bénéficient de puissantes structures d’auto-défense communautaire incarnées par plus d’une vingtaine de factions attachées à protéger l’intégrité, les intérêts et l’identité culturelle de leur communauté, tout en bénéficiant de solides réseaux de solidarité parmi les communautés Druzes à l’étranger, et notamment en Palestine occupée, au Liban et parmi la diaspora dans le reste du monde.

Pour la nouvelle autorité à Damas, les trois communautés représentent des enjeux de rapports de forces et de diplomatie considérables, voire une menace pour le projet d’Etat hégémonique, centralisé et mono-confessionnel défendu par Al-Sharaa et ses principaux parrains à l’international : la Turquie, le Qatar et l’Arabie Saoudite. Par ailleurs, la Russie, les Etats-Unis et Israël se tiennent aux aguets pour exploiter les revendications d’autonomie ou de décentralisation des trois communautés, tandis que l’Europe et l’ONU appliquent éternellement les mêmes schémas paternalistes qui voudraient que les minorités aient besoin de protecteurs – et donc un protectorat – quand bien-même une majorité des populations dont on parle ne désirent pas être chaperonnées ou protégées par des puissances étrangères. Mais quelle que soit la véritable opinion des différentes populations, le sectarisme dont le régime d’Assad s’est fait le promoteur pendant plusieurs décennies continue de l’emporter sur toute considération égalitaire ou démocratique. Les analyses complotistes, binaires, voire manifestement fondées sur des biais sectaires ou xénophobes viennent se mêler à la propagande agressive des différents impérialismes pour produire un bruit médiatique constant dans lequel il est impossible d’y voir clair et de garder la tête froide. Contrairement à 2011, quand les modes de communication instantanée étaient encore relativement peu développés, les réseaux sociaux s’ajoutent désormais aux médias traditionnels pour véhiculer et donner de l’écho aux rumeurs les plus invraisemblables, mais pourtant suffisamment crédibles pour inciter n’importe qui à la violence et au déni des crimes commis. C’est ainsi qu’au moment de la chute du régime les fantasmes paranoïaques de l’occident annonçant le massacre des minorités ont fini par partiellement se réaliser, comme autant de prophéties autoréalisatrices, mais de manière moins subite que ce qui était prédit.

Avant de poursuivre, il est absolument indispensable de distinguer le scénario des massacres de la côte Syrienne qui se sont déroulés début mars et les confrontations violentes ayant ciblé la communauté Druze début mai. Dans le premier cas, ce sont bien des reliquats du régime déchu réunis au sein de groupes baptisés « Brigade du Bouclier de la Côte », « Conseil Militaire pour la Libération de la Syrie » et « Résistance Populaire Syrienne »[16] qui ont initié la confrontation avec l’autorité centrale de Damas. Plusieurs sources suggèrent que ces groupes, constitués de criminels de guerre et de tortionnaires restés loyaux envers Assad, ont été soutenus par la Russie et/ou l’Iran pour tenter de fomenter une reprise de pouvoir sur la côte, voire au-delà. Quoi qu’il en soit, ces quelques centaines de reliquats ont lancé une offensive coordonnée contre des checkpoints, des bâtiments gouvernementaux et des hôpitaux, s’emparant de quartiers entiers dans les villes de Jableh, Baniyas et Qardaha et s’en prenant indistinctement à des civils et aux forces de Sécurité arrivées sur place pour mettre fin à la sédition. Dans le giron de la Sécurité Générale et en réponse à son appel à volontaires sur Telegram[17], ce sont aussi des milliers de combattants radicaux plus ou moins affiliés à des groupes salafistes, eux-mêmes plus ou moins affiliés à l’Armée Nationale Syrienne et à Hayat Tahrir al-Sham, qui ont foncé sur la côte avec l’intention de punir les loyalistes ainsi que l’ensemble de la communauté civile Alaouite de laquelle ils sont issus. Parmi ceux-ci subsistent des groupes qui ne se sont pas dissouts, voire qui sont hostiles à Al-Sharaa mais considèrent la Sécurité Générale comme l’un des bras armés de la communauté sunnite en quête de revanche. L’insurrection loyaliste et l’épuration ethno-confessionnelle qui s’en est suivie ont résulté sur le massacre de 823 à 1659 civils et à la mort d’environ 260 combattants de chaque côté[18], les deux camps ayant participé au massacre de civils.

Dans le second cas, tout part de la diffusion d’un faux enregistrement insultant le prophète Mahomet et attribué à un sheikh Druze, Marwan Kiwan. De polémique sur les réseaux sociaux, la situation a évolué rapidement vers une émeute sectaire et xénophobe à l’université de Homs, initiée par l’étudiant en pétro-ingénierie Abbas Al-Khaswani, qui avait participé le mois précédent à l’offensive sanglante contre la communauté Alaouite. L’étudiant a été filmé en train de prononcer un discours haineux contre les Druzes, les Alaouites et les Kurdes, puis une foule d’étudiants a circulé sur le domaine de l’université en attaquant aléatoirement des étudiants a priori non-musulmans. Le gouvernement de transition a d’abord remercié les émeutiers pour leur zèle religieux en défense du prophète, avant de démentir timidement l’authenticité de l’enregistrement audio. Dans les 48 heures qui ont suivi, des groupes armés ont pris d’assaut les villes à majorité Druze (et Chrétienne) de Jaramana, Sahnaya et Ashrafiyet-Sahnaya, sans qu’on sache précisément de qui sont constitués ces groupes. Un certain nombre de sources concordantes pointent néanmoins du doigt des réseaux constitués de Bédouins et combattants islamistes de Deir Ez-Zor, de Dera’a et de la Ghouta. En réaction, les factions Druzes de Suwayda se sont mobilisées et un convoi s’est élancé sur la route de Damas pour venir en soutien aux factions locales de Sahnaya. Celui-ci a alors subi une embuscade meurtrière ayant conduit à la mort de plus de quarante combattants Druzes, avant qu’une dizaine de villages de la région de Suwayda ne soient attaqués à leur tour et pendant trois jours par des groupes provenant de Dera’a et des tribus bédouines de la région. La Sécurité Générale s’est finalement déployée autour du gouvernorat pour empêcher d’autres groupes de pénétrer depuis Dera’a, mais cette prise en étau de la région s’est accompagnée de pressions sur les les leaders Druzes pour s’accorder sur le désarmement des factions et l’entrée dans Suwayda des forces de la Sécurité Générale, ce qui a été refusé. En échange, un accord a été trouvé sur l’activation de la police et de la Sécurité Générale dans le gouvernorat, à la seule condition que l’ensemble de ses membres soient issus de la région. Quand la Sécurité Générale s’est retirée du seule village qu’elle a occupé, les résidents ont trouvé leurs maisons et leur lieu saint incendiés et pillés. Deux jours après la fin des hostilités, des dizaines d’étudiants de Suwayda ont quitté leurs universités de Damas et Homs, tandis que la route de Damas restait menacée par les groupes armés qui ont tiré sur des véhicules et ont placé un checkpoint sous leur contrôle, tandis que la Sécurité Générale semblait impuissante ou complice. Dans le même temps le gouvernement de transition a, de manière surprenante, nommé trois leaders des tribus bédouines de Deir Ez-Zor à la tête du renseignement, de l’organisme de lutte contre la corruption et du conseil suprême des tribus et des clans de Syrie[19]. Il est légitime de se demander s’il s’agit d’une gratification volontaire ou de la résultante de chantages et coups de pressions exercés par les puissantes tribus bédouines de la confédération Al-Uqaydat pour récupérer une part du gâteau.

Ce que ces événements disent de la Syrie actuelle, c’est qu’on ne peut rester le président de la Syrie sans d’une part exacerber les préjugés et tensions intra-communautaires afin de garder le contrôle sur les régions et d’autre part être adoubé par les forces les plus réactionnaires du pays et leurs alliés à l’étranger. Cela dit aussi que la société Syrienne n’a pas guéri et n’est pas près de guérir de ces maladies que sont le sectarisme et le clanisme qui va avec. Après des décennies de régression intellectuelle et de dépolitisation accomplies à renfort de coups de cravache par le national-socialisme du Ba’ath, la Syrie a renoué progressivement avec les vieux réflexes tribaux et féodaux qui préexistaient. Sur ce terreau fertile, le modèle islamique – qui rejette la laïcité, la démocratie et la représentation populaire – offre à nouveau le champ libre aux chefs de grandes familles (sheikhs), seigneurs de guerres et autres Emirs, dont les capacités à imposer un rapport de force vont déterminer leur proximité avec ce pouvoir et leur légitimité à en partager l’usufruit. Par sa prise de pouvoir elle-même, Al-Sharaa a démontré qu’il suffit d’être le plus fort pour être légitime. Et celui qui saura faire preuve de puissance armée tout autant que de loyauté sera remercié comme il se doit. C’est ce qu’ont obtenu les leaders des groupes armés qui ont combattu pour la chute du régime et qui ont accepté de les dissoudre au sein de l’armée nationale. C’est aussi ce que vient possiblement d’obtenir la confédération Al-Uqaydat après avoir répondu à l’appel à donner une leçon aux « hérétiques » de Suwayda, tout en acceptant de se retirer une fois que le gouvernement avait obtenu un premier compromis de la part des leaders Druzes.

L’aventure virile et archaïque consistant à traverser le désert pour aller subjuguer ses voisins insoumis dans le but de démontrer son allégeance envers le sultan et ses pachas témoigne d’un retour au modèle féodal qui a précédé le mandat colonial français. Ce qui s’en distingue et donne à la situation actuelle une dimension d’autant plus terrifiante, c’est la persistance des pratiques de déshumanisation raciste et génocidaires introduits par les colons occidentaux, accommodés au contexte local par les jihadistes[20] depuis les années 1980 et portés à leurs paroxysme par la dictature des Assad. L’expression la plus notable de ces nouveaux modes de terreur viriliste est sans doute celle consistant à se filmer en train de faire aboyer les hommes Alaouites et de raser la moustache des hommes Druzes, avant de les emmener entravés pour une destination inconnue. Rien ne distingue en vérité cette pratique raciste de celle des soldats israéliens à l’égard des Arabes Palestiniens, ce qui vient renforcer l’idée qu’il s’agit bien d’une importation depuis l’occident. Ainsi, une partie conséquente de la jeune génération de Musulmans sunnites qui n’a pas participé à la révolution de 2011 mais a grandi pendant la guerre civile semble être en train d’emprunter un chemin de fascisation similaire à celui des shabiha de Bachar[21], notamment en inondant les fils d’informations et les réseaux sociaux de publications et commentaires sectaires prônant la vengeance et le meurtre au nom de la défense de leur identité ethno-confessionnelle prétendument menacée. Cette logique paranoïaque consistant à croire que tout le monde autour de soi souhaite notre destruction induit naturellement un réflexe de repli sur soi et autour du leader charismatique censé garantir notre protection. Il n’est donc pas surprenant de voir Al-Sharaa présenté par les musulmans sunnites – et notamment les plus jeunes – comme le héros providentiel d’une révolution accomplie exclusivement par et pour leur communauté, tandis que les autres communautés se voient nier leur participation à la révolution contre Assad. La Révolution de tous les Syriens apparaît prise en otage par les discours apologétiques et mystiques présentant la prise de pouvoir de HTS comme un achèvement divin assimilé au retour des Omeyyades pour les uns, ou des Ottomans pour les autres. C’est l’Oumma récompensée. On ne doit pas s’étonner par conséquent si Al-Sharaa a célébré sa victoire à la Mosquée des Omeyyades, et si de vieux imams takfiristes tels que le sheikh Adnan al-Arur – qui est connu pour avoir systématiquement parsemé ses sermons de haine interconfessionnelle – sont invités à rentrer en Syrie après des années d’exil et y sont accueillis comme des maîtres à penser d’une révolution sunnite qui l’aurait emporté sur « 45 ans de régime de la minorité [22]». Pendant ce temps-là dans l’ombre, une majorité de Syriens musulmans sunnites modérés, progressistes et pacifistes – incluant les Kurdes fédéralistes – sont à nouveau essentialisés par l’extrémisme d’une minorité qui s’agite sur le devant de la scène, et qui détient le pouvoir par les armes.

La grille de lecture ultra-confessionnelle des rapports sociaux et politiques par les religieux fondamentalistes, dont les membres du gouvernement et leurs supporters continuent de faire partie, induit des simplifications dangereuses qui résultent sur l’absolution de la famille Assad pour faire porter la responsabilité de sa dictature sur une communauté entière, les Alaouites, voire sur l’ensemble des minorités qui lui sont associées : Chi’ites, Druzes, Ismaéliens ou encore les Murshidis[23], dont quasiment personne n’entend jamais parler mais dont une dizaine de membre ont été exécutés depuis décembre par des « individus non identifiés » à Latakia, Hama et Homs. De la même façon plusieurs centaines de civils, incluant des enfants et des femmes, ont été assassinés depuis la chute du régime, particulièrement dans la campagne de Homs où certains villages ont vu plusieurs de leurs résidents exécutés le même jour par des groupes armés intervenant dans le cadre ou en marge des « opérations de sécurisation » diligentées par la Sécurité Générale[24]. Ce n’est donc pas une révolution qui se déroule en Syrie depuis décembre 2024, mais la revanche de 50 à 60% des Syriens sur tous les autres. Par conséquent, on comprend mieux la réticence de la nouvelle autorité à mettre en œuvre les mécanismes de justice transitionnelle nécessaires à l’achèvement de la révolution : non seulement celle-ci n’est pas une priorité puisqu’elle mettrait en évidence la persécution de toutes les communautés sans exception, mais aussi parce qu’elle amènerait nombre des représentants de cette nouvelle autorité eux-mêmes à être incriminés et jugés pour leurs crimes[25].

Pas de justice transitionnelle, pas de paix

L’exigence de justice a été martelée par les collectifs de familles de disparus dès les premières heures qui ont suivi la chute du régime et alors que le monde feignait de découvrir pour la première fois l’ampleur de l’horreur que celui-ci avait pu représenter. La société syrienne qui a subi la violence sans être en position de l’infliger est unanime : aucune paix sociale ni aucun régime respectueux des Syriens ne peut exister sans justice transitionnelle. Pour que les communautés syriennes puissent guérir d’un demi-siècle de dictature et à nouveau vivre ensemble, les représentants du nouveau gouvernement n’ont pas d’autre choix que de procéder aussi rapidement que possible à l’arrestation de tous les dignitaires du régime et de tous ses exécutants ayant participé activement à la disparition, la torture et le meurtre de dizaines de milliers de Syriens. Bien évidemment, quand on parle de justice, il n’est pas question d’exécutions sommaires, de simulacres de procès, d’audiences à huis-clos et de mises à mort publiques reproduisant les traumatismes générés par la barbarie takfiriste, mais d’une justice transparente respectant les principes fondamentaux du droit à la défense et la dignité des accusés. Venger le sang et l’humiliation par le sang et l’humiliation n’est pas ce dont la société syrienne a besoin. Au contraire, elle a besoin pour se régénérer et sortir du cycle de violence de faire preuve d’équité et d’intégrité, mais également de sévérité, à l’égard de ceux qui n’ont montré envers elle que sadisme et cruauté. L’objectif doit rester la résilience et non la seule satisfaction primaire des instincts de revanche.

Il est évident aussi que la poursuite systématique de tous les membres de l’armée et des milices du régime déchu n’est pas possible et serait une entreprise extrêmement dangereuse qui entraînerait une épuration à large échelle et des règlements de comptes à n’en plus finir. Un entretien très instructif avec le Directeur du Réseau National Syrien pour les Droits de l’Homme Fadel Abdul Ghani publié par le media Syrien Enab Baladi[26] décrit le processus de justice transitionnelle potentiellement mis en œuvre en Syrie. Dans celui-ci, Abdul Ghani distingue un volet judiciaire et un volet civil, ce dernier prenant la forme de commissions « Vérité et Réconciliation ». Il estime le nombre d’auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité liés à l’ancien régime à 16 200 personnes, dont 90% seraient des militaires, et considère que seuls les officiers de premier et de second rang de l’armée pourraient être concernés par des poursuites pénales, tandis que les officiers des troisième au sixième rangs seraient inclus au programme des commissions de réconciliation. Les responsables non-militaires, incluant les hommes d’affaires, ne seraient pas exemptés de poursuites.

Il est impossible à l’heure actuelle de savoir si ce cadre cohérent a été accepté et mis en application par les nouvelles autorités. Au-delà de la communication lapidaire du ministère de l’intérieur sur son fil Telegram au moment de leur arrestation, aucun mécanisme transparent ne permet de savoir ce qu’il advient des personnes faisant l’objet d’investigations. Aucun tribunal spécial n’a été évoqué, ni aucune échéance judiciaire. Sur ce dossier, le gouvernement auto-proclamé fait preuve depuis quatre mois d’une déplorable désinvolture, et l’impunité dont bénéficient certains criminels de haut rang de l’ancien régime participe à éroder la confiance des Syriens. L’évacuation diplomatique du clan Assad vers la Russie et les Emirats Arabes Unis constituait déjà une première trahison envers les Syriens et envers la Révolution. La nomination de toute une série de takfiristes et criminels de guerre à des postes de responsabilité tout en promettant l’accès à la citoyenneté aux takfiristes étrangers en était une seconde.

Au-delà de ces très mauvaises décisions prises au nom d’une stabilité à très court terme, la nouvelle autorité a aussi arrêté un certain nombre de criminels notoires de l’ancien régime pour finalement les libérer par « manque de preuves », « régulariser » leur situation ou encore les amnistier purement et simplement. Le meilleur exemple est sans aucun doute celui du commandant en chef des Forces de la Défense Nationale (Quwat ad-Difa’a al-Watani), Fadi Ahmad alias « Fadi Saqr », qui est directement responsable de nombreux massacres dont le plus connu est celui de Tadamon en avril 2013, ou encore celui de Talal Shafik Makhlouf, commandant en chef de la Garde Républicaine et directeur du bureau du commandant en chef de l’armée et des forces armées, responsable pour sa part des meurtres de nombreux manifestants lors des manifestations pacifiques à Douma, Harista, Nawa et Dera’a en 2011. On peut y ajouter les cas de Mohammad Ghazi al-Jalali, ancien ministre des Communications puis premier ministre, et  Mohammad al-Shaar, ancien ministre de l’intérieur[27], ainsi qu’un certain nombre d’autres figures de haut rang dans l’appareil répressif du régime d’Assad, qui ont bénéficié depuis des mesures dites de « régularisation » de leur situation en échange de leur collaboration. Ainsi, le 7 février 2025, les résidants de Tadamon ont réagi avec colère à la visite de Fadi Saqr sur les lieux de ses propres crimes en compagnie de responsables de la Sécurité Générale, dans le but affiché de « faire la vérité » en dénonçant ses anciens complices[28]. Deux mois plus tard, les autorités ont brillé par leur absence à la commémoration du massacre du 16 avril, tandis qu’aucun périmètre de sécurité ni aucune investigation forensique digne de ce nom n’a été mise en place au niveau du pâté d’immeubles qui a servi pendant plusieurs années de « zone d’exécutions » à la Défense Nationale, et où subsistent de façon certaine des fosses communes. Au contraire, Fadi Saqr a été nommé à la tête d’une commission de réconciliation envoyée sur la côte Syrienne suite aux massacres de début mars, position depuis laquelle il a négocié la libération d’anciens officiers du régime Assad arrêtés à cette occasion. Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’empathie et la considération pour le traumatisme des victimes et survivants ne sont pas ce qui caractérise les nouvelles autorités. Plus récemment, d’autres serviteurs notoires du régime déchu continuaient d’apparaître publiquement et d’user de leur position sociale privilégiée, voire se montraient ostensiblement aux côtés de représentants des nouvelles autorités[29]

Enfin, et c’est sans doute le plus troublant, les nouvelles autorités ont ostensiblement méprisé le dossier des prisonniers et disparus[30], laissant les familles sans soutien ni réponse[31], tout en négligeant pendant de longues semaines la protection des archives des plus de 800 services de sécurité et lieux de détention avant de finalement se décider à en restreindre partiellement l’accès au public[32]. Le square al-Marjeh à Damas, où les proches de disparus se donnaient rendez-vous dans les semaines qui ont suivi la chute du régime pour se soutenir mutuellement et recueillir des informations, a été subitement débarrassée des centaines de photos de disparus courant janvier dans le cadre d’une vaste campagne de nettoyage initiée par la Défense Civile et intitulée « Damas, nous sommes de retour », tandis qu’un collectif baptisé « Les mains de la Bonté » faisait scandale en recouvrant les inscriptions laissées par les détenus sur les murs d’une prison par des peintures à la gloire de la révolution, avec l’aval préalable des autorités. L’indifférence et la négligence de ces dernières, voire l’empressement à faire table rase du passé n’est pas pour rassurer, quand bien-même les plus optimistes trouvent de bonnes raisons de se persuader qu’il est normal et naturel que les choses prennent du temps, que les autorités font de leur mieux ou que les processus engagés offrent des signes encourageants. A cinq mois de la chute du régime, cette persistance dans le relativisme et l’absence de jugement critique quant à la désinvolture, mais aussi à la nature et au passif de la plupart des représentants du nouvel appareil d’Etat, flirtent désormais avec la naïveté et l’insouciance. Les proches de victimes et de disparus quant à elles continuent d’être animées par le même espoir que celui qui leur a permis de survivre toutes ces années. Rien n’est vraiment entrepris, en actes comme en paroles, pour leur permettre de trouver la paix

La Syrie, une société dépouillée en proie au néo-conservatisme islamiste

L’Etat désastreux dans lequel Assad a laissé le pays témoigne à la fois de l’incroyable résistance et résilience des Syriens, mais également de l’inestimable capacité de l’être humain à survivre dans les circonstances les plus abominables. Quand on observe l’économie syrienne, on se rend compte à quel point le pays est à genoux et combien ses infrastructures ont été anéanties. Et quand on dit anéanties, le mot est faible : la Syrie est une carcasse évidée et rouillée, dont le squelette commençait déjà à être rongé avant la chute du régime. Les soldats du régime vendaient meubles et biens pillés pour se nourrir, et lorsque la fin s’est faite sentir, ils n’ont même pas attendu de voir l’ennemi s’approcher pour abandonner armes et uniformes, tandis que la population se ruait déjà sur tous les bâtiments publics pour piller absolument tout ce qui pouvait l’être. Ce qui sidère le plus dans la Syrie d’après, c’est le caractère absolutiste du pillage : ce n’est pas seulement le mobilier qui a été emporté, mais également les câbles, tuyauteries, portes, fenêtres, tuiles, carrelages qui ont été arrachés, et désormais aussi les poutrelles métalliques, briques et parpaings qui font la structure même des bâtiments. Ne parlons même pas des véhicules (tanks compris) et des arbres, qui sont méthodiquement découpés ou hachés, transformant l’ensemble du domaine public en friche sauvage. Et si l’on observe attentivement les villes et quartiers rasés par les bombes, on se rendra compte également que la totalité des immeubles en ruines ont été absolument évidés du moindre petit objet, comme si chacun des milliers d’appartements ainsi démolis avait été consciencieusement purgé de l’intégralité de ce qu’il s’y trouvait. Et cela par les agents et soldats du régime eux-mêmes, puisque certains quartiers étaient interdits d’accès jusqu’à la chute d’Assad. Entre Damas et le gouvernorat de Suwayda, les pilleurs vont jusqu’à abattre les pylônes à haute tension pour les découper et sectionner les câbles électriques qui alimentent des milliers de maisons en électricité. Partout c’est l’hallali[33] et le moindre morceau de la bête a une valeur.

Le pillage est parmi les principales afflictions qui touchent la nouvelle Syrie. Le phénomène existait avant la chute du régime et il ne peut être imputé aux nouvelles autorités, bien qu’il n’ait fait que s’amplifier et qu’absolument rien ne semble entrepris pour y mettre un terme ou pour protéger les infrastructures. Le seul progrès qui pourrait mettre un terme à cette auto-sabotage par la population syrienne elle-même est la restauration d’une économie stable ou tout au moins une amélioration perceptible de celle-ci. Pourtant il semble que la Banque Centrale Syrienne a décidé d’appliquer une méthode hasardeuse, en restreignant les liquidités[34] tout en refusant d’intervenir sur le taux de change[35] et de freiner la spéculation illégale sur la livre syrienne, ce qui aboutit à une intense volatilité des taux de change et à des pertes d’argent considérable pour les Syriens, dans un pays où 90% des habitants continuent de vivre sous le seuil de pauvreté. Les principaux bénéficiaires sont les spéculateurs, alors que ni l’investissement et la production locales, ni les exportations n’ont augmenté. Le gouvernement n’imprime pas de nouvelle monnaie et n’intervient pas non plus pour limiter le change aux seuls bureaux de change officiels, des centaines de petits commerçants ayant recours à cette activité pour faire des bénéfices. A côté de cela, les marchés ont commencé à être inondés de produits à bas prix provenant notamment de Turquie, menaçant la production locale déjà fragile[36] tandis que les revenus des Syriens n’ont pas vu de hausse significative et que le taux de chômage dépasse les 25%. Le nouveau gouvernement semble compter exclusivement sur les investissements étrangers. La situation actuelle laisse par conséquent présager la prédation capitaliste à venir, et avec elle une autre forme de pillage généralisé, qui se fera au profit des spéculateurs et non de la masse des Syriens. On connaît très bien le schéma, il suffit de regarder la situation du Liban ou de la Grèce.

Dans cette perspective opportuniste la diplomatie internationale n’a pas attendu deux semaines pour reprendre son cours normal, les prédateurs capitalistes de la péninsule arabique et d’Europe ayant été les premiers à accourir au palais présidentiel à Damas dans la perspective de restaurer au plus vite les relations économiques avec la Syrie et de tirer les meilleurs bénéfices de la nouvelle donne régionale. Le 23 décembre 2024, le Qatar était le premier Etat étranger après la Turquie[37] à envoyer une délégation en Syrie pour rencontrer les nouvelles autorités Syriennes, tandis que Al-Sharaa effectuait sa première visite à l’étranger le 2 février 2025, par un déplacement très médiatisé en Arabie Saoudite au cours de laquelle il a visité la Mecque et présenté au monde sa compagne Latifa al-Droubi, avant de s’envoler directement vers la Turquie[38]. Au-delà du show, ces visites témoignent de la volonté de placer l’Arabie Saoudite et le Qatar au-devant de la politique extérieure syrienne. Les deux Etats ont prévu ainsi de reprendre en main le secteur de l’énergie par la relance d’une production électrique alimentée quasi exclusivement en combustibles fossiles provenant du Golfe. Ça va brûler du gaz[39]. Tous deux ont commencé par délivrer des tonnes d’aide humanitaire à la Syrie au lendemain de leurs premières rencontres officielles et se sont également engagés à payer la dette syrienne de 15 millions de dollars contractée envers la Banque Mondiale, ce qui laisse présager des investissements d’ampleur : rien n’est gratuit. L’Allemagne et la France ont été ensuite les premiers Etats européens à se présenter au portillon de l’ex-jihadiste le 3 janvier 2025[40], suivis de l’Italie le 10 janvier suivant, les trois pays ayant été à la veille de la révolution de 2011 les principaux bénéficiaires des exportations de pétrole syrien[41]. Ils sont aussi les premiers à avoir mis en œuvre la suspension des procédures d’asile des Syriens le jour suivant la chute du régime et à avoir plaidé la levée des sanctions visant la Syrie, tandis que la France a été le premier pays européen à accueillir Al-Sharaa le 7 mai 2025, en dépit de son maintien sur la liste noire du terrorisme. Pour Macron, l’état d’exception est un mode de gouvernement, et la signature de contrats juteux vaut bien de fermer les yeux sur une partie du drame du peuple Syrien. Il a juste été demandé à al-Sharaa de faire quelques déclarations symboliques en faveur de la protection des droits humains et de la justice. Mais comme la déclaration universelle des droits de l’homme, une déclaration n’est pas contraignante et reste une simple promesse ayant pour but premier d’acheter la paix sociale, et de tromper les libéraux les plus crédules. Les partenaires économiques de la Syrie ne daigneront jamais conditionner le rétablissement des relations commerciales à la mise en œuvre stricte et sous contrôle international d’un système démocratique représentatif de la diversité syrienne et d’une justice transitionnelle excluant la peine de mort et les traitements inhumains et dégradants. Au lieu de cela, comme évoqué plus tôt, on se contentera d’exiger d’Al-Sharaa un engagement oral à « protéger les minorités » et à « neutraliser l’Etat Islamique », comme cela était déjà le cas depuis une décennie avec Bachar al-Assad. Ça ne mange pas de pain.

Dans le système capitaliste, tout n’est qu’une affaire de deals et de compromissions. Les conclusions de la commission d’enquête sur les massacres de la côte Syrienne pourront bien attendre quelques mois de plus, le temps que les sanctions contre la Syrie soient levées et que al-Sharaa puisse revenir tranquillement sur ses promesses une fois que le commerce international sera rétabli. On est témoin actuellement d’une transition historique vers une fusion du libéralisme économique et du conservatisme sociétal telle qu’elle s’est produite au Etats-Unis sous Georges Bush et son fils Georges W. Bush, mais dans sa version islamique déjà au pouvoir en Arabie Saoudite. Il ne faudra donc pas s’étonner si le destin de la Syrie dépendra de la relation entre Ahmed al-Sharaa, Donald Trump et Mohammed Ben Salman. Notre article tombe à point nommé, car les trois ont prévu de se rencontrer en Arabie Saoudite dans quelques jours…

La charia est compatible avec la capitalisme, tout comme Ahmed al-Sharaa.

 


NOTES :

[1] Maher Alloush (1976, Homs), écrivain et chercheur spécialisé sur les questions politiques, sociales et économique, ainsi que sur la Justice Transitionnelle, Hassan al-Daghim (1976, Idleb), diplômé en études Islamiques et en jurisprudence comparée, Mohammed Mustat (1985, Alep), diplômé en ingénierie électronique, en sciences politiques et en études Islamiques, Youssef al-Hijar,  Mustafa al-Moussa, pharmacien et membre de HTS, Hind Kabawat (1974, Inde), titulaire d’un Master en Droit et Relations Internationales et Houda Atassi, ingénieure civile diplômée en Architecture et en Technologies de l’Information.

[2] Abdul Hamid al-Awak, titulaire d’un doctorat en droit constitutionnel ; Yasser al-Huwaish, récemment nommé doyen de la faculté de droit de l’université de Damas ; Ismail al-Khalfan, titulaire d’un doctorat en droit spécialisé en droit international ; Mohammad Reda Jalkhi, titulaire d’un doctorat en droit spécialisé en droit international ; Bahia Mardini, la seule femme, journaliste et titulaire d’un doctorat en droit.

[3] Anas Khattab (1987, Rif Dimashq), Ministre de l’Intérieur ; Murhaf Abu Qasra (1984, Hama), Ministre de la Défense ; Asaad al-Shaibani (1987, Al-Hasakeh), Ministre des Affaires étrangères et des Expatriés ; Mazhar al-Wais (1980, Deir Ez-Zor), Ministre de la Justice ; Mohammed Abu al-Khair Shukri (1961, Damas), Ministre de l’Awqaf ; Marwan al-Halabi (1964, Quneitra), Ministre de l’Education Supérieure ; Hind Kabawat (1974, India), la seule femme, Ministre des Affaires sociales et du Travail ; Mohammed al-Bashir (1984, Idleb), Ministre de l’Energie ; Mohammed Yisr Barnieh, Ministre des Finances ; Mohammad Nidal al-Shaar (1956, Alep), Ministre de l’Economie et de l’Industrie ; Musaab Nazzal al-Ali (1985, Deir Ez-Zor), Ministre de la Santé ; Mohammed Anjrani (1992, Alep), Ministre de l’Administration Locale et de l’Environnement ; Raed al-Saleh (1983, Idleb), Ministre de la Gestion des Urgences et Catastrophes ; Abdul Salam Haykal (1978, Damas), Ministre des Communications et des Technologies de l’Information ; Amjad Badr (1969, As-Suwayda), Ministre de l’Agriculture et de la Réforme Agraire ; Mohammed Abdul Rahman Turko (1979, Afrin), Ministre de l’Education ; Mustafa Abdul Razzaq (1989), Ministre des Travaux Publics et du Logement ; Mohammed Yassin Saleh (1985), Ministre de la Culture ; Mohammed Sameh Hamedh (1976, Idleb), Ministre de la Jeunesse et des Sports ; Mazen al-Salhani (1979, Damas), Ministre du Tourisme ; Mohammad Skaf (1990), Ministre du Développement Administratif ; Yaarub Bader (1959, Latakia), Ministre des Transports ; Hamza al-Mustafa, Ministre de l’Information.

[4] Excepté par proxys interposés.

[5] https://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/deal-for-joint-military-action-with-us-in-syria-could-elevate-russia-as-well-as-defeat-isis-a7237256.html

[6] https://www.middleeasteye.net/fr/news/russia-and-turkey-agree-deal-coordinate-strikes-syria-1427197601

[7] https://arabcenterdc.org/resource/jordan-and-the-us-russia-deal-in-southern-syria/

[8] https://www.dohainstitute.org/en/PoliticalStudies/Pages/Israel-Reacts-to-US-Russian-De-Escalation-Agreement-in-Syria.aspx

[9] Voir l’historique de la 8ème Brigade de Ahmad Al-Awda – https://middleeastdirections.eu/new-publication-med-the-eighth-brigade-striving-for-supremacy-in-southern-syria-al-jabassini/

[10] Il est actuellement toujours en poste.

[11] Entre 4356 et 6456 civils tués selon airwars.org ; 8763 civils tués selon l’Observatoire Syriens des Droits Humains.

[12] Zahran Alloush (fondateur de Liwa al-Islam en septembre 2011, devenu Jaysh al-Islam en 2013) ; Ahmad Issa al-Sheikh (fondateur de Suqour al-Sham en septembre 2011) ; Abu Khalid al-Suri et Hassan Aboud (fondateurs de Ahrar al-Sham décembre en 2011).

[13] Anas Hassan Khattab serait également un agent de liaison des services de renseignements turcs (MIT). Il y opèrerait sous le contrôle de l’officier du MIT Kemal Eskintan, connu par les jihadistes sous le pseudonyme Abu Furqan, lui-même sous les ordres de Hakan Fidan, puis Ibrahim Kalin, chefs du renseignement turc de 2010 à 2023 et depuis 2023. Après 15 ans d’étroite collaboration, Ibrahim Kalin et Hakan Fidan sont les premiers officiels étrangers à avoir visité Damas après la chute du régime d’Assad. Le premier a été vu en train de prier avec Al-Sharaa à la mosquée des Omeyyades le 12 décembre 2024, tandis que le second a célébré la victoire de la Turquie avec Al-Sharaa sur les hauteurs de Qassiun le 22 décembre 2024.

[14] Les leaders de l’opposition présents à Astana sont, entre autres, Mohammed Alloush (Jaysh al-Islam – Armée de l’Islam), Fares Al-Bayoush (Jaysh Idleb al-Harr – Armée Libre d’Idleb), Nasser al-Hariri (Coalition Nationale Syrienne des Forces de l’Opposition et de la Revolution Syrienne), Abu Osama Joulani (Front du Sud, constitué de 58 factions rebelles). Onze autres groupes participent aux négociations.

[15] Abdul Rahman Hussein al-Khatib alias « Abu Hussein al-Urduni » (Jordanien, général de brigade) ; Omar Mohammed Jaftashi alias « Mukhtar al-Turki » (Turc, général de brigade) ; Abd al-Aziz Daud Khudaberdi alias « Abu Mohammed al-Turkistani » ou « Zahid » (Chinois ouïghur, général de Brigade) ; Abdel Samriz Jashari alias « Abu Qatada al-Albani » (Albanais, colonel) ; Alaa Muhammad Abdul Baqi (Egyptien, colonel) ; Moulan Tarson Abdul Samad (Tadjik, colonel) ; Ibn Ahmad al-Hariri (Jordanien, colonel) ; Abdulsalam Yasin Ahmad (Chinois Ouïghur, colonel)…

[16] Les leaders de ces groupes sont respectivement l’ex commandant de la Garde Républicaine d’Assad Moqdad Fteha, l’ex chef de la 4ème Division Blindée de l’Armée Arabe Syrienne Ghiath Dalla et Mundir W.

[17] Réalisant l’ampleur de la participation volontaire à l’offensive – et sans doute le chaos génocidaire qui en a résulté dès les premières heures d’affrontements – les Autorités ont ensuite annoncé que ce soutien n’était plus nécessaire.

[18] Les chiffres varient selon les deux principales sources : Syrian Observatory for Human Rights (SOHR) et Syrian Network for Human Rights (SNHR).

[19] Hussein al-Salama à la tête des renseignements, en remplacement d’Anas Khattab, Amer Names al-‘Ali à la présidence de l’Autorité centrale de contrôle et d’inspection (lutte contre la corruption) et le cheikh Rami Shahir al-Saleh al-Dosh à la tête du Conseil suprême des tribus et des clans. Tous trois sont originaires de la ville de Al-Shuhayl dans le gouvernorat de Deir Ez Zor, qui compte moins de 15 000 habitants.

[20] Qui ne sont pas autre chose qu’une version arabo-musulmane du fascisme européen.

[21] Les chabiha sont les supporters, hommes de main et mercenaires du régime, dont la plupart ont été intégré à la Force de Défense Nationale et à d’autres groupes paramilitaires.

[22] Selon les mots du nouveau Ministre syrien des Affaires Etrangères Asaad al-Shaibani lors de son discours à la 9ème édition de la Conférence des Donateurs pour la Syrie à Bruxelles le 17 mars 2025.

[23] Les Murshidis constituent une religion récente fondée en 1923 dans la région de Latakia par Salman al-Murshid. Cette religion dérive de l’Alaouisme et ses membres n’existent qu’en Syrie, où ils sont entre 300 000 et 500 000.

[24] Consulter notre cartographie des faits répertoriés par l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme sur la page d’accueil de notre site : https://interstices-fajawat.org/fr/accueil/

[25] Comme c’est déjà le cas pour la faction Jaysh al-Islam, dont les membres Majdi Nema alias Islam Alloush et Essam Al-Buwaydani alias Abu Hammam ont été arrêtés et poursuivis dans le cadre de procédures de justice internationales avant de pouvoir bénéficier d’une immunité diplomatique.

[26] https://english.enabbaladi.net/archives/2025/02/transitional-justice-in-syria-steps-to-diffuse-tension/

[27] https://english.enabbaladi.net/archives/2025/02/former-syrian-interior-minister-mohammad-al-shaar-surrenders-to-authorities/

[28] Dans la foulée de cette visite controversée, la Sécurité Générale a arrêté discrètement le commandant de la branche locale des Forces de Défense Nationale, Ghadeer Salem, puis – avec plus de tapage médiatique – trois de ses subalternes, Mundhir Al-Jaza’iri, Somar Mohammed Al-Mahmoud et Imad Mohammed Al-Mahmoud.

[29] C’est notamment le cas de : Farhan al-Marsumi, chef d’une tribu Bédouine de Deir Ez Zor activement impliqué dans le trafic de drogues vers l’Irak en collaboration avec la 4ème division de Maher al-Assad et les milices iraniennes ; Agnès Mariam de la Croix, mère supérieure du monastère carmélite de « Saint-Jacques le Mutilé » à Homs, complice et propagandiste active du régime Assad ; le docteur Tammam Al Yousef, chirurgien-cardiologue et frère du Général de Brigade et chef des services de renseignements de l’armée de l’air d’Idleb Ali Mu’iz al-Din Youssef al-Khatib, soupçonné de corruption et détournement d’argent en coopération avec le régime Assad ; Safwan Khair Beyk alias « Safwan Shafiq Jaafar », chef mafieux de Jableh et leader des Forces de Défense Nationale, lié à la famille Assad par les cousins de Bachar al-Assad, Mundhir al-Assad et Ayman Jaber – Source : Zaman al-Wasl – https://www.zamanalwsl.net/

[30] Le nombre de disparus est estimé entre 96 000 et 158 000, incluant les disparitions forcées attribuées au régime Assad, à l’Etat Islamique, aux Forces Démocratiques Syriennes, aux factions armées de l’opposition, à l’Armée Nationale Syrienne et à Hayat Tahrir al-Sham.

[31] Ce n’est qu’à force d’apparitions publiques et de rassemblement pendant les trois mois qui ont suivi la chute du régime que les familles de disparus représentées par The Syria Campaign ont obtenu une audience avec Al-Sharaa en février 2025 – https://diary.thesyriacampaign.org/my-father-is-still-missing-join-wafas-struggle-to-uncover-the-truth-about-syrias-disappeared/

[32] Dès le 20 décembre 2024, l’Association des Détenus et des Disparus dans la Prison de Sednaya (ADMSP), Amnesty International, Human Rights Watch et la Commission d’Enquête Internationale Indépendante diligentée par le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU exhortait le gouvernement de transition à prendre des mesures pour la protection des archives et preuves d’atrocités de masse – https://reliefweb.int/report/syrian-arab-republic/syria-preserve-evidence-mass-atrocities-enar

[33] L’hallali est le moment fatidique de la chasse à courre où la meute impatiente ou excitée des chiens se rue sur le gibier épuisé pour mettre un terme à la traque.

[34] Le retrait au distributeurs est gelé tandis qu’un grand nombre de fonctionnaires ont vu le versement de leurs salaires interrompus.

[35] Le taux de change a fluctué entre 10 000 à 12 000 livres le dollar au cours des quatre premiers mois de 2025, par rapport à un taux de 14 750 livres avant la chute du régime, 15 000 le lendemain et une chute exceptionnelle à 8000 début février – https://www.sp-today.com/en/currency/us_dollar/city/damascus

[36] https://english.enabbaladi.net/archives/2025/02/turkish-goods-undermine-local-products-in-syria

[37] L’ambassade de Turquie à Damas à rouvert le 14 décembre après 12 ans de rupture des relations diplomatiques, puis son ministre des affaires étrangères Hakan Fidan a visité officiellement Al-Sharaa le 22 décembre, à la veille de la visite du Qatar.

[38] Il faut distinguer la relation de la Syrie avec la Turquie de sa relation avec le Qatar et l’Arabie Saoudite. Si la première se caractérise davantage par une forme de dépendance militaire et stratégique, qui implique une forme d’extension coloniale et d’emprise sécuritaire turque sur la Syrie, la seconde est principalement économique.

[39] Il est prévu que la centrale électrique de Deir Ali produise 400 mégawatts quotidien grâce à la combustion de gaz naturel fourni par le Qatar via la Jordanie.

[40] Ahmad al-Sharaa reste inscrit sur la liste du terrorisme international avec son nom de guerre « Abu Mohammed al-Jawlani », mais la promesse d’une récompense de 10 millions de dollars pour sa capture a été annulée par les Etats-Unis.

[41] Les principaux importateurs de pétrole cru syrien étaient en 2010 : Allemagne (32%), Italie (31%), France (11%), Pays-Bas (9%), Autriche (7%), Espagne (5%) et Turquie (5%).

Qu’est-ce qu’il y a derrière la récente flambée de violence contre les Druzes de Syrie ? – Mai 2025

La communauté Druze de Syrie a subi au cours de la semaine passée une attaque sans précédent de la part de groupes armés sectaires et islamistes, avec le soutien passif du nouveau gouvernement de Damas.

Nous sommes actuellement en Syrie, au plus près des événements. Voici notre description des faits et notre analyse.

27 AVRIL

Un faux enregistrement a circulé sur les réseaux sociaux, dans lequel on entend une voix non identifiée insulter le prophète Mahomet, provoquant des émeutes sectaires de la part des islamistes de l’université de Homs, dirigés par l’étudiant en génie pétrolier Abbas Al-Khaswani.

Cet agitateur islamiste a tenu un discours haineux visant plusieurs communautés religieuses dont les Druzes, les Alaouites et les Kurdes. À la suite de ce discours, des dizaines de personnes scandant des slogans sectaires et haineux ont manifesté dans l’enceinte de l’université et agressé des étudiants non musulmans.

Le vieux cheikh druze Marwan Kiwan, accusé d’être l’auteur de l’enregistrement, a rapidement démenti cette accusation. Il est rappelé que Mahomet n’est pas seulement un prophète pour les musulmans sunnites, mais aussi pour les Druzes.

L’autorité non élue de Damas a publié un communiqué de presse peu convaincant dans lequel elle a remercié les émeutiers pour leurs efforts en vue de défendre leur prophète, au lieu de les tenir pour responsables des troubles dangereux qu’ils ont provoqués.

Abbas Al-Khaswani n’est pas un étudiant en études islamiques et a été identifié comme l’un des auteurs armés des attaques sur la côte syrienne deux mois plus tôt. Il n’a pas été arrêté et est retourné le lendemain à l’université où lui et ses collègues ont menacé la vie d’autres étudiants.

29 AVRIL

L’authenticité de l’enregistrement qui a déclenché des émeutes racistes et sectaires deux jours plus tôt a été démentie par le ministre syrien de l’intérieur, mais la Sûreté générale n’a rien fait pour empêcher le déroulement des événements ultérieurs.

Ainsi, des groupes armés d’origine inconnue ont attaqué la ville de Jaramana, prenant pour cible ses habitants et les factions d’autodéfense locales druzes.

La Sûreté générale est intervenue et aurait été prise pour cible par les factions locales, alors que la différence entre les premiers attaquants et les membres de la Sûreté générale reste floue. Les habitants ont identifié les attaquants inconnus comme étant des factions tribales de la tribu Al-Uqaydat de Deir Ez-Zor.

17 SYRIENS ONT ÉTÉ TUÉS, la plupart parmi les assaillants. Tous ont ensuite été présentés comme des membres de la Sûreté générale et les factions locales comme responsables des affrontements.

Rappelons que Jaramana n’est pas un quartier druze mais qu’il représente la diversité du tissu social syrien, incluant des réfugiés de Palestine et d’Irak.

30 AVRIL

Suivant un scénario similaire à celui de Jaramana, des groupes armés d’islamistes de Dera’a, Deir Ez Zor et Ghouta ont attaqué les villes de Sahnaya et Ashrafiyeh, prenant pour cible leurs habitants et les factions locales d’autodéfense druzes. 

45 SYRIENS ONT ÉTÉ TUÉS, la plupart appartenant à la communauté druze, dont 10 civils exécutés sommairement. Parmi eux se trouvait le maire de la ville, Hussam Warwar, accompagné de son fils Haider. Il avait pourtant été vu en train d’accueillir les forces de la Sûreté générale quelques heures avant son assassinat.

Rappelons que Sahnaya et Ashrafiyeh NE SONT PAS uniquement des quartiers druzes.

Des factions druzes de Suwayda ont quitté le gouvernorat pour secourir leur communauté attaquée à Sahnaya-Ashrafiyeh, mais elles sont tombées dans une embuscade près de Braq, sur la route de Damas, tendue par des groupes mixtes de tribus locales, d’islamistes de Dera’a et de Deir Ez Zor, mais aussi d’éléments de la Sûreté générale. Une vidéo les montre clairement en train d’ouvrir le feu alors qu’ils se tenaient côte à côte.

42 SYRIENS ONT ÉTÉ TUÉS, la plupart appartenant aux factions druzes, la communauté de Salkhad étant particulièrement touchée, avec 11 martyrs appartenant aux factions d’autodéfense Quwaat Alya’ et Quwaat Sheikh al-Karami, y compris leur chef Amjad Baali.

1er MAI

Au cours de la nuit, des groupes armés d’origine inconnue ont attaqué les villes d’As-Soura al-Kabira, Al-Thala, Ad-Dour, ‘Ira, Kanaker et Rsas, entraînant de violents affrontements avec les factions d’autodéfense locales et le bombardement de maisons civiles.

Toutes les factions de Suwayda, composées de plus de 80 000 combattants, ont été mises en état d’alerte et se sont déployées dans tous les points stratégiques du gouvernorat.

Dans la soirée, la Sûreté générale a encerclé le gouvernorat, prétendument pour prévenir toute nouvelle attaque en provenance de Dera’a. Cependant, plusieurs groupes armés ont attaqué les villes de Labin, Harran, Ad-Dour et Jreen, où ils se sont heurtés à une forte résistance qui a entraîné la mort de la plupart des assaillants. Le nombre de victimes n’est pas connu, mais les assaillants ont été identifiés comme appartenant aux tribus locales.

L’autorité centrale de Damas a fait pression sur les dirigeants de la communauté druze pour qu’ils acceptent le désarmement des factions locales, injustement accusées d’être à l’origine des troubles. Dans la nuit, ces derniers ont publié un communiqué pour informer de l’accord conclu, mais son contenu et ses signataires sont restés incertains jusqu’au lendemain, des informations contradictoires et erronées ayant été diffusées.

Israël a profité de la situation pour menacer la Syrie et a bombardé le palais présidentiel de Damas, prétendument pour « lancer un avertissement » aux autorités syriennes en cas de menaces à l’encontre des Druzes.

2 au 4 MAI

Le 2 mai, un drone israélien survolant Suwayda a pris pour cible une ferme à Kanaker, tuant 4 de ses habitants druzes. L’un d’entre eux, Issam Azam, était connu pour soutenir activement les manifestations de la place de la Dignité contre le régime d’Assad. La nuit suivante, des avions israéliens ont lancé une série de frappes sur des sites militaires à Dera’a, Damas et Hama.

Le 3 mai, Khaldun Sayah Al-Mahithawi, un avocat druze impliqué dans la négociation de la libération d’un autre avocat kidnappé au nord de Suwayda, a été assassiné à Aqraba, près de Jaramana. Le même jour, les 11 martyrs de Salkhad ont été enterrés à l’issue d’une cérémonie rassemblant des milliers de personnes dans leur ville natale, en présence de l’émir Hassan al-Atrash et du cheikh d’Aql Hammoud al-Hennawi.

Le 4 mai, les dirigeants druzes ont publié une déclaration en cinq points prévoyant l’activation de la police et de la sécurité générale dans le gouvernorat de Suwayda, à condition que ses membres soient tous originaires de la région, ainsi que la sécurisation de la route de Damas et un cessez-le-feu dans toutes les zones touchées par les affrontements de ces derniers jours.

Laith Al-Balous, le leader de la faction « Madhafe al-Karami » activement impliqué dans la négociation de l’entrée de la Sûreté générale dans le gouvernorat de Suwayda, a été chassé de sa ville de Mazra’a par les habitants après que celui-ci ait ouvert l’accès à plusieurs véhicules de la Sûreté générale.

5 MAI

Dans la journée, des affrontements entre des tribus locales et des factions druzes étaient toujours en cours dans les environs d’al-Thala et d’Harran à Suwayda.

Après le retrait de la Sûreté générale de la ville d’As-Soura al-Kabiri, la police de Suwayda est entrée dans la ville avec le gouverneur Mustafa Bakur et a trouvé plusieurs maisons brûlées et pillées, ainsi que le sanctuaire druze.

Il est à noter que la seule ville où des maisons ont été pillées et vandalisées à Suwayda est aussi la seule où les forces de la sécurité générale ont été déployées.

Parallèlement, des rumeurs ont circulé selon lesquelles les factions druzes menaçaient les mosquées, alors qu’elles s’étaient déployées au contraire pour protéger les sites religieux musulmans. Plusieurs imams de la région et des représentants de tribus bédouines locales ont démenti ces rumeurs de menaces sectaires des Druzes envers les musulmans, réaffirmant la coexistence pacifique au sein du gouvernorat et la nécessité de lutter contre les « fake news » et l’incitation sectaire sur les réseaux sociaux.

ELEMENTS CLES

 

– L’enregistrement qui a déclenché la flambée sectaire était un faux et le responsable des émeutes racistes à l’université de Homs n’a pas été arrêté ;

– Les seuls responsables sont les groupes armés d’obédience salafiste, mais à aucun moment ils n’ont été nommés par les autorités, tandis que leurs membres tués dans les affrontements n’ont pas été officiellement identifiés comme les attaquants ;

– La situation a été soit provoquée, soit exploitée par l’autorité centrale de Damas pour faire pression sur les factions d’autodéfense de la communauté druze et justifier leur désarmement ;

– Les leaders communautaires ayant autorité sur les tribus suspectées d’être à l’origine des attaques armées ont été récompensés par des nominations aux plus hauts postes de pouvoir dans le nouvel appareil d’État ;

– Les autorités et les médias ont encouragé ou permis une vague de haine sectaire sur les réseaux sociaux, accusant à tort les victimes d’être responsables des affrontements et d’avoir attaqué les forces de la Sûreté générale ;

– Les autorités ont encerclé la région de Suwayda, générant la peur parmi ses habitants, tout en étant incapables de garantir et de rétablir la sécurité des usagers de la route 110 vers Damas ;

– La majorité de la population ainsi que les principales factions de la région de Suwayda – celles qui existaient avant la chute du régime Assad et qui étaient légitimes au sein du mouvement révolutionnaire – rejettent l’intervention d’Israël et insistent sur l’unité avec tous les autres Syriens ;

CONCLUSIONS

 

Après une semaine de violences, le gouvernement de Damas continue de nier l’existence et l’identité des groupes armés responsables des attaques contre plus de 10 villes syriennes et leurs habitants, alors que de nombreuses sources indiquent l’implication de certaines tribus bédouines, ainsi que d’un groupe appelé « Burkan al-Furat » qui se vante même de l’assaut sur son groupe Telegram.

L’un des résultats inquiétants de ces trois jours est la nomination par Al-Sharaa de trois membres de la très influente confédération Al-Uqaydat des tribus bédouines d’Al-Shuhayl (Deir Ez-Zor) à des postes de responsabilité : Hussein al-Salama à la tête des renseignements, en remplacement d’Anas Khattab, Amer Names al-‘Ali à la présidence de l’Autorité centrale de contrôle et d’inspection (lutte contre la corruption) et le cheikh Rami Shahir al-Saleh al-Dosh à la tête du Conseil suprême des tribus et des clans.

On peut légitimement se demander si l’autorité de Damas a les coudées franches ou si elle subit la pression des structures de pouvoir traditionnelles qui détruisent la vie des Syriens depuis un demi-siècle ou plus. La question clé est la suivante : à qui profite le désarmement des factions d’autodéfense de la communauté druze ?

À Jaramana, les accords prévoient le désarmement progressif des factions locales, qui ont commencé à remettre leurs armes lourdes. En revanche, les groupes armés qui les ont attaqués ne sont pas tenus de rendre leurs armes…

La Chronique Syrienne d’Interstices-Fajawat, 21 février 2025

CHRONIQUE ECRITE EN COLLABORATION AVEC LE COLLECTIF/MEDIA “CONTRE ATTAQUE

Une transition à durée indéterminée

Le gouvernement de transition a formé un comité préparatoire pour organiser la Conférence Nationale du Dialogue, constitué de 7 personnes, dont 2 femmes. On ne connaît toujours pas la date de cette conférence que tout le monde attend et appelle de ses vœux. Chacun espère y voir une parfaite représentation de la société syrienne, alors qu’aucune information sur sa composition n’a été évoquée, si ce n’est que l’Administration Autonome du Nord-Est Syrien n’y sera pas conviée.

Une première réunion du comité préparatoire s’est tenue à Homs et à réunit 400 participants autour de six axes majeurs : la justice transitionnelle, la rédaction de la nouvelle constitution, les réformes institutionnelles, les libertés publiques et politiques, le rôle de la société civile et l’organisation économique. Notons que le pouvoir de ce comité est purement consultatif et se contentera de transmettre ses recommandations au gouvernement.

Une justice transitionnelle aux contours flous

Au cours de ce mois de février, le massacre commis à Tadamon en avril 2013 a refait surface. Tadamon est un quartier de Damas où près de 500 civils, dont un certain nombre de Palestiniens, avaient été froidement poussés les yeux bandés dans une fosse avant d’être exécutés par balle, le tout filmé par les auteurs du crime. Le 8 février une visite controversée sur les lieux du crime de trois commanditaires du massacre – amnistiés en échange de leur collaboration – en compagnie de deux responsables de la Sécurité Générale, a provoqué une manifestation de plusieurs centaines de résidents du quartier révoltés par la présence de leurs bourreaux. Puis, 10 jours plus tard trois exécutants ont été arrêtés. Le sort du principal auteur des exécutions, qui avait reconnu les faits à une journaliste, reste inconnu.

Par ailleurs l’ambassade de Palestine à Damas, qui a longtemps été critiquée pour sa complicité avec le régime d’Assad, vient de rendre publique une liste de 1794 noms de Palestiniens de Syrie, de Gaza, de Jordanie et du Liban qui ont disparus sous la dictature. Le but de cette publication serait d’aider les nouvelles autorités à recueillir des informations sur leur sort, sans qu’on sache comment l’ambassade a obtenu ces noms.

La question des prisonniers et combattants étrangers, révélatrice des enjeux de la guerre de proxy

L’Algérie est entrée dans la danse des négociations diplomatiques avec Al Sharaa, après avoir été réticente à féliciter le nouvel homme fort de Damas pour sa nomination. Longtemps soutien du régime d’Assad, elle vient demander aujourd’hui la libération de 500 miliciens du Front Polisario capturés à Alep lors de la libération de la Syrie début décembre. Le Front Polisario est la faction armée soutenue par l’Algérie dans le cadre de son conflit avec le Maroc au Sahara Occidental. La présence de ses combattants en Syrie s’explique par le fait qu’ils y étaient entraînés par les forces iraniennes…

Du côté du Liban ce sont plusieurs centaines de prisonniers Syriens qui font l’objet de tractations entre les deux pays. Plus de 2000 Syriens sont emprisonnés au Liban, dont une majorité arrêtés dans le cadre de la « loi antiterroriste » en raison de leur affiliation réelle ou supposée avec l’Armée Syrienne Libre. Une centaine d’entre eux s’est mise en grève de la fin pour exiger son extradition vers la Syrie.

Enfin, et c’est là un enjeu majeur pour la situation sécuritaire de la Syrie et de son voisin Iraqien, des milliers de combattants de l’Etat islamique et leurs familles détenus dans les camps de Al-Hol et Al-Roj, sont en train d’être rapatriés au compte-goutte vers l’Iraq, dont ils sont originaires. Ils s’ajoutent aux milliers de combattants chiites Afghans et Pakistanais des milices pro-iraniennes Fatemiyoun et Zaynabiyoun qui, libres, se sont réfugiés en Iraq depuis la chute du régime, et dont la présence sur place pourrait devenir la justification de nouvelles violences ou frappes aériennes étrangères sur le territoire iraqien.

Les Kurdes sous pression de toutes parts

Alors que le contrôle et la résorption des camps de prisonniers dans l’Est Syrien reste à la charge unique des milices kurdes, cette question est au cœur d’intenses négociations avec le nouveau régime de Damas depuis deux mois. Le risque de déflagration sous la forme de révoltes ou d’évasions massives des prisonniers de l’Etat Islamique est imminent, notamment après que Trump ait stupidement suspendu toute l’aide humanitaire américaine (460 millions de dollars en 2024).

Cette semaine les deux parties se sont rapprochées d’un accord pour l’intégration à la Nouvelle armée Syrienne des combattants des Forces Démocratiques Syriennes (SDF) et des Unités de Protection du Peuple (YPG), ainsi que pour la sortie du territoire de leurs combattants étrangers. Rien n’est clair par ailleurs concernant le sort des Unités de Protection des Femmes (YPJ), ainsi que du projet démocratique et féministe du Rojava à l’issue de ces accords, qui semblent induire un renoncement contraint au fédéralisme, à l’autonomie et à l’auto-défense populaire face à l’impérialisme turc, au nationalisme et à l’islamisme conservateur.

Le leader des Kurdes iraqiens Barzani, ainsi que la France et l’Allemagne, ont plaidé auprès de al-Sharaa en faveur de la protection des populations Kurdes, mais on sait combien les compromis diplomatiques et économiques leur importent davantage que le projet d’émancipation populaire porté par la gauche kurde. Beaucoup parmi ces derniers attendent les conseils et directives du leader kurde Öcalan, qui semble être désormais autorisé à transmettre des messages à ses partisans et fidèles depuis sa prison d’Imrali.

Et la colonie sioniste qui ne cesse de se répandre…

Chaque semaine Israël avance en territoire Syrien, cherchant visiblement à s’emparer de toutes les ressources en eau de la région (Mont Hermon, Bassin de Yarmouk, Réservoir de Al-Mantara). Sept nouveaux villages ont été occupés et l’armée d’occupation a installé six postes militaires supplémentaires. En parallèle l’aviation a bombardé l’aéroport militaire Syrien de Khalkhala et un dépôt de munitions au Sud de Damas, prétendument utilisé par le Hamas. Cette allégation grotesque fait abstraction totale de la situation syrienne et des relations complexes entre le Hamas et les nouvelles autorités Syriennes : plus c’est gros, mieux ça passe, d’autant plus face à une communauté internationale désormais habituée à laisser les pyromanes Netanyahu et Trump faire ce qu’ils veulent.

C’est d’ailleurs dans la perspective d’une stratégie conjointe des Pays Arabes face à l’expansionnisme et au nettoyage ethnique mis en place par les Etats-Unis et Israël que doit se tenir une rencontre de la Ligue Arabe au Caire le 27 février prochain…